Iran : quels changements attendre après les élections ?

Après les résultats partiels des élections législatives iraniennes du 26 février dernier, le président sortant Hassan Rohani devrait être reconduit pour un second mandat. Quels changements ces élections pourraient-elles entraîner tant au niveau régional que mondial? Réponse de Bernard Hourcade, chercheur au CNRS et spécialiste de l'Iran.
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électrices téhéran iran
Des femmes votent à Téhéran le 26 février 2016 dans le cadre des élections législatives iraniennes. Dans cette photo, la jeune femme montre sa main portant l'inscription "30+16", un slogan des réformistes appelant le peuple à voter pour eux et pour les modérés. 
©AP Photo/Vahid Salemi
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Bernard Hourcade est directeur de recherche émérite au CNRS, dans l'unité des mondes iranien et indien. Il répond à nos questions sur les résultats des élections législatives iraniennes, le fonctionnement de la République islamique et les changements que ces élections pourraient entraîner tant au Moyen-Orient qu'au niveau mondial.

Ces élections ont vu le président Hassan Rohani  — présenté comme un « conservateur modéré » — être conforté. Mais pour autant, le « camp de Rohani » n'est pas majoritaire au sortir de l’élection. Peut-on vraiment parler de victoire des modérés et des réformateurs dans ce cas là ?

Bernard Hourcade : Ces élections sont d’abord un plébiscite de la politique de Rohani et du Guide de la République, sur l’accord sur le nucléaire. C’est-à-dire un compromis avec les grandes puissances, une acceptation de l’ouverture économique et politique. 
Hourcade
Bernard Hourcade


L’Iran a accepté de détruire 15 000 centrifugeuses le 14 juillet 2015, pour avoir une place internationale.  Les élections ont donc conforté cette politique, mais qui a des objectifs limités :  avant toute chose l’ouverture internationale dans un but économique, mais pas plus que ça.

Le mot « conservateur » opposé aux « modérés » ne veut plus rien dire aujourd’hui, parce que tous ceux que l’on nomme conservateurs ont voté aux trois-quart en faveur des accords sur le nucléaire. Alors qu’ils sont majoritairement anti-Américains, anti-sionistes, etc, etc … La ligne dure, opposée à l’ouverture, est toujours là, mais elle est minoritaire, comme auparavant.

Et les réformateurs ?

B.H : Il y a maintenant un groupe de réformateurs qui veulent que quelque chose change, mais toujours dans le cadre de la République islamique, et dont la majorité des candidatures a été annulée par le Conseil de la Constitution iranien. Sur 3000 candidats, seule une trentaine d’entre eux ont été retenus, et ils en ont rattrapé au final une soixantaine.

Une bonne partie de ces vrais réformateurs, qui veulent un changement profond, une ouverture aux Etats-Unis, des évolutions du côté des droits de l’Homme et des mœurs, ont été élus. Mais ils restent très minoritaires : 25 ou 30 députés sur 290. Ils soutiennent Rohani, parce qu'il représente le minimum syndical.

Le fait que ces réformateurs soient très minoritaires et aient été sortis de la course, est peut-être une bonne chose dans la tactique de Rohani. Parce que les plus radicaux sont forts et influents et ne sont pas contrôlés par lui. Ce sont eux qui ont mis le feu à l’ambassade de l’Arabie Saoudite en janvier dernier contre l’avis du gouvernement. Ces radicaux sont présents dans les plus hauts appareils de l’Etat et on ne s’en débarrasse pas sur un coup d‘élection. Si les réformateurs avaient gagné, la réaction des radicaux aurait été très forte. Et Rohani n’aurait pas été soutenu par le Guide.

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Le président Hassan Rohani, ici lors de la campagne présidentielle, à Téhéran le 2 mai 2013.
©AP Photo/Vahid Salemi



Quel est le pouvoir réel du parlement iranien, des institutions élues ? Souvent, l’Iran est présenté quasiment comme une théocratie, le Guide de la révolution et son Conseil de la Constitution ayant tout pouvoir. Qu’en est-il réellement de la vie démocratique iranienne ?

B.H : Tout le monde est élu, plus ou moins, à des degrés différents. Le Guide de la République est élu au suffrage universel. L’assemblée des experts réunie 88 religieux, élus démocratiquement au suffrage universel et qui choisissent le Guide.

