Fil d'Ariane
Le droit international humanitaire, droit de la guerre ou encore droit des conflits armés a pour but d'"humaniser la guerre", selon ses législateurs. Il édicte des règles relatives à la manière de mener les hostilités. Les Conventions de Genève et les protocoles additionnels comprennent plus de 500 règles. Toutes les violations de ces règles ne représentent pas un "crime de guerre".
TV5MONDE : Quelle est l'utilité du Droit International Humanitaire (DIH), alors que de nombreuses violations semblent être constatées depuis le début de la guerre en Ukraine ?
Julia Grignon, professeure agrégée à la Faculté de droit de l’Université Laval et chercheuse en droit des conflits armés à l'IRSEM : Il est important, dans le moment dans lequel nous sommes, de rappeler les règles. Évidemment elles sont violées, mais ce n’est pas parce qu’elles sont violées qu’il faut considérer qu’elles n’ont aucune utilité. Si, par exemple, des enfants sont séparés de leur mère à Kiev au moment de prendre le train pour fuir les hostilités, des organismes humanitaires vont faire en sorte que ces enfants retrouvent leur famille.
Lorsque des prisonniers russes se rendent, qu’ils sont recueillis par les forces ukrainiennes et qu’on leur permet de donner des nouvelles à leurs familles, cela aussi, c’est la mise en oeuvre du droit international humanitaire. Il faut faire attention à la manière dont nous percevons les conflits armés et les violations qui sont commises car en réalité si on ne fait que dire que ce droit est violé, tout le monde va s’en désintéresser. Je suis absolument convaincue que, pour les civils qui en ce moment fuient les hostilités, ce droit fait une différence fondamentale. Ils ont besoin que l’on milite pour l’utilisation de ce droit.
Ces armes de guerre imprécises touchent inévitablement des zones civiles. Selon Handicap International, "97 % des victimes recensées sont des civils et près d’un tiers sont des enfants".
"Comme les mines anti-personnel, qui vont rester très longtemps sur les terrains d’opérations après que les conflits soient terminés, les bombes à sous-munitions vont par exemple empêcher des cultivateurs de retourner dans leurs champs, empêcher une réconciliation complète et un un retour à l’économie normal. C'est en raison de la spécificité de ces armes que nous avons décidé de les interdire", explique Julia Grignon, chercheuse en droit des conflits armés à l'IRSEM.
Si le droit international humanitaire reconnait que le but de la guerre est d'affaiblir le potentiel de l'armée ennemi, il stipule également que cet objectif doit pouvoir être atteint "sans jamais viser les civils et sans jamais utiliser des armes qui auront des conséquences dramatiques pour les civils", continue Julia Grignon.
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Dans les faits :
En Ukraine, des sources témoignent de l'utilisation de bombes à sous-munition.
D’après Human Rights Watch (HRW), «un missile balistique russe contenant une arme à sous-munitions a frappé une rue juste devant un hôpital à Vuhledar, une ville de la région de Donetsk contrôlée par le gouvernement ukrainien le 24 février».
"Ce qu’il se passe concrètement dans ces situations-là, c’est que vous avez dans ces villes des combattants, mais aussi une population qui est partisane de ces combattants, qui les soutient. Il y a comme un pacte entre les civils et les combattants dans cette ville assiégée pour que les civils restent. La question de comment acheminer de l’aide à ces civils qui restent dans les villes assiégées qu'ils ne veulent pas quitter, se pose donc", remarque Julia Grignon.
Dans les faits :
Le 3 mars, le maire de la ville portuaire de Marioupol accusait la Russie d'effectuer un blocus sur sa ville et d'empêcher toute évacuation et tout réapprovisionnement de sa population, alors sans eau, sans électricité, ni chauffage. Le 7 mars, le secrétaire général adjoint des Nations unies pour les Affaires humanitaires, Martin Griffiths, appelait la Russie à la création d'un accès humanitaire sécurisé pour approvisionner en fournitures médicales vitales les villes de Marioupol, Melitopol et Kahrkiv.
Jusqu'au 7 mars, deux tentatives pour évacuer les civils du port assiégé de Marioupol avaient échoué. Kiev et Moscou s'accusent mutuellement de violer les conditions de l'évacuation.
La Russie a accepté des couloirs humanitaires pour évacuer des civils ukrainiens vers la Biélorussie et la Russie. Kiev refuse en exigeant que les civils puissent partir vers l'ouest et accuse Moscou de cynisme. Selon le président du Comité International de la Croix Rouge (CICR), la mise en place de couloirs humanitaires doit faire l'objet d'un accord négocié entre les parties sur le principe comme sur les modalités et avec le consentement des civils.
