L’Allemagne a pris tout le monde de vitesse. Elle a envoyé dès ce dimanche à Téhéran, son vice-chancelier et surtout ministre de l’Economie, Sigmar Gabriel. Il est le premier responsable occidental de haut rang à se rendre en Iran depuis la signature de l’accord sur le nucléaire, le 14 juillet dernier.
De gauche à droite, les ministres des Affaires étrangères chinois, français, allemand, la Haute représentante de l'Union européenne pour les Affaires étrangère et la politique de sécurité, le ministre des Affaires étrangère iranien, le dirigeant de l'organisation de l'énergie atomique d'Iran, le Secrétaire d'Etat des Affaires étrangères du Royaume-Uni, les Secrétaires d'Etat et de l'Energie des Etats-Unis à Vienne le 14 juillet 2015.
Bien entendu, il se fait accompagner d’une délégation d’entrepreneurs. Le patron de la Chambre allemande du Commerce et de l'Industrie (DIHK), Eric Schweitzer, qui accompagne M. Gabriel, a qualifié ce voyage de "signe encourageant" pour les entreprises. Berlin et Téhéran entretenaient des relations commerciales traditionnellement fortes jusqu'à la mise en place des sanctions internationales, mais les Allemands, comme les autres Occidentaux, ont perdu du terrain face aux firmes chinoises ou sud-coréennes. En Allemagne, la perspective d'une levée des sanctions a été saluée par la puissante fédération de l'industrie BDI, qui juge "réaliste" un volume d'exportations allemandes vers l'Iran à moyen terme de plus de 10 milliards d'euros, contre 2,4 milliards d'euros en 2014, notamment grâce au besoin de modernisation de son industrie. Toutes les entreprises occidentales attendent en fait avec impatience la réouverture de ce marché plus que prometteur. Iran L'Iran s'attend à une ruée des investisseurs étrangers dès la levée des sanctions internationales prévue dans l'accord nucléaire. C’est un vaste pays de 78 millions d'habitants, riche en pétrole et en gaz. "Les entreprises sur le point de bénéficier le plus immédiatement" de la levée des sanctions "sont celles qui sont déjà présentes en Iran", selon Ramin Rahii, directeur à Téhéran de Turquoise Partners qui conseille les investisseurs étrangers. Parmi elles figurent de grands groupes comme Danone, Airbus, LVMH et PSA. Le constructeur automobile français PSA Peugeot Citroën, qui avait quitté son deuxième marché en volume en 2012, a mené des "discussions intenses" avec son partenaire Irankhodro pour créer une nouvelle co-entreprise. PSA a estimé que l'accord "devrait permettre une avancée significative de (ses) discussions en cours". A cet égard, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius a annoncé sa venue en Iran à une date non fixée La ministre italienne du Développement économique, Federica Guidi, fait elle aussi savoir qu'elle est prête à partir pour Téhéran à la tête d'une mission commerciale qui sera mise sur pieds "dans les prochaines semaines". Mme Guidi a rappelé que "l'Italie était le premier partenaire économique et commercial de l'Iran avant les sanctions", souhaitant que son pays retrouve cette place. Le secteur des hydrocarbures vient en tête des espoirs des investisseurs. Il est vieillissant et sous-développé depuis dix ans, L'Iran possède les quatrièmes réserves mondiales de pétrole, mais a vu sa production chuter à moins de 3 millions de baril par jour (mbj) depuis 2012, et ses exportations diminuer de moitié, environ 1,3 mbj actuellement contre 2,5 mbj en 2011. L'Iran possède également les premières réserves mondiales de gaz dont il a été l'an dernier le 4ème producteur mondial. “Notre priorité est de développer nos champs de pétrole et de gaz en utilisant les potentiels nationaux et étrangers", a déclaré le ministre iranien du pétrole, Bijan Zanganeh. Il a également indiqué que son pays voulait "accélérer" le développement de l'industrie pétrochimique.
Automobiles françaises
Côté industrie automobile, les Français espèrent tirer leur épingle du jeu. Le taux de motorisation est six fois inférieur à l'Europe occidentale, avec une classe moyenne solvable et avide de mobilité. Sous l'effet des sanctions, la production automobile iranienne est passée de 1,6 million d'unités en 2011 à 800.000 en 2013. Le gouvernement de la République islamique ambitionne de produire 3 millions de voitures d'ici à 2020.
Les constructeurs tricolores, qui ont détenu jusqu'à un quart du marché iranien, bénéficient d'une bonne image de marque, selon des experts du marché. PSA Peugeot Citroën, pense que sa nouvelle co-entreprise pourrait produire quelque 400.000 unités annuelles à moyen terme. Actuellement, IranKhodro produit 350.000 voitures par an sous la marque Peugeot, mais PSA ne les comptabilise pas dans ses statistiques, car fabriquées en "système D" avec des pièces locales et chinoises. Mais le retour de PSA en Iran ne sera pas facile. "On est malheureusement assez attaqués dans la société iranienne par le fait qu'on les a abandonnés pendant la période difficile", déplorait, il y a peu, le patron du groupe, Carlos Tavares. Côté concurrents, les constructeurs chinois "sont tous à la porte, également des Américains", ajoute M. Tavares. Renault est pour sa part resté en Iran, où il importe des pièces détachées assemblées dans son usine de Téhéran pour la "Tondar", version locale de la Dacia Logan. Mais avec une production réduite. Pour Renault, "l'Iran est un marché stratégique" et le constructeur fera tout pour "être prêt, le cas échéant, à redémarrer à un rythme normal", indiquait récemment une porte-parole du constructeur au losange.
Toutefois, un retour des investisseurs et une reprise économique conséquente ne devraient pas intervenir avant plusieurs mois. Beaucoup reste encore à faire. Pour David Ramin Jalilvand, du European Policy Center (EPC) basé à Bruxelles, l'accord de Vienne ne résout pas tous les problèmes. "Il faudra attendre au moins début 2016 pour que les sanctions liées à l'énergie soient levées" après vérification par l'AIEA que l'Iran respecte bien ses engagements. Et les étrangers pourraient aussi être réticents à investir en raison du risque de retour automatique des sanctions ("snap-back") si Téhéran ne tient pas ses promesses. Mohammad Gholi Youssefi, professeur d'économie à l'Université Allameh Tabatabaie à Téhéran, ajoute que les investissements étrangers ne suffiront pas car l'Iran "a besoin de réformes économiques fondamentales" pour éliminer la corruption, la bureaucratie et relancer la production industrielle.
Pourtant, le temps presse. La levée partielle des sanctions après un accord intérimaire conclu en novembre 2013 et les mesures techniques du gouvernement du président modéré Hassan Rohani ont permis au pays de retrouver une croissance de 3% l'année dernière, après deux années de récession, de baisser l'inflation de 40 à 15%, et de stabiliser la monnaie iranienne qui a perdu les deux tiers de sa valeur. Mais ces mesures vont bientôt atteindre leurs limites. Le président pourrait alors perdre les résultats engrangés par sa politique économique. Dans l’immédiat, les gros investisseurs attendent en priorité que l'Iran soit au réseau international de transactions bancaires SWIFT, qui empêche la plupart des entreprises présentes en Iran de transférer directement des fonds de ou vers ce pays. « Cependant", selon une note d'un cabinet juridique de la City à Londres, "la grande question est de savoir si le système bancaire occidental va autoriser ses clients à traiter avec l'Iran". "Si ce n'est pas le cas, alors le monde international des affaires pourra légalement commercer" avec ce pays, "mais il aura les mains liées, car ses banques refuseront de l'autoriser à être payé".