Iran : où en est-on un mois après la mort de Mahsa Amini ?

Le 13 septembre 2022 Mahsa Amini, étudiante de 22 ans était arrêtée pour un voile jugé "mal porté". Elle meurt après avoir détenue par la "police de la moralité" le 16 septembre. Dès l'annonce de sa mort  les manifestation débutent aux cris de "Femme,Vie et Liberté". Elles s'étendent dans les principales villes du pays de Téhéran, la capitale, à Sanandadj dans le Kurdistan iranien. Selon l'ONG Iran Human Rights Watch, la répression du régime a fait au moins 201 morts. Pourtant la contestation ne faiblit pas. Où en est l'Iran, un mois après la mort de Mahsa Amini ?
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IRAN MANIFESTATIONS
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Dans cette photo prise le 21 septembre 2022 des manifestants contre le régime islamique iranien bloque une des artères de Téhéran.
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  • Où en est-on de l'enquête promise sur la mort de Mahsa Amini par le pouvoir iranien ?

Le 15 septembre, des défenseurs des droits de l'Homme rapportent qu'une Iranienne de 22 ans est dans le coma après avoir été arrêtée le 13 à Téhéran par la police des moeurs pour non-respect du code vestimentaire strict pour les femmes en République islamique d'Iran, prévoyant notamment le port du voile. Selon la police elle est morte à l'hôpital le 16 septembre. La jeune femme aurait été "prise subitement d'un problème cardiaque". Le président iranien Ebrahim Raïssi demande alors l'ouverture d'une enquête. La police assure, elle, qu'il n'y a "pas eu de contact physique" avec la jeune femme. La télévision d'État diffuse des extraits d'une vidéo filmée au commissariat pour appuyer cette version.

Le père de la victime déclare le 19 que la vidéo de la police a été "coupée" et affirme que sa fille a "été transférée tardivement à l'hôpital". Le 28 septembre, la famille de Mahsa Amini porte plainte contre les "auteurs de son arrestation". La mort de Mahsa Amini serait liée à une maladie du cerveau et n'aurait pas été causée par des coups, affirme un rapport médical publié le 7 par la République islamique.
 
  • Où en sont les manifestations ? Qui sont les manifestants ?

Dès le 18 septembre, après l'annonce de la mort de Mahsa Amini, des manifestations sont organisées à Sanandadj, capitale du Kurdistan iranien dont était originaire l'étudiante. Plusieurs femmes enlèvent alors leur voile en signe de protestation. Très rapidement les manifestations s'étendent dans d'autres villes du pays dont la capitale iranienne, Téhéran. Les étudiants de l'Université de Téhéran scandent "Femme ! Vie ! Liberté !".

Lire : #MahsaAmini, le nom de la révolte contre les diktats imposés aux femmes en Iran

Les premières manifestations regroupent essentiellement des jeunes, urbains, étudiants.  Les universités deviennent en effet le théâtre des manifestations également à Tabriz, à Yazd ou Ispahan.

Le mouvement va dépasser le seul cadre estudiantin et va s'élargir aux autres classes sociales urbaines. Les Iraniens manifestent dans une quarantaine de villes. Des mouvements de grève générale sont lancées dans les principales villes du pays, essentiellement à Téhéran et à Sanandadj dans le Kurdistan iranien.

Le 10 octobre, la contestation s'étend au secteur pétrolier, avec des grèves et des rassemblements dans l'usine pétrochimique d'Assalouyeh (sud-ouest), à Abadan (ouest) ou Bouchehr (sud), d'après l'IHR. Le 17 octobre, les ouvriers du secteur energétique lançent à nouveau un appel à la grève générale. "Ces manifestations concernent tout l’Iran. Les grandes villes comme la campagne sont touchées : de Machhad à Qom en passant par le Kurdistan et le Baloutchistan. C’est également la première fois depuis la Révolution de 1979  que les femmes ont un tel rôle, presque de leader, dans ces protestations", constate Thierry Coville, chercheur et spécialiste de l'Iran, dans une note de l'Institut de relations internationales et stratégiques.