Il y a un pouvoir religieux, parce qu’on dit que la légitimité vient de Dieu, mais aux Etats-Unis il y a aussi « In God we trust ». Ça pourrait être du décor historique, mais en Iran ce n’est pas le cas : le clergé chiite a un réel pouvoir, pas simplement sur la Constitution, mais dans les administrations, les institutions, et cette partie de la population est très forte. C’est un fait politique.

Il y a des institutions élues, comme le Parlement. D’autres nommées, comme le Conseil de la Constitution, l’équivalent du Conseil constitutionnel en France ou la Cour suprême aux Etats-Unis. Mais il faut voir qu’en Iran, les élections comptent parce que si l'élection est truandée, comme en 2009, les gens descendent dans la rue. Les gens veulent des élections et l’élection est devenue un mode d’expression réel. Le Guide a justement accepté l’accord sur le nucléaire, parce qu’en 2009, en truandant sur les élections, il était à deux doigts de se faire renverser.

Dans les mois, les années à venir, quels les changements pourraient survenir au niveau régional sous la présidence d'Hassan Rohani ?

B.H : Le problème qui se pose aujourd’hui, pour l’Iran, c’est d'obtenir une stabilité face à l’Arabie saoudite. Les Iraniens craignent un sabotage américain des accords, qui empêcherait, par exemple, la levée complète des sanctions, surtout si les Républicains arrivent au pouvoir. Mais les Iraniens ne peuvent rien y faire.

Par contre, la guerre en Syrie est extrêmement importante parce que c’est, en fait, une guerre contre l’Arabie saoudite. Pour la reconstruction, si on voit qu’il y a des bagarres avec l’Arabie saoudite, les entreprises n’iront pas investir en Iran. Il est donc nécessaire qu’il y ait une paix régionale, que l’on ne craigne pas que Daech débarque n’importe où, n’importe quand.

L’Iran se rend compte qu’il a perdu la mondialisation, qu’il est loin de tout. Les Iraniens ont donc besoin, aujourd’hui, de stabilité. Il ne faut pas oublier que les Iraniens sont nationalistes mais pas impérialistes. Toute la difficulté pour Rohani est d’arriver à trouver une coexistence avec l’Arabie saoudite, un partage des zones d’influence. Mais il n’est pas sûr que sur ce dossier là Rohani ait une aide des conservateurs

Et les changements au niveau mondial ? L’Iran est une grande puissance, que peut-il se passer avec la levée complète des sanctions ? Au niveau du prix du pétrole, des effets économiques, de l’équilibre stratégique…?

B.H : C’est acteur important, mais il faut quand même relativiser. L’Iran doit passer par une phase de reconstruction pour arriver au niveau « zéro », parce qu’ils sont en dessous du niveau zéro. Pour que des industries soient créées, il a été fait des projets de contrat avec la France, l’Allemagne, l’Italie, etc. Mais pour arriver à ce qu’une usine soit en place et arrive à produire, cela prend à peu près 5 ans, au mieux.

Et il y a beaucoup de travail pour remettre l’Iran en marche. En termes de formation par exemple : les Iraniens n’ont aucune expérience de l’international. Ils ne savent pas ce qu’est une usine moderne, ce qu'est le management moderne ou la qualité des industries modernes.

Ils ont une industrie de résistance. Les Iraniens sont des très bons résistants, mais ils n’ont pas été capables, jusqu’à maintenant, d’être d’avancer. Cinq années sont donc nécessaires pour changer de logiciel, pour sortir de la barricade et sortir en plein champ. C’est un grand pays au Moyen-Orient, mais pour arriver au niveau des Émirats ou de Dubaï, il y a encore du travail. Et même si l'Iran parvient à devenir un grand acteur industriel, il lui faudra du temps avant que les produits iraniens ne soient compétitifs au niveau mondial. Mais ils pourraient par contre l’être au niveau régional. Pour le pétrole, avec les Iraniens, ce sera surtout la relation avec la Chine qui deviendra centrale. Les bitumes de schiste américains ayant changé la donne, l’Iran ne bouleversera pas le marché pétrolier mondial.

>> A voir aussi le décryptage de Thierry Coville, économiste spécialiste de l'Iran et chercheur à l'Institut des relations internationales et stratégiques. 
 

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