Samedi 6 août 2011, à travers tout Israël, de Kiryat-Shmona tout au nord jusqu'à Eilat au bord de la mer Rouge, 300 000 personnes sont descendues manifester contre les inégalités sociales, la hausse des prix, la précarité, ou pour le droit au logement. Un mouvement social d'une ampleur rarement atteinte dans ce pays, peu touché par le chômage, et habituellement occupé par les relations avec ses voisins. Né hors des grandes centrales syndicales, le mode de contestation se rapproche de celles des Indignés en Espagne ou en Grèce. Malgré quelques vagues promesses, le gouvernement de Benjamin Netanyahu semble rester plutôt indifférent à l'appel de la rue.
Plus ou moins virulentes, paroles de manifestants israéliens
Le 14 Juillet 2011, exactement 222 années après la prise de la Bastille en France, une jeune femme israélienne a installé une tente au milieu de Boulevard Rothschild à Tel-Aviv. Daphné Leaf, cinéaste de 25 ans, a aussi ouvert un groupe Facebook invitant les gens à faire de même pour combattre les prix des logements. Cette idée a germé rapidement dans les esprits, ce qui allait aboutir à la plus importante protestation sociale d'Israël. Comme des champignons après la pluie, de plus en plus de tentes ont commencé à pousser sur le sol pierreux entre les voies réservées aux voitures, sur le boulevard qui abrite les plus grandes banques. "Nous voulons du pain, nous ne voulons pas du gâteau. Nous ne voulons pas des « penthouses », nous voulons des appartements. Netanyahu ne comprend pas ce qui s'est passé ici", disait-elle voilà deux semaines. Et voici que plus de 300 000 personnes ont manifesté samedi soir 6 août 2011, une preuve qu’elle avait bien raison.
JOURNALISTE ET CAMPEUR Roy Yerushalmi, 28 ans, journaliste, consacre environ 50% de son revenu mensuel à un appartement en colocation dans le centre de Tel-Aviv. « Je vis dans des conditions raisonnables, mais une part considérable de mon revenu couvre les frais de subsistance. Je ne peux pas économiser de l'argent pour l'avenir et maintenant, au lieu de me construire financièrement, j'ai dû utiliser les économies que j'avais mis de côté quand je vivais avec mes parents ». Bien que Roy soit d’accord avec la protestation et ses principes, il ne peut pas croire que la situation va changer. « Cela pourrait donner un coup de fouet à la politique en Israël, mais j'ai perdu confiance dans le gouvernement et sa capacité à changer de façon significative et fondamentalement le mode de vie ici. J'ai étudié au Danemark, où, malgré le prix élevé de la vie, semblable à celui d'Israël, mes amis gagnaient ( ou économisaient ) cinq ou six fois plus que les Israéliens. Cela me troublait, d'autant plus que j'avais servi trois ans dans l'armée ».
DE BOSTON À TEL AVIV, APPRENTIE RÉVOLUTIONNAIRE Arielle Thomas, 21 ans, venue des États-Unis pour étudier à Tel-Aviv. Elle vit dans le dortoir de l'université, avec trois autres filles de son âge. « Je pense que c'est formidable ce que les jeunes montrent ici, qu’ils tiennent si longtemps pour dire qu'ils ne peuvent pas vivre dans ces conditions ». Elle dit aussi que son démarrage en Israël a été difficile: « Pendant un mois, je ne pouvais pas trouver un appartement à prix abordable, et je devais rester avec ma famille, près de Netanya ». Elle constate que la vie des jeunes aux États-Unis est plus facile que celle des Israéliens. « En Amérique, le salaire minimum est plus élevé », dit-elle. « Les appartements sont moins chers et la vie quotidienne est plus abordable. J'ai une copine qui paie 600 $ par mois pour un appartement dans le centre de Boston. Il est clair que la vie en centre-ville est plus coûteuse, mais cela ne me dérange pas de payer des loyers plus élevés, à condition que je puisse avoir un salaire en conséquence. Je pense que c'est un élément clé de la lutte ».
INDÉCIS ET DOUBLEMENT CRITIQUE Sharon Ben-Avraham, 28 ans, né à Jérusalem, vit depuis plusieurs années à Tel-Aviv. « Je dépense 70 pour cent de mon argent pour l'appartement et je ne peux pas économiser. Je soutiens les manifestants, mais je pense aussi que la lutte omet un point important. C'est très facile de blâmer le gouvernement, mais les jeunes de mon âge ont besoin de comprendre qu'il n'y a pas de solution magique. Vous ne pouvez pas réduire les prix des appartements d’un claquement de doigt. Le problème des Israéliens est qu'ils ne sont pas en paix avec eux-mêmes, ce n'est pas une question d'économie, la situation économique n'est pas aussi mauvaise que les gens pensent, c'est la culture qui est problématique ».
UN PETIT AIR DE FÊTE Sharon Beilis, 26 ans, travaille jusqu'au soir puis vient à la tente au Boulevard Nordau. Le campement fondé il y a environ dix jours compte déjà près de 100 tentes. « À partir de 16 h 00 il y a même des activités pour les enfants et chaque soir après 21 h 00 on peut assister à une conférence donnée par des intellectuels. Parfois, il y a aussi des concerts », dit-elle. Beilis dit encore : « Chacun pense que son problème est personnel. On se dit 'Je me suis trompée, je fais les choses dans le mauvais sens'. Mais une fois que la lutte sociale a commencé, j'ai réalisé que je n'étais pas seule : médecins, avocats, personne ne peut économiser de l'argent ». Beilis a participé à la grande manifestation du samedi 6 août 2011. « Il y avait un sentiment de fête dans les rues. C'est devenu une force grandissante dégageant une immense énergie. Le mouvement est devenu très important et quelqu'un devrait le prendre en considération, mais évidemment le problème n'est pas pris en compte par le gouvernement. Je pense que cette lutte va réussir. Il y a des doutes, mais il y a tellement de personnes impliquées que ça vaudra bien quelques sièges à la Knesset ».
LA RUE EST À NOUS Samedi 6 août 2011, à travers tout le pays, 300 000 personnes de Kiryat-Shmona tout au nord jusqu'à Eilat au bord de la mer Rouge, sont descendues dans les rues et se sont exprimées d'une voix forte et claire. « Les gens se sont prononcés pour la justice sociale ». Chacun a décidé d’assumer la responsabilité du destin et de l'avenir collectif. « Le premier week-end (en juillet) on nous avait dit qu’après un dimanche, les manifestants allaient démonter toutes les tentes et retourner travailler - cela ne s'est pas produit », dit l'un des organisateurs des campements dans les avenues. Il y a 150 ans, le baron Haussmann avait dessiné pour Paris un nouvel urbanisme, fait de larges boulevards pour rendre difficile la mise en place des barricades dans les rues étroites. Un projet repris partout dans le monde. Mais maintenant, ces spacieuses avenues se vengent.
Les Indignés : notre dossier
La Une de Haaretz du dimanche 7 août 2011 : “Pour le troisième appel, 300 000 Israéliens dans la rue, afin d'obtenir plus de justice sociale“