A la quatrième semaine de contestation, la mobilisation ne faiblit pas comme l'atteste ces images de manifestations dans le sud du pays ce 12 octobre relayé par l'ONG Iran Human Rights Watch.
  • Quelles sont les revendications des manifestants ?

Les premiers slogans "Femme ! Vie ! Liberté !" vont faire place rapidement à une remise en cause du régime théocratique iranien. Les manifestants scandent "Mort à la République islamique !". La plus haute autorité du pays Ali Khamenei est également visé. "Mort à Khamenei !" peut-on entendre dans les cortèges.

Le mouvement se tranforme et remet en cause le régime. Le 8 octobre, lors du journal de 21 heures, la chaîne d'Etat, IRINN est piratée pendant une dizaine de secondes en direct. À l'écran, le visage du guide suprême iranien, Ali Khamenei est représenté en train de brûler, pris par les flammes. On voit également les photos de quatre femmes tuées ces dernières semaines, avec un appel lancé aux Iraniens à descendre dans la rue pour renverser le pouvoir théocratique iranien.
Voir : la mobilisation se poursuit contre le régime
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  • Comment réagit le pouvoir iranien ?

Dans un premier temps le pouvoir iranien tente de temporiser. Le président Ebrahim Raïssi promet une enquête sur les raisons de la mort de Mahsa Amini. Un parlementaire iranien le 20 septembre s'interroge sur la question du maintien de la police de moralité, estimant que celle ci cause des "dommages au pays". Face à la montée de la contestation du régime le ton va changer assez rapidement. L'enquête lancée par le pouvoir blanchit la police. Mahsa Amini serait morte d'une "maladie du cerveau".

Le 22 septembre les autorités bloquent l'accès à Instagram et à WhatsApp, les deux applications les plus utilisées en Iran. Les appels aux rassemblements passent pas les réseaux sociaux. La répression s'installe. Le 25 septembre, le président Raïssi appelle les forces de l'ordre à agir "fermement" contre les manifestants. Le chef du pouvoir judiciaire menace de ne faire preuve d'"aucune indulgence".

Au 12 octobre selon l'ONG Iran Human Rights Watch basé à Oslo, les forces de sécurité ont tué depuis le début des manifestations 201 personnes dont 28 enfants. Le 28 septembre, le pouvoir annonce avoir arrêté 1200 manifestants qualifiés "d'émeutiers".

Le 23 septembre, le pouvoir iranien organise des contre-manifestations. Plusieurs milliers de personnes manifestent pour la "défense du port du voile".
Le pouvoir en place accuse des États étrangers d'orchestrer les manifestations contre le régime islamique. Le 3 octobre, dans sa première réaction aux manifestations, l'ayatollah Khamenei accuse les États-Unis, Israël et leurs "agents" d'être derrière le mouvement de contestation. Le 13 octobre, le président Raïssi estime que l'Iran est la "cible" des États-Unis. Washington serait derrière ces manifestations contre le régime.

Malgré la poursuite de la répression, la contestation ne semble pas faiblir. Quelles sont les marges de manoeuvres du régime ? En 2009, le régime islamique avait été également confronté à une forte contestation populaire.

Le mouvement vert ou soulèvement postélectoral en Iran qui suivit l'élection présidentielle iranienne de 2009 avait eu lieu en réaction à l'annonce des résultats de l'élection. Le pouvoir fut accusé de fraude électorale pour garder au pouvoir le conservateur Mahmoud Ahmadinejad au détriment du réformateur Mir Hossein Moussavi. Le régime avait réussi à étoufer la contestation par la représsion et en écartant les politiques jugés réformateurs au sein du régime.

Selon Thierry Coville, chercheur à l'IRIS et spécialiste de l'Iran, le régime est aujourd'hui dans une impasse politique. Il n'a pas d'alternative réformiste à proposer à cette jeunesse qui manifeste. "À la suite du soulèvement post-électoral, également appelé « mouvement vert », le Guide Ali Khamenei a commencé à fermer la porte à toute avancée des forces politiques modérées. Ce sentiment d’impasse politique explique en partie la colère des plus jeunes. Il n’y plus aucune perspective d’évolution à l’intérieur du régime", explique le chercheur dans une note de l'IRIS.

Voir :  retour sur plusieurs années de contestation et de répression
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