Fil d'Ariane
L'organisation de coopération policière l'a annoncé sur Twitter, "M. Ahmed Nasser Al-Raisi (...) a été élu au poste de président", alors que l'Assemblée générale d'Interpol se tient à Istanbul depuis mardi 23 novembre 2021.
Mr Ahmed Nasser AL RAISI of the United Arab Emirates has been elected to the post of President (4-yr term). pic.twitter.com/pJVGfJ4iqi
— INTERPOL (@INTERPOL_HQ) November 25, 2021
La fonction de président est essentiellement honorifique, le vrai patron de l'organisation étant son Secrétaire général, l'Allemand Jürgen Stock. Ce dernier a été renommé pour un second mandat de cinq ans en 2019, et assure la gestion des affaires courantes.
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Pour autant, la candidature du général émirati, dont le pays est devenu ces dernières années le deuxième contributeur au budget d'Interpol, avait suscité l'indignation d'organisations de défense des droits de l'Homme et d'élus européens.
"Nous sommes profondément convaincus que l'élection du général Al-Raisi porterait atteinte à la mission et à la réputation d'Interpol et affecterait lourdement la capacité de l'organisation à s'acquitter efficacement de sa mission", écrivaient mi-novembre, à la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen, trois députés européens dont Marie Arena, présidente de la sous-commission des droits de l'Homme du Parlement européen.
(Re)voir Interpol : opposition à la nomination de l'Émirati Ahmed Naser Al-Raisi
En octobre 2020, dix-neuf ONG, dont Human Rights Watch (HRW), s'inquiétaient déjà du choix possible du général émirati, "membre d'un appareil sécuritaire qui prend systématiquement pour cible l'opposition pacifique".
En parallèle, plusieurs plaintes pour "torture" contre M. Al-Raisi, qui a rejoint les rangs de la police de son pays en 1980 et exercé en son sein plusieurs décennies durant, ont été déposées ces derniers mois en France, où siège l'organisation, et en Turquie, pays hôte de l'Assemblée générale.
L'ONG Gulf Centre for Human rights (GCHR) accuse dans l'une de ces plaintes le général émirati d'"actes de torture et de barbarie" contre l'opposant Ahmed Mansoor, détenu depuis 2017 dans une cellule de 4 m2 "sans matelas ni protection contre le froid", ni "accès à un médecin, à l'hygiène, à l'eau et aux installations sanitaires". Ces procédures n'ont pas abouti jusqu'ici.
L'élection du général Al-Raisi enverra "un signal aux autres régimes autoritaires", notamment qu'utiliser d'Interpol pour poursuivre des opposants à l'étranger "n'est pas un problème", expliquait avant l'élection Edward Lemon, enseignant à l'Université A&M du Texas et spécialiste des régimes autoritaires.
Un rapport britannique publié en mars a en effet conclu que les Emirats arabes unis ont détourné le système des notices rouges - les avis de recherche internationaux - pour faire pression sur des opposants. D'autres pays sont accusés d'en faire de même.
Dans une référence à peine voilée à M. Al-Raisi, la Tchèque Sarka Havrankova - seule autre candidate pour la présidence d'Interpol - avait rappelé jeudi matin sur Twitter que les statuts de l'organisation impliquent de "s'opposer aux arrestations et détentions arbitraires et de condamner la torture".
Une fois en fonction, le général Al-Raisi sera "susceptible de travailler avec des gouvernements aux vues similaires [aux siennes] pour contrecarrer les réformes allant vers une plus grande transparence d'Interpol", estime Edward Lemon.
Les Emirats arabes unis ont fait un don de 50 millions d'euros à Interpol en 2017 - une somme presque équivalente aux contributions statutaires des 195 pays membres de l'organisation, qui s'élevaient à 60 millions d'euros en 2020.
L'entourage de M. Al-Raisi a décliné toute demande d'interview.
Les Emirats, qui ont eux-mêmes accueilli l'Assemblée générale d'Interpol en 2018 et voulaient l'accueillir à nouveau en 2020, ont aussi "donné ou prêté 10 millions d'euros en 2019, environ 7% du budget annuel d'Interpol", souligne Edward Lemon, pour qui de tels financements sont un moyen d'acheter de l'influence.
Cette élection controversée pourrait enfin peser sur le maintien du siège d'Interpol à Lyon, dans le centre-est de la France. Cette semaine, deux élus régionaux de poids s'en étaient inquiétés dans un courrier adressé au ministre français de l'Intérieur, Gérard Darmanin.
"Une candidature entachée de plaintes poserait un vrai risque au fond et pourrait délégitimer l'institution et son accueil dans notre démocratie", prévenaient-ils.
Le président d'Interpol, désigné pour quatre ans, occupe ses fonctions à temps partiel et de façon bénévole et conserve ses fonctions dans son pays d'origine.