Victoire surprise en Irak pour Moqtada al-Sadr, ex-militant radical anti-américain et chef de la milice chiite "l'Armée de Mahdi". Quinze ans après l'invasion de l'Irak par les Etats-Unis, il incarne le renouveau politique aux yeux de ses compatriotes et tient entre ses mains l'avenir politique du pays.
En s'abstenant en masse et en plaçant en tête, selon des résultats quasi-définitifs, la liste du populiste Moqtada al-Sadr allié aux communistes et à des technocrates, les Irakiens ont envoyé un message clair: il faut du
"changement", des
"nouvelles têtes" au pouvoir.
Moqtada al-Sadr est l'une de ces
"nouvelles têtes". Et pourtant ce nationaliste chiite, âgé de 44 ans, est loin d'être un nouveau venu dans le paysage politique irakien...
Chef de "l'Armée de Mahdi", contre les Etats-Unis
"Visage poupin et regard de psychopathe, Moqtada al-Sadr est l'enfant terrible du chiisme irakien" : c'est par ces mots que le journaliste Christophe Ayad décrivait le jeune homme en 2004 dans les pages de
Libération.
C'est à cette époque que Moqtada al-Sadr est apparu sur la scène médiatique internationale, en tant que dirigeant d'une puissante milice paramilitaire chiite,
"l'Armée de Mahdi", qui combattait la présence américaine en Irak après l'invasion américaine de 2003 menée par le président d'alors George W. Bush.
Le jeune chef religieux, descendant d'une lignée de dignitaires chiites hautement respectés, prêchait alors tous les vendredis à la mosquée de Koufa, dans la banlieue de Najaf, fustigeant l'ingérence américaine et appelant ses partisans à se battre contre les envahisseurs étrangers.
A Najaf, à Koufa ou dans le quartier déshérité de Sadr City (ex-Saddam City), bastion du mouvement sadriste à Bagdad, son anti-américanisme virulent et ses discours populistes, lui valent alors le respect et l'admiration de nombreux chiites, tandis que sa milice multiplie les affrontements contre les troupes américaines.
En l'espace de quelques années, il devient ainsi un poids lourd de la politique irakienne, malgré les accusations d'exactions exercées par sa milice contre les sunnites irakiens au plus fort de la guerre civile et des violences intercommunautaires en Irak entre 2006 et 2008.
Nationalisme anti-Iranien
Quinze ans plus tard, visage rond et barbe grisonnante, coiffé du turban noir du prophète, l'ancien chef de milice radical se pose en héraut de la lutte pour les déshérités et contre les
"corrompus", incitant à de nombreuses manifestations notamment en 2015. Il plaide pour un Etat des citoyens et pour la
"réforme", le slogan phare de sa campagne menée avec les communistes au sein d'une alliance inédite.
Car tout comme le Parti communiste irakien (PCI) - un temps l'un des plus importants du monde arabe avant d'être écrasé par Saddam Hussein -, il prône une politique éminement nationaliste et refuse toute allégeance à l'Iran. Pour preuve, dès l'annonce des résultats partiels dans la nuit, ses partisans ont célébré leur victoire en scandent
"Bagdad libre! Iran dehors!".
Fort de sa victoire, Moqtada Sadr est un nationaliste sourcilleux de l'indépendance politique de son pays. Il n'est soutenu ni par les Etats-Unis, ni par l'Iran, et réclame aujourd'hui leur départ d'Irak après la victoire sur le groupe jihadiste Etat islamique (EI).
Si sa famille a été proche de l'ayatollah Khomeini, le fondateur de la République islamique d'Iran, et s'il a étudié plusieurs années dans ce pays, il revendique la souveraineté de l'Irak en matière de politique étrangère.
Un faiseur de roi, au coeur des futures alliances
Au terme des élections irakiennes, l'alliance du religieux chiite Moqtada Sadr et des communistes sur un programme anticorruption ("La marche pour les réformes") arrive désormais en tête dans six des 18 provinces, dont Bagdad, et en deuxième position dans quatre autres. Elle devrait donc avoir le plus de sièges et c'est en principe dans ses rangs que devrait être choisi le chef du gouvernement.
Lundi sur Twitter, Moqtada Sadr a tendu la main à de nombreuses forces politiques chiites, sunnites, laïques et kurdes. Il a ainsi proposé une alliance au Premier ministre sortant Haider al-Abadi, à un autre dirigeant chiite Ammar al-Hakim, ainsi qu'à Iyad Alawi et différents petits partis sunnites. Il a également tendu la main à deux formations kurdes contestataires, Goran et Nouvelle génération. Il a toutefois exclu le deuxième dans ce scrutin, Hadi al-Ameri, chef de la puissante organisation Badr soutenue et armée par l'Iran, ainsi que l'ex-Premier ministre Nouri al-Maliki.
Dans une nouvelle preuve d'indépendance vis-à-vis de l'Iran, Moqtada Sadr, toujours coiffé du turban noir des descendants du Prophète, s'est d'ailleurs rendu récemment en Arabie saoudite, grande rivale de l'Iran au Moyen-Orient.
Pour lui barrer la route, les Iraniens ont déjà entamé des rencontres avec différents partis. Un participant a indiqué à l'AFP que l'influent général iranien Qassem Soleimani tentait à Bagdad de rassembler les partis chiites conservateurs et d'autres petites formations. Le responsable militaire iranien a opposé son veto à une alliance avec la liste La marche pour les réformes de Moqtada Sadr.
Le bras de fer entre le chef chiite et Téhéran a d'ores et déjà commencé : si l'option
"iranienne" l'emportait, la "Marche pour les réformes" de Moqtada Sadr aura ainsi gagné les élections mais ne pourra pas gouverner...