Quinze jours après la signature de l’accord sur le nucléaire iranien, Laurent Fabius, le ministre français des Affaires étrangères, est à Téhéran ce 29 juillet 2015 sur invitation de son homologue iranien, Mohammad Javad Zarif. Mais sa venue est vivement critiquée par le camp conservateur iranien.
C’est au tour de la France d’aller négocier des contrats commerciaux avec l’Iran. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, est attendu à Téhéran ce 29 juillet, deux semaines après la signature de l’accord sur le nucléaire iranien avec les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies (Etats-Unis, Royaume-Uni, France, Russie, Chine) plus l'Allemagne, le 14 juillet 2015 à Vienne (Autriche).
Cet
accord, qui limite les activités nucléaires de la République islamique et lève une partie des sanctions imposées au pays par les Nations unies depuis 2006, a été salué à travers le monde. Et le défilé des grandes puissances, pressées d’ouvrir les échanges commerciaux avec l’Iran, a déjà commencé avec l’Allemagne le 15 juillet dernier.
En dix ans, c’est la première visite d’un chef de la diplomatie française à Téhéran. Dans une tribune traduite en persan, publiée mardi 28 juillet 2015, par le quotidien gouvernemental
Iran, Laurent Fabius écrit qu'après l'accord nucléaire du 14 juillet,
« la voie est (...) ouverte pour une relance de notre dialogue bilatéral. La France, puissance de sécurité et de paix, a toujours entretenu avec l’Iran des relations marquées par le respect et la franchise, y compris quand nous avons des différences d'approche ».
Soutenu par le gouvernement de la République islamique, Laurent Fabius a cependant été largement critiqué par les médias et personnalités du milieu conservateur, dès l'annonce de sa prochaine visite.
Le scandale du sang contaminé en ligne de mire
Dernier reproche en date : l’intransigeance française durant les négociations nucléaires. Mais les dossiers du passé resurgissent aussi. La prise de position de la France en faveur de l’Irak dans la guerre qui l’oppose à l’Iran entre 1980 et 1988, ou encore l’affaire du sang contaminé dans les années 1980-1990, lorsque Laurent Fabius était Premier ministre.
À l’époque, le Centre national de transfusion sanguine distribue des produits sanguins contaminés par le VIH, provoquant la mort de centaines de personnes en France. Ces mêmes produits, interdits en France par la suite, ont cependant continué à être exportés à l'étranger, notamment en Iran, y entraînant l'infection et la mort de plusieurs centaines de personnes.
Innocenté par la justice française en 1999, le ministre français reste le premier responsable du scandale pour le camp des conservateurs iraniens. Laurent Fabius
« vient en Iran pendant la semaine du soutien aux hémophiles, ce qui nous rappelle nos chers compatriotes qui sont morts à cause de l'importation de sang contaminé dont le principal responsable est Fabius », remarque un ancien représentant du Guide suprême au sein des Gardiens de la révolution, Mojtaba Zolnour, à l’agence de presse Fars.
« Fabius, c'est la France (...) La manière dont il sera accueilli sera pour nous une évaluation du comportement de l'Iran »
Face à ces attaques, le ministre iranien de la Santé, Seyed Hassan Hashemi, a pris la défense du chef de la diplomatie française.
« Fabius est une personnalité internationale (...) il n'est pas dans l'intérêt du pays de soulever cette question (du sang contaminé NDLR) maintenant ». Avant d’ajouter :
« comme si, par exemple, demain une personnalité allemande voulait venir en Iran, et on soulevait la question du rôle de l'Allemagne pendant (la Seconde) Guerre mondiale ». Il a toutefois rappelé que l'Iran et la France avaient
« une querelle juridique » sur cette question.
À Paris, le président François Hollande a déclaré, lundi 27 juillet, que la visite de Laurent Fabius en Iran serait un test pour Téhéran, après la conclusion de l'accord historique sur le programme nucléaire iranien.
« Fabius, c'est la France (...) La manière dont il sera accueilli sera pour nous une évaluation du comportement de l'Iran ».
Analyse de Slimane Zeghidour, rédacteur en chef et éditorialiste à TV5MONDE
Pour certains spécialistes de la région, c’est avant tout la position « dure » de la France pendant les derniers pourparlers qui est critiquée.
La visite de Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères, en Iran mercredi 29 juillet 2015, soit quinze jours après la signature de l’accord sur le nucléaire iranien, est vivement critiquée par les conservateurs à Téhéran. Pourquoi ? Slimane Zeghidour : L’Iran, avec d’un côté les modérés et de l’autre les durs, a une diplomatie très rodée. Celle de toujours faire croire à ses partenaires étrangers que rien n’est jamais acquis avec eux. Laurent Fabius ou non, c’est une constante dans leur posture diplomatique, quel que soit l’interlocuteur.
Néanmoins, derrière Laurent Fabius, il y a la France. Et selon les Iraniens, le pays a adopté l’attitude la plus sévère, la plus implacable contre l’Iran lors des dernières négociations. Ce qui n’est pas nouveau. Bernard Kouchner est le seul ministre des Affaires étrangères (sous la présidence de Nicolas Sarkozy, ndlr), à avoir prononcé le mot « guerre » contre l’Iran en 2007. Ce qui n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd à Téhéran. Surtout qu'aucune autre personnalité politique occidentale n’a jamais employé ce terme que ce soit Tony Blair, David Cameron, Barack Obama, George W. Bush, ou Angela Merkel.
D’autre part, il y a une très longue histoire du nucléaire iranien avec la France. À l’époque du Chah (Mohammad Reza Chah Pahlavi, dernier monarque d’Iran entre 1941-1979, ndlr), la France a accepté de former des dizaines de savants atomistes iraniens. En contre partie, l’Iran a investi un milliard de francs dans la société
Framatome (Areva NP), le géant de l’atome français à cette période. Après la chute du régime du Chah et la révolution islamique en 1979, l’Iran a souhaité être remboursé de cette somme au nom de la continuité de l’Etat. S’en sont suivis
divers contentieux et vagues d’attentats meurtriers qui ont dégradé durablement les relations entre les deux pays.
Pourquoi, à l’image de l’Allemagne, les autres grandes puissances ne soulèvent pas autant les foules en Iran ? S. Z : Si le vice-chancelier allemand, Sigmar Gabriel, qui s’est rendu en Iran dès le lendemain de la signature de l’accord a été reçu très chaleureusement, c’est parce que les Allemands n’ont jamais fait de surenchère anti-iranienne. Au contraire, ils se sont employés à maintenir leur position commerciale. Et s’en sont tenus à une attitude de fermeté raisonnable et discrète envers l’Iran.
Alors que si on en juge par les propres déclarations de Laurent Fabius, ce dernier a été le plus exigeant, le plus rigoureux, incitant au maximum de vigilance et donc, le moins confiant dans la volonté des Iraniens d’aboutir à cet accord. Je pense donc que les conservateurs veulent rendre leur politesse aux Français, en freinant la signature de contrats commerciaux. C’est une manière pour les durs de faire savoir qu’ils n’oublient pas la position de la France pendant les négociations.
Pourquoi la France a-t-elle joué ce rôle là ? S. Z : C’est une vraie question. Il faut leur demander. Les autres puissances ont été très fermes sur des positions de principe, mais n’ont pas fait de surenchère verbale. Et n’ont pas pris de position en flèche qui aurait pu éventuellement écorner l’orgueil ou la fierté des Iraniens.