Fil d'Ariane
"Quatre prisonniers, des condamnés pour vol, sont morts en raison de l'inhalation de fumée et 61 autres ont été blessés dont quatre grièvement", indique l'Autorité judiciaire iranienne. Le 15 octobre, un incendie s’est déclaré dans la prison d’Evin à Téhéran. L’agence officielle Irna explique qu’il a été provoqué par des "voyous qui ont mis le feu à un entrepôt de vêtements", et des affrontements ont opposé "émeutiers" et gardiens.
Selon les autorités, le feu a été maîtrisé et “la situation est revenue à la normale.” D'après des images postées sur les réseaux sociaux, des coups de feu et le bruit d'explosions ont été entendus durant l'incendie à la prison.
Iran : la prison d'Evin en proie à un important incendie
La prison d’Evin, qui a une capacité de 15 000 détenus, est connue pour ses mauvais traitements des prisonniers politiques. Elle est construite sous le règne du dernier shah d'Iran, en 1972, à l'initiative de la Savak, la police politique. Après la révolution islamique de 1979, la prison d'Evin reste la prison des opposants politiques. Elle devient ensuite le coeur de plusieurs événements qui soulignent la fragilité du pouvoir d'Assan Rohani.
Depuis le 16 septembre, l’Iran est en proie à un important mouvement social. Il a débuté à la mort de Mahsa Amini, une jeune femme de 22 ans arrêtée par la police des moeurs pour “tenue indécente.” Des centaines des personnes arrêtées lors des protestations contre la mort de Mahsa Amini auraient été envoyées dans la prison d’Evin. Pourtant, l’agence Irna souligne que les troubles à Evin n'ont "rien à voir" avec les manifestations dans le pays déclenchées par la mort de Mahsa Amini, et entrées dans leur cinquième semaine malgré la répression qui a fait au moins 108 morts selon l'ONG Iran Human Rights (IHR).
Régulièrement, les conditions de détention de cet établissement pénitentiaire sont dénoncées et des attaques ont souvent lieu. En août 2021, l’ONG Amnesty International révèle 16 vidéos, prises entre avril 2021 et décembre 2015, qui montrent les conditions de vie des prisonniers. Cellules surpeuplées, mauvais traitements de la part des gardiens, automutilations, agressions de détenus entre eux… Les abus sont nombreux. “Il est consternant de voir ce qui se passe entre les murs de la prison d’Evin, mais malheureusement, les abus que montrent ces vidéos obtenues à la suite d’une fuite, ne représentent que la partie visible de l’iceberg de l’épidémie de torture en Iran”, dénonce Heba Morayef, directrice pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International. Le responsable des prisons iraniennes a d’ailleurs reconnu l’authenticité de ces vidéos, rapporte le média en ligne ArabNews.
Quelques années plus tôt, en avril 2014, une violente attaque a eu lieu dans l’enceinte de la prison. Menée par une centaine de corps des gardiens de la révolution islamique, des agents du renseignements et de la garde spéciale anti-émeute, elle était dirigée contre la section des prisonniers politiques, rapporte le site d’information français le HuffPost. L’attaque a duré cinq heures. D’après les ordres donnés aux assaillants, des moudjahidines ont été battus "avec l'intention de tuer". Suite à cette attaque, des prisonniers entament une grève de la faim pour exiger le retour de leurs codétenus à la section générale de la prison. Les familles des prisonniers politiques manifestent également pour demander des informations sur l’état de santé de leurs proches.
Un autre facteur important de la réputation de cette prison est le nombre de détenus étrangers qui se trouvent entre ses murs. Parmi eux, cinq Français, soupçonnés majoritairement d’espionnage. “ Une fois arrêté, il est très difficile pour vos proches de savoir ce qui vous arrive”, rapporte Roland Marchal, chercheur au CNRS et au Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences-Po Paris, dans une interview à TV5MONDE. Il a lui-même passé plus de neuf mois dans la prison d’Evin, entre 2019 et 2020. Fariba Abdelkhah, une anthropologue franco-iranienne, a été arrêtée en même temps que lui. Elle a bénéficié d'une permission de sortie en octobre 2020, mais doit rester à Téhéran, avec un bracelet électronique. Elle est de nouveau incarcérée à la prison d'Evin en janvier 2022.
Je n'ai jamais été jugé donc je ne saurai jamais ce que contenait exactement mon acte d'accusation.Roland Marchal, chercheur au CNRS et ancien détenu de la prison d'Evin
Par ailleurs, le chercheur explique que les conditions de son arrestation et de son emprisonnement sont restées floues. “Je n'ai jamais eu de conversation seul à seul avec mon avocat sur ce qu'on me reprochait, détaille-t-il. Je n'ai jamais été jugé donc je ne saurai jamais ce que contenait exactement mon acte d'accusation.” Roland Marchal estime cependant que les prisonniers étrangers restent mieux traités que les détenus iraniens. “Ce qui frappe surtout, c'est l'arbitraire qui s'abat sur vous, raconte le chercheur. Il s'abat de manière d'autant plus brutal sur les Iraniens, y compris les binationaux car la bi-nationalité n'est pas reconnu juridiquement en Iran.”
Vous pouviez dans le meilleur des cas, comme moi, être dans une cellule totalement convenable, mais vous pouviez aussi vous retrouver en isolement absolu dans une cellule où vous ne sortez que les yeux bandés.Roland Marchal, chercheur au CNRS et ancien détenu de la prison d'Evin
“Ce que j'ai appris de mes conversations avec mes codétenus, c'est que les conditions de détention pouvaient changer du tout au tout, résume Roland Marchal. Vous pouviez dans le meilleur des cas, comme moi, être dans une cellule totalement convenable, mais vous pouviez aussi vous retrouver en isolement absolu dans une cellule où vous ne sortez que les yeux bandés, et où vous avez deux fois une demie-heure de sortie pour marcher dans une petite cour, là encore les yeux bandés.”
(Re)voir : En Iran, l'écart se creuse entre une société "très moderne" et un régime "militarisé et moyenâgeux"