Israël : où en est le projet d'annexion de la Cisjordanie ?

Foncer ou temporiser ? Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu peut, dès ce mercredi 1er juillet, donner la mesure de son projet controversé d'annexion de pans du territoire palestinien de Cisjordanie, qui pourrait faire bouger les "frontières" d'Israël pour la première fois depuis des décennies.
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Manifestation Cisjordanie
Manifestation ce mercredi 1er juillet, à Gaza, alors que le gouvernement israélien doit présenter son plan d'annexion de la Cisjordanie. 
©AP Photo/Khalil Hamra
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Israël a annexé Jérusalem-Est en 1967, puis le plateau syrien du Golan en 1981. Le pays écrira-t-il en 2020 une nouvelle page de son histoire en décrétant "israélienne" une partie de la Cisjordanie occupée ?

Selon l'accord entre M. Netanyahu et son ex-rival électoral Benny Gantz, leur gouvernement d'union doit se prononcer à partir de ce 1er juillet sur l'application du plan du président américain Donald Trump pour le Proche-Orient, qui prévoit surtout l'annexion de colonies et de la vallée du Jourdain en Cisjordanie.

Mais des ministres israéliens ont temporisé en estimant qu'aucune annonce ne serait faite ce jour.

Quoiqu'il en soit, la question reste si Benjamin Netanyahu optera, s'il va de l'avant, pour une approche maximaliste en décidant du rattachement de la vallée du Jourdain et d'une centaine de colonies juives, ou pour l'approche minimaliste en visant une poignée de colonies ?
 

Manifestations à Gaza

Le Premier ministre, proche allié de M. Trump, bénéficie d'une "fenêtre" de tir de quelques mois. Car une victoire en novembre à la présidentielle des Etats-Unis du démocrate Joe Biden, hostile à l'annexion, pourrait anéantir l'appui américain à ce projet condamné par les Palestiniens et critiqué par l'Union européenne, l'ONU et plusieurs pays arabes.

M. Netanyahu a discuté mardi 30 juin à Jérusalem avec Avi Berkowitz, conseiller spécial de Donald Trump, et David Friedman, ambassadeur américain en Israël, de la "souveraineté" israélienne en Cisjordanie, terme utilisé par l'Etat hébreu pour évoquer l'annexion.

Il a dit "travailler ces jours-ci" sur ce sujet et qu'il continuerait "dans les prochains jours", sans autre précision.

"Ce me paraît improbable que cela se passe aujourd'hui (mercredi)", a déclaré sur la radio de l'armée le chef de la diplomatie israélienne Gabi Ashkenazi.

Mardi, Tzahi Hanegbi, ministre sans portefeuille mais considéré comme un proche de Benjamin Netanyahu, a dit être "convaincu que cela arrivera mais pas demain (mercredi)". Le ministre de l'Eau Zeev Elkin a lui aussi jugé erronée l'idée que "tout allait se dérouler le 1er juillet".

Des milliers de Palestiniens, qui étrillent le plan Trump, ont manifesté mercredi dans la bande de Gaza, enclave contrôlée par les islamistes palestiniens du Hamas. Les manifestants ont brandi des drapeaux palestiniens et des pancartes sur lesquelles on pouvait lire "Non à l'annexion" et "Palestinian lives matter" (La vie des Palestiniens compte), en référence au mouvement antiraciste "Black lives matter" parti des Etats-Unis, ont constaté des journalistes de l'AFP.
 

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Toute annexion, sans pourparlers de paix au préalable, serait une "déclaration de guerre", a averti la semaine dernière le Hamas qui cherche à manifester son opposition au projet mais sans chercher une nouvelle confrontation, selon des analystes. 

Ce mouvement islamiste et Israël se sont livré trois guerres depuis 2008.

Mercredi 1er juillet, le Hamas a lancé une vingtaine de roquettes d'essai depuis Gaza vers la mer Méditerranée, en guise d'avertissement, ont indiqué à l'AFP des sources au mouvement.

