Interpol : comment expliquer l’extradition d’un Ouïghour du Maroc vers la Chine ?

La Cour de cassation marocaine a donné son aval pour extrader Yidiresi Aishan, un ressortissant chinois membre de la communauté Ouïghour. Cette décision préoccupe les autorités internationales, compte tenu des persécutions que subissent cette minorité dans le pays de Xi Jinping. L’avocat en droit pénal William Julié estime que cette extradition est "effrayante", mais qu’elle montre aussi les lacunes d’Interpol. Entretien.
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Yidiresi Aishan
Yidreishi Aishan, ressortissant chinois appartenant à la minorité ouïghoure, va être du Maroc extradé vers la Chine. Il risque la torture et l'emprisonnement. 
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Le 15 décembre, la Cour de cassation du Maroc a autorisé l’extradition d’un ressortissant chinois appartenant à la communauté ouïghoure, Yidiresi Aishan, un informaticien âgé de 34 ans. Pendant quatre ans, il a fait l’objet d’une notice rouge d’Interpol émise à la demande de la Chine, qui lui impute des actes terroristes commis. Cependant, Yidiresi Aishan réfute ces accusations.

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Pour l’avocat en droit pénal William Julié, cette extradition est la preuve des lacunes d’Interpol, dans le processus de vérification des notices rouges. Il est cependant pessimiste sur l’éventualité que cette extradition n’ait pas lieu. Pour lui, seule une forte pression politique internationale pourrait dissuader le Maroc. 

TV5MONDE : Comment expliquer que Yidiresi Aishan​ ait fait office d’une notice rouge, sans vérification, après demande de la Chine ? 

William Julié, avocat en droit pénal :  On a vraiment la chronologie d’une notice d'Interpol qui est efficace parce que la personne est arrêtée. Cette notice rouge a été émise le 13 mars 2017 à la demande de la Chine, donc elle est dans le système depuis quatre ans. Yidiresi Aishan est arrêté le 19 juillet 2021. Or la notice est suspendue en août 2021, donc postérieurement, après des doutes sur la véracité des informations avancées par la Chine. 

En 2020, tout le monde avait entendu parler du cas des Ouïghours, mais la notice est restée tranquillement dans le système jusqu’à ce que Yidreisi Aishan soit arrêté. 
William Julié, avocat pénaliste

En 2018, 2019 et 2020, Interpol dit vérifier régulièrement que les notices sont conformes. Mais en 2020, tout le monde avait entendu parler du cas des Ouïghours. Pourtant la notice est restée tranquillement dans le système jusqu’à ce que Yidiresi Aishan soit arrêté. 

Ensuite, je n’ai pas l’explication. Je présume que c’est lui ou ses avocats, ou alors l’histoire qui a fait tellement de bruit, ou qu'il y a eu une requête, mais la notice a été suspendue.

Procéduralement, cela signifie qu’Interpol a dû être saisie d’une demande de retrait pur et simple de la notice. Ils le font qu'une fois que tout le processus est terminé, ce qui prend du temps. Pour les dossiers très sensibles, ils font ce qu’on appelle des suspensions de la notice rouge. C'est-à-dire qu'ils ne la retirent pas, en attendant que la commission de contrôle des fichiers prenne sa décision définitive, mais ils prennent une mesure suspensive provisoire. 

TV5MONDE : En vertu de quel principe, lorsqu’ils reçoivent en premier lieu la demande de mettre cette personne sur notice rouge, ils acceptent ? 

William Julié : Interpol prétend faire un contrôle a priori des dossiers avant de diffuser les notices rouges. Mais j’ai plusieurs dossiers qui démontrent que ces contrôles ne sont absolument pas effectués de façon aussi sérieuse qu’ils ne le devraient. Les Chinois ont demandé à ce que cette notice soit diffusée, Interpol l’a diffusée et n’a sans doute pas fait les vérifications nécessaires. 

C’est effrayant de voir que la procédure d’extradition puisse aller à terme.William Julié, avocat pénaliste

Aujourd’hui, on n’est pas sans savoir que sur la Chine, la Turquie ou la Russie, il faut faire attention et passer les dossiers en revue. Voir "lui, c’est un activiste Ouïghour, avec une notice de la Chine", c’est quand même hallucinant de dire que l’on ne savait pas.

Le fait qu’Interpol ait suspendu la notice donne l’idée que le dossier n’a pas l’air très solide.William Julié, avocat pénaliste

Le fait qu’Interpol ait suspendu la notice donne l’idée que le dossier n’a pas l’air très solide. D’expérience, ils ne le font que rarement. S’il est avéré que le dossier de terrorisme est un dossier bidon et que cette personne est réellement un activiste, c’est effrayant de voir que la procédure d’extradition puisse aller à terme. 

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TV5MONDE : Cette extradition peut-elle être empêchée ? 

William Julié : Je vois difficilement comment cette extradition peut ne pas avoir lieu, dans la mesure où la Cour de cassation semble s’être prononcée. A part s’il y avait une saisine de l’ONU. Il pourrait y avoir éventuellement une communication de l’ONU, comme il y a eu pour Julian Assange [ndlr, fondateur de Wikipedia, cible d'une demande d'extradition par Washington]

Les extraditions ne sont pas possibles lorsqu’elles sont demandées pour des motivations politiques. 
William Julié, avocat pénaliste

À mon avis, cela n’aurait pas d’effet obligatoire sur la décision marocaine, mais elle pourrait avoir un effet politique. C'est-à-dire que la décision d’extradition in fine sera une décision politique car il faut un décret d’extradition. Je présume que le Maroc pourrait décider de céder à la pression internationale. Cependant, il n’y aurait pas d’effet juridique. 

TV5MONDE : Y a-t-il des conditions pour extrader une personne recherchée vers son pays d’origine ? 

William Julié : Absolument. Un pays doit refuser d’extrader lorsque l’extradition viole un certain nombre de principes fondamentaux. Les extraditions ne sont pas possibles lorsqu’elles sont demandées pour des motivations politiques. 

L’autre argument qui a été soulevé par la défense, mais aussi les ONG, c’est de dire qu’au-delà de la convention bilatérale, l’extradition de Yidiresi Aishan viole la convention de Genève, notamment dans sa disposition sur le principe de non-refoulement, qui est celui d’une personne qui a sollicité l’asile et qui attend d’avoir une réponse. Il s’agit d’un principe général du droit coutumier international. Il doit interdire l’extradition lorsque la personne risque d’être exposée à des mauvais traitements dans son pays d’origine en raison de son engagement.

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