Irak : en perdant Mossoul, que perd le groupe EI ?

Mossoul est tombée le 10 juin 2014 aux mains du groupe Etat islamique. Ce jeudi 24 mars, les forces irakiennes, alliées aux Kurdes et à la coalition internationale, passent à l'offensive. En quoi la deuxième ville d’Irak est-elle un objectif majeur ?
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Etat islamique Mossoul
Des combattants kurdes d'Irak observent les zones détenues par l'Etat islamique à l'extérieur de Mossoul, le 19 décembre 2014.
©AP/Zana Ahmed
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Mossoul fut la première grande ville du nord de l'Irak, une région riche en pétrole, et donc stratégique, à tomber aux mains des jihadistes lors de leur grande offensive de 2014. Elle comptait alors deux millions d'habitants, majoritairement sunnites.  Aujourd’hui, ils sont des centaines de milliers à l'avoir désertée, préférant l’exode.

Mossoul : objectif majeur en Irak

Il y a d'abord eu la prise de Sinjar par les Kurdes, en novembre 2015, une défaite cuisante pour l’EI en Irak. Puis les forces régulières ont repris les grandes villes de Tikrit et de Ramadi, aidés par les frappes de la coalition internationale. En quelques mois, l’EL a ainsi perdu 25 % du territoire conquis durant l’été 2014.
 
Voici déjà plusieurs jours que Mossoul est encerclée par les forces irakiennes et leurs alliés. La ville et sa région sont clés pour l'approvisionnement de tout le pays en eau, en électricité et en produits agricoles. Mais ici, c'est avant tout le centre du pouvoir économique et financier du groupe Etat islamique qui est visé.

Plate-forme financière de l’EI

En reprenant Mossoul, les forces de Bagdad et de la coalition couperaient l'approvisionnement du groupe terroriste en argent liquide, qui reste son moyen de transaction privilégié. Dès la mi-janvier, les Etats-Unis commençaient à bombarder les dépôts situés en plein centre de la ville, qu’ils soupçonnaient d’abriter des espèces destinées à payer les combattants de l’EI. “Daech, c’est bon pour les affaires,” reconnaissait voici quelques semaines dans le Wall Street Journal un agent dont les bureaux de change - établis à Mossoul, Simmaniyah, Erbil et Hit - déplacent des fonds depuis, et vers, les régions tenues par les islamistes, moyennant une commission pouvant aller jusqu’à 10 % – soit le double du taux habituel. 

carte Irak ville etat islamique
©TV5MONDE

En décembre dernier, continue le Wall Street Journal, la Banque centrale d’Irak a répertorié et placé sur liste noire 142 agents soupçonnés par les autorités américaines de transférer des fonds pour l’EI. Au moins deux, basées à Mossoul, continuent aujourd'hui de transférer des fonds entre la Turquie et des villes irakiennes et syriennes tenues par Daech. 

Pétrole : le trésor de guerre de l’EI

Les champs pétroliers de Mossoul fournissent à l’Irak la moitié de sa production et en font le 4ème producteur au monde. Et ce n’est pas fini, puisque, à trente kilomètres seulement de Mossoul, s'étend d’un champ pétrolier que la société d’origine suisse Oryx Petroleum qualifie de prometteur.

Ces gisements représentent un approvisionnement illimité en carburant pour les manœuvres militaires de l’EI, mais aussi un vrai trésor de guerre. En novembre 2015, selon plusieurs estimations, l’EI produisait encore de 40 000 barils à 50 000 barils par jour dont 15 000 provenaient du nord de l’Irak. Ecoulés entre 20 et 25 dollars, cela représente une manne d'une 1 million de dollars. Reprendre possession de Mossoul, c’est donc priver le groupe El de quelque 350 000 dollars par jour.  

Ainsi le trafic clandestin contribue-t-il à la chute du cours du pétrole sous les 45 dollars le baril, ce qui est une catastrophe pour les pays de la région, dont les budgets reposaient sur un baril à 100 dollars. Chasser ceux qui, aujourd’hui, en profitent, pourrait contribuer à relancer le cours du baril sur le marché mondial.

Le barrage de Mossoul : péril en vue

Reprendre Mossoul, c’est aussi donner une chance à la sécurisation du barrage qui, aux portes de la ville, approvisionne en eau et en électricité tout le nord du pays. Elevé sur un sol instable, cette immense infrastructure sur le Tigre, la plus grande d'Irak, manifeste en effet, et depuis plusieurs années, d'inquiétants risques de rupture.
Barrage Mossoul
Vue générale du barrage de Mossoul, le 31 octobre 2007 à 360 kilomètres au nord-ouest de Bagdad, en Irak. Une entreprise italienne a été mandatée pour consolider la structure, vétuste, mais les ingénieurs n'ont toujours pas de solution concrète à apporter. 
©AP / Khalid Mohammed

Ce 9 mars 2016, les Etats-Unis ont lancé, à l’ONU, un appel à une mobilisation internationale pour prévenir une "catastrophe humanitaire de proportions gigantesques". Si le barrage cédait, une vague de 14 mètres de haut ravagerait Mossoul et irait jusqu’à inonder Bagdad, à près de 400 kilomètres au sud. Au total, le désastre pourrait affecter jusqu'à 1,5 million de personnes.
 

Reconquête de Mossoul

En perte de vitesse, les islamistes avaient commencé à exécuter des déserteurs à Mossoul, en janvier dernier. Et depuis plusieurs jours se préparait un assaut - annoncé à maintes reprises depuis près d'un an, mais finalement différé - sur la ville encerclée.

Ce jeudi 24 mars, le commandement des opérations conjointes, qui supervise la lutte antijihadiste en collaboration avec les Etats-Unis, annonce dans un communiqué : "Dans le cadre des opérations de libération de Ninive et des secteurs affiliés, les forces armées et les Unités de mobilisation populaire (coalition de milices principalement chiites, ndlr) ont débuté la première phase des opérations de conquête".

Le communiqué précise aussi que plusieurs localités ont déjà "été libérées" et que les forces armées poursuivent leur avancée. De son côté, Araz Mirkhan, un responsable des forces kurdes peshmergas indique que "les forces irakiennes à Makhmour ont débuté leur avancée vers al-Qayyara au sud de la ville de Mossoul. Elle a permis de libérer quatre à cinq villages des terroristes de l’El".
 
L’EI recule en Irak, mais aussi en Syrie, où le bastion jihadiste de Chadadi, au nord-est du pays, a été repris mi-février, tandis que Palmyre, ce 25 mars, est tombée. C’est désormais la Libye, en plein chaos, qui devient le territoire de prédilection des combattants de l’EI