Fil d'Ariane
Au lendemain des plus violentes manifestations jamais organisées par la communauté des juifs israéliens d'origine éthiopienne pour dénoncer le racisme et les discriminations dont ils sont l'objet, les autorités de Tel Aviv se sont efforcées lundi d'apaiser sa colère.
Durant plus de trois heures, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a reçu ses représentants et tenté de les rassurer. « Nous devons être unis contre le phénomène du racisme, le dénoncer, et l'éradiquer », a-t-il dit. « Les manifestations ont révélé une plaie ouverte et vive au cœur de la société israélienne », a reconnu pour sa part le président Reuven Rivlin, « autorité morale du pays ». « Nous devons nous pencher directement sur cette plaie. Nous avons commis des erreurs, nous n'avons pas assez ouvert les yeux et n'avons pas assez tendu l'oreille ».
Quelque 10 000 personnes selon les médias avaient participé la veille à une manifestation à Tel Aviv, trois jours après un rassemblement à Jérusalem qui avait dégénéré près de la résidence du Premier ministre. Les manifestants ont lancé des pierres, des bouteilles, retourné une voiture de police et tenté en vain de pénétrer dans les locaux de la municipalité. Les forces de l'ordre ont chargé avec des chevaux, tiré des grenades assourdissantes et utilisé des canons à eau.
A l’origine de la vague de colère : une vidéo filmée il y a près d’une semaine, où l’on voit deux policiers frappant un soldat d'origine éthiopienne en uniforme, sans raison apparente. Ces images ont d’autant plus frappé les esprits qu'elles ont rappelé à beaucoup des brimades qu'ils ont eux-mêmes subies, de la part de policiers ou de portiers de discothèques. Et aussi que l’armée aime à se présenter, pour les siens, comme un facteur d’intégration.
On les appelle « Falashas » ou « Falashmoras ». La communauté juive éthiopienne d'Israël regroupe 135 500 personnes, dont plus de 50 000 sont nées dans le pays. Son origine et son histoire restent controversées. Elle descendrait de communautés d'Afrique coupées des autres juifs pendant des siècles, et que les autorités religieuses d'Israël ont tardivement reconnues comme membres de la foi juive.
La plupart sont arrivés en Israël à la faveur de deux ponts aériens organisés en secret en 1984 et 1991. Ils ont dû franchir un énorme fossé culturel pour s'intégrer, difficilement, dans la société israélienne. Mais des discriminations flagrantes subsistent, malgré des aides publiques. Selon l'Association israélienne pour les juifs éthiopiens, leur revenu moyen par personne est inférieur de 40% à la moyenne.
Plus d'un tiers des familles (38,5%) vivent sous le seuil de pauvreté, contre 14,3% dans l'ensemble de la population juive, et la plupart d'entre eux habitent des quartiers défavorisés. Dans la prison Ofek au nord de Tel-Aviv où sont détenus les mineurs, 30% appartiennent à la communauté éthiopienne alors qu'ils ne représentent que 3% des jeunes.
Cette communauté a été confrontée à plusieurs affaires. En 2013, des rumeurs ont circulé sur le refus d'accepter les dons de sang de juifs éthiopiens, de crainte du sida. Le ministère de la Santé avait démenti l'existence de tels refus. La même année, ce ministère a interdit que des moyens contraceptifs soient administrés à des immigrants sans leur consentement, après des informations selon lesquelles des Ethiopiennes avaient été obligées de recevoir des injections contraceptives. Selon des témoignages, des migrantes s'étaient vu menacer de ne pas obtenir le droit d'immigrer en Israël si elles refusaient de se voir injecter des contraceptifs avant leur départ d'Ethiopie.
Outre les deux vagues de 1984 et 1991, Israël a fait venir des « Falashmoras », des juifs d'Ethiopie convertis de force au christianisme au XIXe siècle et dont les derniers membres considérés comme des ayants-droit à l'immigration étaient regroupés dans des camps de transit en Ethiopie. Israël a décidé en novembre 2010 que 8 000 Falashmoras pourraient immigrer au cours des quatre années suivantes. Les Falashmoras ne bénéficient pas de la Loi du retour, qui permet à tout juif de la diaspora d'immigrer en Israël et d'en devenir ipso facto citoyen ; ils doivent se convertir au judaïsme pour être considérés comme naturalisés.
« L'explosion de violence n'est pas uniquement due aux violences policières, elle exprime aussi une colère contre les discriminations », explique Hagit Hovav, membre de leur principale association. Les juifs éthiopiens « veulent être des Israéliens à part entière et jouir de l'égalité des chances ». Directeur général des organisations de personnes originaires d’Ethiopie en Israël, âgé de 54 ans et arrivé en 1985, Wonde Akale, parle pour sa part d'un « ras-le-bol général ».« Les jeunes de notre communauté nés ici, qui font l'armée, se sentent exclus uniquement à cause de la couleur de leur peau. La société nous a relégués dans des ghettos » déplore-t-il.