- Toi, t'es Suisse et toi tu es donc Algérien ? - Non, moi aussi je suis Suisse. - Non, mais tu as une gueule d'Algérien. - C'est parce que je suis Italien. Nous sommes assis dans le hall du commissariat de Bou Smaïl, à cinquante kilomètres à l'ouest d'Alger.
«Vous êtes les bienvenus en Algérie. Nous sommes là pour votre sécurité », nous glisse un des nombreux policiers réunis à l'entrée.
En face de nous, Amine Menadi rigole avec les hommes en uniformes. C'est le fondateur d'
Algérie Pacifique, un collectif sur Facebook né des émeutes en janvier 2011. Nous faisons un sujet sur lui.
« Les commissariats, c'est un peu ma deuxième maison » Pour nous, la situation est nouvelle. Pour Amine, c'est presque le quotidien. Il ne compte plus les interpellations et les intimidations. C'est d'ailleurs la première fois qu'on l'interpelle dans sa ville.
« Les commissariats, c'est un peu ma deuxième maison », rigole l'ancien cadre de 28 ans. Nous avons été interpellés dix minutes plus tôt, à quelques rues de l'endroit où un manifestant de 32 ans
a été tué le vendredi 7 janvier 2011 par un tir de grenade lacrymogène reçu en pleine figure.
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- Un jeune de Bou Smaïl regarde les images des émeutes sur son portable. Dans cette rue, les forces de police et les jeunes se sont affrontés durant plusieurs jours en janvier 2011 (Photo ©ir7al.info)
C'est depuis ce jour-là qu'Amine Menadi a décidé de militer, en se rendant dans les quartiers populaires pour sensibiliser les jeunes et les empêcher de tout casser. C'est lui aussi qui est à l'initiative des premières manifestations devant la Grande Poste d'Alger. Nous remettons nos passeports et nos ordres de missions du journal
El Watan pour lequel nous travaillons. Un homme en polo rose fait son apparition dans le hall. Il fait des aller-retours, parle au téléphone. Il demande à voir notre matériel. Nos papiers passent de mains en mains.
«Vous avez enfreint la législation algérienne », nous donne-t-il comme seule explication, avant de disparaître. Un policier vient s'asseoir, avant d'engager la conversation.
« Le problème politique et le problème de la jeunesse, ce n'est pas pareil. Si les jeunes travaillaient, il n'y aurait pas de problème. Les jeunes ne veulent pas travailler, c'est tout. » La porte d'en face où se trouvait Amine est maintenant close. La conversation s'engage entre lui et le polo rose à la moustache.
- C'est l'Italien qui est Suisse ? - Non, le Suisse est Belge. - Alors, qui est Italien ? - L'autre Suisse. Durant trente minutes, Amine Menadi est interrogé. Il nous expliquera, une fois sorti, qu'on lui a posé des questions sur ses activités de militants. Quelques minutes après notre interpellation, il avait envoyé un message à un membre de la
Ligue Algérienne pour la Défense des Droits de l'Homme (LADDH) et à quelques blogueurs. Nous ne le savons pas encore, mais notre détention est relayée sur les réseaux sociaux (et fera même une dépêche de l'AFP et un petit article sur
ElWatan.com). Une procédure mise en place depuis longtemps par Amine. Il alerte rapidement son entourage à chaque interpellation.
- Êtes-vous allé en Irak ? - Non, pourquoi ? - Êtes-vous célibataire ? - Oui. - Vous devriez vous marier. Après plus d'une heure d'attente, nous sommes relâchés et pouvons repartir avec notre matériel. Nous devons encore aller remplir des papiers au Ministère de la communication. Cela sera fait en une heure, c'est ce qu'on nous a promis. Inchalla.