Ces dernières semaines, le groupe Etat islamique multiplie les attentats suicide en Irak, en particulier à Bagdad, la capitale. Mais il perd du terrain sur l’ensemble du territoire. Est-ce le début de la fin pour les djihadistes en Irak ? Analyse de Myriam Benraad, chercheuse, spécialiste de l’Irak et du monde arabe.
Bagdad a vécu sa journée la plus meurtrière de l’année ce mercredi 11 mai 2016 : au moins 94 personnes ont été tuées et 150 blessées dans trois attaques à la voiture piégée.
Cette série d’attaques revendiquées par le groupe Etat islamique (EI) est arrivée le même jour où le gouvernement irakien déclarait que les djihadistes ne contrôlaient plus que 14% du territoire. Les forces irakiennes combattent actuellement les djihadistes sur plusieurs fronts, principalement dans les provinces d’Al-Anbar (ouest) et celle de Ninive (nord) dans le but de reprendre les villes de Fallouja et Mossoul. L’EI vit-il ses dernières heures sur le territoire irakien ?
Décryptage de
Myriam Benraad, chercheuse à
l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM), auteure de
« Défaire Daech : une guerre tant financière que militaire » et de
« Les Arabes sunnites d’Irak face à Bagdad et l’État islamique : l’irréversible sécession ? » Pourquoi le groupe Etat islamique multiplie-t-il les attaques meurtrières en Irak, notamment à Bagdad, ces dernières semaines ? Myriam Benraad : Il faut tout d’abord comprendre qu’il n’y a pas de nouveauté dans les attaques qui visent la capitale. Depuis l’apparition en 2006 du groupe Etat islamique – sous la forme de l’Etat islamique d’Irak à l’époque – les opérations kamikazes étaient le mode opératoire principal. Notamment dans la capitale, avec la guerre civile qui battait son plein. Ce qui m’amène à penser que 10 ans après, le groupe Etat islamique, très attaché aux dates, agit comme une forme de rappel.
Par ailleurs, cette vague d’attentats apparaît aussi comme une réponse à la pression que le groupe est en train de subir dans d’autres régions, y compris dans leur fief. Notamment avec l’intensification des raids aériens qui engendre énormément de pertes dans leur rang. Mais le recul du groupe reste tout de même à relativiser car l’Etat islamique lance perpétuellement de nouvelles attaques pour reprendre des territoires.
Qui est visé dans ces attentats ? M.B : Bien sûr, les chiites, l’ennemi viscéral, et derrière eux, l’Iran. Ça, c’est une constante. Mais aussi tous ceux qui n'ont pas fait allégeance, donc également des sunnites, considérés comme des apostats au même titre que les autres. Et au-delà, sur le plan politique, les attaques à Bagdad sont aussi une façon d’affaiblir le gouvernement qui tente actuellement de récupérer Mossoul.
Quel lien peut-on faire entre la crise politique en Irak et la présence de l’Etat islamique dans le pays ? M.B : Je pense que l’Etat islamique est une réponse à la faillite de l’Etat irakien. Ce qui a posé les jalons de l’EI, outre le lègue catastrophique de l’occupation américaine, c’est bien l’incapacité des élites irakiennes à avoir permis la reconstruction du pays et surtout à endosser leurs responsabilités. Ces mêmes élites qui, on le sait, sont corrompues, incompétentes, et laissent leurs populations virevoltées. Sans compter le fait que la composante sunnite a été mise à l’écart depuis plus d’une décennie.
L’EI a donc bâti sa force sur l’absence d’Etat, de projet politique, sur la violence et les distensions. C’est pour cela qu’au-delà de la campagne militaire, il faut assurer une vraie transition : instaurer des réformes structurelles, restaurer les services et la sécurité pour les populations. Sans ça, il n’y aura jamais d’améliorations.
Qui soutien l’Etat islamique en Irak aujourd’hui ? M.B : L’EI est majoritairement un phénomène de jeunes. Le groupe est donc encore soutenu par une partie de la jeunesse sunnite. S’ajoutent à eux des contingents de combattants étrangers très importants. Car en portant un projet panislamiste (visant à unir sous une même autorité la totalité des peuples musulmans), l’EI a aussi réussi à attirer beaucoup de musulmans à travers le monde.
Ils se sont aussi assuré l’allégeance des notables de tribus locales. Actuellement, le groupe a toute une opération de sensibilisation pour maintenir la solidarité des tribus qui tiennent une composante sociale très importante. L’EI fait donc en sorte de ne pas totalement détruire le tissu social car les djihadistes comptent sur ces tribus pour structurer leur projet à long terme.
Mais en réalité les sunnites sont très divisés aujourd’hui. Il y a trois courants : ceux qui soutiennent encore l'EI car ils sont convaincus par le califat ; ceux qui soutiennent l'EI par manque d’alternative entre les djihadistes et le gouvernement de Bagdad et les milices chiites ; ceux qui rejettent l'EI mais qui n'ont pas les armes pour résister et subissent aussi les frappes aériennes américaines qui font énormément de morts. Cela tend d'ailleurs à délégitimer la coalition. Ils me disent :
"d’un coté, on a les bombardements qui nous tuent, de l’autre les djihadistes." Ces populations sont donc dans un désespoir total.