En direct : Ukraine : quelques "résultats positifs" sur les couloirs humanitaires
Dans les textes :
L'utilisation indue d'un insigne ennemi viole le droit humanitaire coutûmier. Par ailleurs, l'utilisation d'un insigne pour tromper l'ennemi et le tuer ou le blesser est interdite et définie comme de la perfidie.
"Les ruses de guerre ne sont pas interdites et doivent être distinguées de la perfidie. Elles sont définies par l'acte d’induire un adversaire en erreur ou de lui faire commettre des imprudences sans enfreindre aucune règle du droit international", détaille la chercheuse en droit des conflits armés à l'IRSEM Julia Grignon.
Dans les faits :
Le 26 février, les corps de trois hommes en uniformes ukrainiens tués par balles ont été présentés comme ceux d'infiltrés russes déguisés en soldats locaux. Le ministre de la Défense ukrainien et la police ukrainienne ont dénoncé l'utilisation d'insignes et d'uniformes par les armées russes. Ces présumés "saboteurs" auraient aussi, selon la police ukrainienne, porté les uniformes des Casques bleus, en plus d’avoir utilisé les insignes de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
Peu après le début de la guerre, la traque des "saboteurs" russes envoyés par Moscou a fait plonger l'Ukraine dans un climat de suspicion maximale. Sur les réseaux sociaux, chaque jour, des images de saboteurs "en civil" apparaissent.
Dans les textes :
Des vidéos destinées à tromper l'ennemi, lui faire prendre une mauvaise décision et prendre l'ascendant stratégique sur lui sont considérées comme ruse de guerre et ne sont pas interdites. En revanche, il n'est pas autorisé de filmer ou diffuser des images des prisonniers de guerre, en vertu de l'article stipulant que "les prisonniers de guerre doivent être protégés en tout temps, notamment contre tout acte de violence ou d'intimidation, contre les insultes et la curiosité publique".
Les belligérants ne peuvent pas non plus justifier la publication de ces images de prisonniers de guerre comme moyen d'informer les familles. La Convention de Genève prévoit d'autres moyens de communication. Les Etats doivent notifier au Comité international de la Croix-Rouge (CICR) les noms et autres détails des prisonniers. Par ailleurs, ces derniers disposent du droit de correspondre avec leurs familles.
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Dans les faits :
Le 26 février, le ministère ukrainien de l'Intérieur a créé une chaîne Telegram RF200_now ou sont postées des photos de soldats russes tués au combat, des vidéos des interrogatoires d'assaillants capturés et les photos de leurs pièces d'identités. Sur ces images, les prisonniers déclinent nom et unité à laquelle ils appartiennent. Les créateurs de la chaîne déclarent y donner "toutes les informations pertinentes sur les morts et les prisonniers de l'armée des Forces armées de la Fédération de Russie en Ukraine" ."Nous sommes un projet humanitaire dont le but est d'informer les proches des victimes sur leur sort", est-il aussi expliqué sur la page d'accueil de la chaîne. La Russie a bloqué l'accès à ce site sur son territoire.
Dans les textes :
Le droit de la guerre interdit les atteintes contre "les ouvrages contenant des forces dangereuses". Une dénomination comprenant les barrages, les digues et les centrales nucléaires de production d’énergie électrique. Il s'agit d'une protection renforcée à l'égard de certains biens. "Ces ouvrages ne peuvent pas être attaqués même s’ils constituent des objectifs militaires", affirme Julia Grignon.
Le droit de guerre stipule aussi qu'il est interdit d’utiliser « des méthodes ou moyens de guerre qui sont conçus pour causer, ou dont on peut attendre qu’ils causeront, des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel ».
Une centrale nucléaire est un bien de caractère civil et ne devrait donc pas faire l'objet d'attaques. "Les hypothèses d’échanges de coups de feu ou même d’un accident militaire sur le site seraient donc illicites au regard du droit international humanitaire, puisque ces attaques seraient disproportionnées en raison des conséquences que la libération de particules nucléaires aurait sur l’environnement", indique la note publiée par le projet de recherche de Julia Grignon appelé "Osons le DIH".
Dans les faits :
Tchernobyl, théâtre d'un accident nucléaire majeur en 1986, a été le premier site ukrainien à être tombé aux mains des soldats russes le 24 février. Sur le site, les rayonnements gamma ont anormalement "dépassé" les niveaux de contrôle, selon Kiev. Le 4 mars, les forces russes prenaient le contrôle de la centrale de Zaporojjia, la plus grande d'Europe, à la suite de combats avec les troupes ukrainiennes qui ont provoqué un incendie. Un laboratoire scientifique a notamment été détruit. L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) a appelé "à cesser l'usage de la force sur la centrale nucléaire de Zaporojjia", mettant en garde contre un "grave" danger si un réacteur est touché.
(Re)lire : Guerre en Ukraine : faut-il redouter un incident nucléaire majeur ?