Fil d'Ariane
C'est un poste qu'il avait taillé sur mesure, pour lui-même. A son arrivée au pouvoir en 1979 au terme d'une révolution, Ruhollah Khomeiny s'arroge la fonction la plus haute de l'Etat : il devient Guide suprême de la République islamique.
Un titre solennel, indispensable pour succéder aux centaines de rois et empereurs perses, jusqu'au dernier shah d'Iran. Un titre et un mandat à vie, qu'il conserve jusqu'à sa mort dix ans plus tard.
Parmi les religieux de son entourage, c'est Ali Khamenei qui le remplace. Un poste qu'il occupe toujours malgré son âgé avancé : 80 ans en juillet prochain.
Cela fait trente ans qu'une seule personne détient grosso modo tout le pouvoir, directement ou indirectement.Karim Lahidji, FIDH
Chef de la Justice, des armées, du renseignement et des médias : le Guide suprême est la figure conservatrice qui domine l'arène politique. Face à elle, toute velléité d'opposition est exclue.
La première tentative sera celle des réformateurs et leur président Mohamad Khatami. Porté au pouvoir par la liesse populaire en 1997, puis 2001, celui qu'on surnommait le "mollah souriant" tombe en disgrâce.
Son successeur sera le populiste Mahmoud Ahmadinejad. Il jouit un temps du soutien du Guide, jusqu'à sa réélection contestée en 2009 qui met le feu aux poudres. C'est la "révolution verte". Des centaines de milliers d'Iraniens descendent dans la rue. Le régime vacille. Alors le Guide suprême réagit... Sa répression sera féroce, y compris contre les leaders de la contestation, Mir Hossein Moussavi, Mohamad Khatami, Mehdi Karroubi.
À la suite des manifestations monstre de 2009 lancées sur des soupçons de fraude électorale à grande échelle, l'ex-président, réformateur, Mohammad Khatami, s'est vu interdire toute apparition dans les médias, mesure toujours d'actualité. Candidats malheureux à la présidentielle cette année-là, les réformateurs Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi sont en résidence surveillée depuis huit ans.
Aujourd'hui, ils ont tous trois disparu de la scène politique : "Ils sont soit en résidence surveillée, soit ils ne disposent plus de passeports pour voyager à, l'étranger", explique Clément Therme, chercheur à l'International Institute for Strategic Studies (IISS).
Une dissidence contrainte, si ce n'est au silence, au chuchotement et aux choix pragmatiques. Comme celle de l'actuel président Ali Rohani. Depuis 2013, les réformateurs ont placé leurs espoirs sur cet homme qui fait figure d'un relatif modéré sur le spectre politique national, et qui a entamé une politique d'ouverture vis-à-vis l'Occident couronnée en 2015 par la conclusion de l'accord international sur le nucléaire iranien.
Mais depuis la décision des États-Unis de se retirer unilatéralement de ce pacte en 2018, l'économie du pays se retrouve en chute libre, ce qui ne fait qu'attiser un mécontentement populaire qui s'est exprimé par des manifestations violentes dans des dizaines de villes de province au tournant du nouvel an 2018.
40 ans après la révolution, le Guide suprême et les organes institutionnels du régime (Assemblée des experts, Conseil des Gardiens de la Constitution) gardent une mainmise totale sur le pouvoir. Les grands partis qui structurent la vie politique en Iran,n dont les réformateurs, traversent donc une passe difficile...même si, pour Karim Lahidji du FIDH, 80% des Iraniens sont opposés au régime qui les gouverne.
Mais les échecs des réformateurs, le manque de flexibilité du système et son refus du changement, les répressions successives et sanglantes, sans compter la corruption rampante des classes dirigeantes, des mollahs aux gardiens de la révolution, ont anéanti la confiance de la population en la politique...
Reste le fait qu'un jour au l'autre, vu l'âge avance de l'ayatollah Ali Khamenei, l'Iran devra trouver un successeur au Guide suprême iranien. Avec une question en suspens: un changement au sommet de l'État conduira-t-il à un changement de modèle au coeur de ce régime institué en 1979 ?