Fil d'Ariane
"Crime de guerre", "terrorisme", "génocide"… Depuis l'attaque du Hamas en Israël et le début de l'offensive d'Israël dans la bande de Gaza, le 7 octobre dernier, ces mots saturent l’actualité. Des termes lourds de sens qui sont employés parfois de façon abusive dans le débat public. TV5MONDE revient sur la définition de ces différents concepts.
Si des tribunaux nationaux sont habilités à juger certains crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et les crimes de génocide relèvent eux de la compétence de la Cour pénale internationale.
Le 7 octobre dernier, le Hamas lançait une opération d’une violence sans précédent contre Israël. En franchissant le mur qui sépare Israël de la bande de Gaza puis en tuant plus de 1400 personnes et en faisant près de 230 otages, le Hamas s’est attiré les foudres d’Israël, qui a déclenché une riposte d'une ampleur inédite contre l'enclave palestinienne. Selon le dernier bilan du Hamas, plus de 8000 personnes, dont la moitié seraient des enfants, ont été tuées depuis le début de l’offensive israélienne. Israël impose également un blocus total de la bande de Gaza, privée d’eau, d'électricité, de réseau et d’aide humanitaire.
Une offensive que le monde entier s’empresse de commenter. Les accusations fusent et les partisans des deux bords assurent que l’autre partie est coupable du pire. En France, la gauche, sommée de qualifier le Hamas de “terroriste”, dénonce un “nettoyage ethnique” en cours à Gaza, tandis que la ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna considère que les attaques du Hamas s'apparentent à des “crimes contre l'humanité”.
(Re)voir → Des pays appellent Israël à la retenue après l'intensification des bombardements sur Gaza
Les pays arabes, largement mobilisés pour la cause palestinienne, pointent du doigt Israël qui se rendrait coupable selon eux de “crimes de guerre”, le président turc Recep Tayip Erdogan évoquant un “génocide” après une frappe ayant détruit un hôpital dans la bande de Gaza.
Pour mieux comprendre la portée de ces accusations, TV5MONDE revient sur ces concepts dont les définitions, parfois floues, ne relèvent pas toujours du droit international.
Ainsi, selon l’ONU les crimes de guerres sont “des violations du droit international humanitaire”, qui ont toujours lieu lors d'un conflit armé, international ou non.
(Re)voir → Israël-Hamas : les enfants, premières victimes de la guerre
Ces violations regroupent un vaste ensemble d’actes interdits parmi lesquels le meurtre, la torture, la prise d’otage, l’usage de poison ou d’armes empoisonnées, le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile, la conscription forcée, notamment de mineurs de moins de 15 ans, la déportation et les violences sexuelles.
Pour être caractérisés comme des crimes de guerre, ces actes doivent regrouper deux éléments importants : l’aspect contextuel d’abord, puisque ces crimes doivent avoir été commis dans le cadre d’un conflit armé international ou non, et l’aspect psychologique. En effet il faut prouver “l'intention et la connaissance, tant en ce qui concerne l'acte lui-même que l'élément contextuel” pour attribuer la qualification de crime de guerre.
Les crimes contre l’humanité sont définis en 1998 par le Statut de Rome, qui crée la Cour pénale internationale (CPI). Comme les crimes de guerre, ils relèvent du droit coutumier et sont donc interdits y compris pour les pays qui ne reconnaissent pas l’autorité de la CPI.
Les crimes contre l’humanité sont définis comme “des actes commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque”. Contrairement aux crimes de guerre, ils peuvent survenir dans un contexte pacifique.
La liste des actes pouvant constituer des crimes contre l’humanité comprend le meurtre, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation ou le transfert forcé de population, l’emprisonnement, la torture, les violences sexuelles, la persécution, les disparitions forcées de personnes, le crime d’apartheid et “d’autres actes inhumains causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale”.
Pour être constitutifs de crimes contre l'humanité, ces actes (et seulement ces actes) doivent être accompagnés de deux autres éléments. Ils doivent avoir été "commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile", (c’est l'élément contextuel) et "en connaissance de cette attaque".
