Iran: Hassan Rohani, l'homme du changement ?

Alors que l'Iran vient de fêter le 35ème anniversaire de la révolution islamique, Hassan Rohani semble donner de nouvelles perspectives au pays. Huit mois après son élection, quels sont les changements déjà perceptibles ? Réponse avec Thierry Coville, chercheur à l'IRIS et Clément Therme, spécialiste de l'Iran à l'Université de Genève. 
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Iran: Hassan Rohani, l'homme du changement ?
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Quel est le principal changement réalisé par Hassan Rohani ? Thierry Coville : Ce sont les accords de Genève sur le nucléaire iranien dans la suite logique de son élection. Il s'est fait élire grâce à son programme qui était de sortir de la crise nucléaire par la négociation. Ce n’est donc pas une surprise mais une réelle avancée. Je ne sais pas si cela va aboutir à un vrai réchauffement entre les Etats-Unis et l’Iran mais, selon moi cette situation ressemble à celle de la Chine communiste lorsqu’elle a renoué les relations avec les Etats-Unis à un moment donné. En tout cas, quelque chose s'est passé, il y a eu un vrai déclic et le 24 novembre 2013 est une date importante. Mais il faut bien se dire que cela est tout sauf spontané. Il y a un calcul stratégique derrière tout ça. L'Iran se sent isolé dans la région et agressé par l'Arabie saoudite. L'objectif de ces négociations est de s'affirmer en tant que puissance régionale et cela passe par une entente avec les Etats-Unis.
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John Kerry et Mohammad Javad Zarif, les chefs de la diplomatie américaine et iranienne, se serrent la main après la signature de l'accord de Genève sur le nucléaire iranien
Clément Therme : C'est un accord intérimaire pour l'instant. Mais c'est quand même une première victoire pour le président Rohani. Cet accord signifie un changement complet de la stratégie diplomatique iranienne vis à vis de l'Occident avec l'idée qu'il faut parvenir à une solution sur le programme nucléaire pour assurer le développement économique du pays. On l'a vu avec la visite du Medef (Mouvement des entreprises de France, ndlr)  en Iran, on joue la carte des grandes entreprises occidentales pour avoir un levier sur ce qu'on appelle les néoconservateurs, anti-Occident. C'est une nouvelle stratégie diplomatique qui n'était pas déployée à l'époque d'Ahmadinejad. Lui, ne pensait pas utile de jouer la carte des grandes entreprises pour influer sur le débat politique concernant l'Iran, en Occident. Des perspectives ont été créées notamment dans les relations économiques avec l'Europe (le premier partenaire de l'Iran dans les années 1990). On peut donc s'attendre à une évolution dans les prochains mois si les entreprises européennes sont autorisées à investir en Iran.
Au niveau national, quels changements peut-on observer depuis l’arrivée d’Hassan Rohani au pouvoir ? T.C : Les accords de Genève ont fait du bien à l’économie iranienne. La levée partielle des sanctions par la communauté internationale a permis au pays de récupérer 4 ou 5 milliards de dollars de revenus pétroliers. D’autres petites avancées sont aussi à noter. A l’université, l’atmosphère est plus libre (les associations d’étudiants sont désormais autorisées, ndlr). Du côté de la presse, il y a moins de censure. Le président iranien a aussi rédigé une « charte des droits civils » pour garantir les mêmes droits à tous les citoyens mais, malheureusement, il n’a pas les moyens de la faire appliquer car l’instance judiciaire est indépendante de lui et contrôlée par le Guide Ali Khamenei. C.T : Grâce à l'accord, il y a eu une suspension de sanctions concernant l'automobile donc on peut envisager par exemple des participations importantes de Peugeot et Renault dans la reconstruction du secteur de l'automobile iranien et des perspectives immédiates de reprise du travail à la fois en France et en Iran. Ensuite, il y a le secteur de la pétrochimie et de l'aéronautique avec les pièces détachées des avions. C'est un choc de confiance car auparavant, il n'y avait aucun espoir avec Ahmadinejad. Le simple fait que les acteurs économiques reprennent espoir est un premier effet psychologique. Mais on en est encore aux prémices, quelques mois ne suffisent pas à mettre fin à un isolement international et à un embargo. Sur le plan politique,,il y a une amélioration de la gestion avec la nomination de personnalités compétentes qui ne sont pas choisies sur des critères idéologiques. La nomination de technocrates, est un vrai changement.
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Les manifestants du Mouvement vert de 2009 ont crié à la fraude lors de la réelection de Mahmoud Ahmadinejad
De plus, il y a eu quelques symboles comme la libération de Nasrin Sotoudeh (avocate iranienne, ndrl) pour apaiser les tensions avec l'Occident mais ça reste très largement cosmétique puisque le pouvoir judiciaire n'est pas contrôlé par le président. Mehdi Karoubi, un des chefs du Mouvement vert , a récemment changé de résidence. Avant, il était dans une résidence officielle de l'Etat iranien et maintenant, il est chez lui mais toujours en résidence surveillée. Mais on ne sait pas s’il sera libéré. Par contre, le parti politique de Medhi Karoubi, a été relancé et ça c'est nouveau. On a aussi assisté à la réouverture de la Maison du cinéma, fermée depuis Ahmadinejad. C'est le signe d'une plus grande ouverture culturelle.
Quelles sont les autres perspectives d'Hassan Rohani ? T.C : Récemment, les principaux mouvements verts ont demandé la libération de deux de leurs leaders, actuellement en prison. C’est un sujet très important car le Mouvement vert de 2009 est encore dans toutes les mémoires. Le ministre de la justice a annoncé que leur cas allait être statué bientôt. C’est dont un verdict très attendu et si quelque chose bouge à ce niveau là, ce sera une décision très importante. Pour ce qui est du reste, il a plusieurs priorités qui constitueraient de grands changements. Mais pour cela, il faut que les sanctions appliquées par les américains soient levées, entièrement. Hassan Rohani veut attirer des investissements étrangers, et notamment américains, dans le domaine de l’énergie par exemple. Il veut aussi développer le poids du secteur privé. On a vraiment l'impression que Rohani est l'antithèse d’Ahmadinejad. Les objectifs de l'Iran n'ont pas vraiment changé mais la méthode et la personnalité sont différentes. Ahmadinejad était pour la confrontation et Rohani est pour la négociation. C.T : La priorité d'Hassan Rohani est de faire de l'Iran un pays émergent en intégrant par exemple le pays à l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) , en accentuant les échanges avec l'Occident et en obtenant la levée de l'embargo. Maintenant la question est de savoir si le président en a la capacité et les moyens.