Ce dernier aspect, appelé élément psychologique, rejoint l’aspect contextuel dans le sens où les crimes contre l’humanité impliquent soit une violence à grande échelle, qu'il s'agisse du nombre de victimes ou de l'importance de la zone géographique, soit une forme de violence méthodique, c’est-à-dire systématique. Les actes de violence aléatoires, accidentels ou isolés ne peuvent donc pas être qualifiés de crime contre l’humanité.
Le terme de génocide est utilisé pour la première fois en 1944 par un avocat polonais, Raphaël Lemkin, pour qualifier les politiques nazies d’extermination des Juifs.
Le crime de génocide peut constituer un crime contre l’humanité, mais il a été érigé en crime autonome dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide des Nations Unies de 1948. Le crime de génocide peut être commis dans le contexte d’un conflit armé, (international ou non), mais également en temps de paix, même si c’est plus rare.
Selon la définition de l’ONU, on peut parler de génocide pour certains actes "commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux". Ces actes comprennent le meurtre de membres du groupe, les atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe, la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle, les mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe, et le transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.
(Re)voir → Guerre en Ukraine : peut-on parler de génocide ?
Là aussi, pour qualifier le génocide, il faut un aspect matériel (c’est-à-dire la commission d’un des actes listés ci-dessus, envers un groupe bien précis) et un élément psychologique : "l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel". Cet aspect est de loin le plus difficile à prouver, or “c’est cette intention spéciale qui rend le crime de génocide si particulier” précise l’ONU. Enfin à cette intention doit s’associer un plan ou une politique voulue par un État ou une organisation.
Le terme de nettoyage ethnique ne relève pas du droit international. Ce terme est apparu pour la première fois dans les travaux d’une commission d'experts des Nations Unies chargée d'examiner les violations du droit international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie dans les années 90. Ils définissent le nettoyage ethnique comme "le fait de rendre une zone ethniquement homogène en utilisant la force ou l’intimidation pour faire disparaître de la zone en question des personnes appartenant à des groupes déterminés".
Le nettoyage ethnique relève aussi d’une “politique délibérée conçue par un groupe ethnique ou religieux visant à faire disparaître, par le recours à la violence et à la terreur, des populations civiles appartenant à une communauté ethnique ou religieuse distincte de certaines zones géographiques”.
Aux yeux de la Commission ayant mis au point le concept, le nettoyage ethnique peut constituer un crime contre l’humanité, voire relever de la convention sur le génocide. Mais il ne s’agit que de l’avis d’une Commission, et aucune résolution ni aucun texte de loi n’est depuis venu conforter l’existence de cette notion dans le droit international.
Le mot de terrorisme n’a, a ce jour, pas de définition précise en droit international et “reste chargé de connotations politiques et idéologiques” rappelle l’ONG Médecins sans frontières dans son dictionnaire pratique du droit humanitaire.
Les Nations Unies proposent une première définition du terrorisme en 1999, qui sera affinée en 2004. Dans cette définition, le terrorisme est décrit comme “tout acte […] commis dans l’intention de causer la mort ou des blessures graves à des civils ou à des non-combattants, qui a pour objet, par sa nature ou son contexte, d’intimider une population ou de contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir un acte ou à s’abstenir de le faire “.
En 2002, l’Union européenne propose elle aussi une définition, beaucoup plus précise, puisqu’elle détaille de façon exhaustive les actes constitutifs du terrorisme. Selon cette définition, sont considérés comme du terrorisme “les actes intentionnels qui, par leur nature ou leur contexte, peuvent porter gravement atteinte à un pays ou à une organisation internationale”.
(Re)voir → ONU : "le terrorisme est une menace globale" alerte Macky Sall
Ils doivent être commis dans le but de d’intimider une population, de contraindre des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ou de gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d’un pays ou une organisation internationale.
La liste des actes entrant dans cette définition européenne est longue et comprend les atteintes graves à l’intégrité physique d’une personne et celles pouvant entraîner la mort, l’enlèvement ou la prise d’otage, les destructions massives de biens publics ou gouvernementaux mais aussi attaques envers les systèmes informatiques, les actes de piraterie ou encore la perturbation ou l’interruption de l’approvisionnement en eau, en électricité ou toute autre ressource naturelle fondamentale ayant pour effet de mettre en danger des vies humaines.
Cette définition ne s’applique toutefois pas aux actes des forces armées en période de conflit ou dans le cadre de leurs fonctions officielles.