"Loi de la jungle" 

Les Palestiniens tentent de rallier des appuis contre le projet israélien qui fait voler en éclats, selon eux, les accords d'Oslo prévoyant une solution "à deux Etats", un Etat palestinien indépendant et viable aux côtés d'Israël.

Or depuis la signature de ces accords en 1993, la population dans les colonies juives en Cisjordanie, jugées illégales par le droit international, a plus que triplé pour dépasser aujourd'hui les 450.000 Israéliens vivant en parallèle de quelque 2,8 millions de Palestiniens.

"Le droit international est clair comme du cristal à ce propos : l'annexion est illégale. Si Israël va de l'avant, cela témoignera de son mépris cynique du droit international (...) au profit de la loi de la jungle", souligne Saleh Hijazi, spécialiste du conflit israélo-palestinien chez Amnesty International. 

Les Palestiniens se disent prêts à relancer des négociations avec les Israéliens mais pas sur les bases du plan Trump, selon un texte remis au Quartette (Union européenne, ONU, Russie et Etats-Unis).

"Nous n'allons pas nous asseoir à une table de négociations où est proposé l'annexion ou le plan Trump car il ne s'agit pas là d'un plan de paix, mais d'un projet pour légitimer l'occupation", a déclaré à l'AFP le négociateur des Palestiniens Saëb Erakat.

Une "infraction au droit international"


L'annexion de pans de la Cisjordanie occupée par Israël serait une "infraction au droit international" et même "contraire" aux intérêts de l'Etat hébreu, a prévenu mercredi le Premier ministre britannique Boris Johnson dans une tribune publiée à la Une du grand quotidien israélien.

"Je suis un défenseur passionné d'Israël" mais "j'espère profondément que l'annexion n'ira pas de l'avant", affirme M. Johnson dans cette tribune en hébreu, Yediot Aharonot, le plus vendu du pays.

Une quarantaine de femmes politiques internationales ont également appelé ce mercredi 1er juillet à s'opposer au projet israélien d'annexion de pans de la Cisjordanie occupée, qui ne doit "pas rester sans réponse".

"Une telle mesure détruira un demi-siècle d'efforts pour la paix dans la région et aura des conséquences considérables", préviennent les signataires de ce texte, parmi lesquelles l'ex-présidente suisse Micheline Calmy-Rey, l'ancienne ministre de la Justice française Christiane Taubira, l'avocate iranienne et lauréate du prix Nobel de la paix Shirin Ebadi ou l'ancienne ministre sud-africaine Barbara Hogan.

"Nous avons reçu des appels urgents de la part de femmes palestiniennes et israéliennes. (...) Nous devons être guidés par l'humanité et la résolution des femmes courageuses qui ont grandement souffert du conflit et refusent pourtant d'être aveuglées par la haine. Leurs mots représentent le futur dont la région a besoin", écrivent-elles dans ce texte envoyé à l'AFP.

"L'annexion ne peut pas rester sans réponse et un engagement international ferme est plus que jamais nécessaire, et cela passe par des mesures efficaces pour empêcher des actions unilatérales illégales et parvenir à une paix juste et durable."
 

La Cisjordanie occupée en chiffres

- Située à l'est d'Israël et à l'ouest de la Jordanie, la Cisjordanie est un territoire de 5.655 km2, soit l'équivalent de 1% de la superficie de la France.

- A ce jour, plus de 2,8 millions de Palestiniens vivent sur ce territoire où habitent aussi plus de 450.000 Israéliens dans des colonies jugées illégales par le droit international.

- Environ 10.000 des 450.000 colons israéliens établis en Cisjordanie vivent dans la vallée du Jourdain, selon des données du gouvernement israélien et d'ONG. Quelques 65.000 Palestiniens y vivent, en incluant la ville de Jéricho (20.000 habitants), selon l'organisation israélienne anticolonisation B'Tselem.

- En vertu des accords d'Oslo signés dans les années 1990 par Israéliens et Palestiniens, la Cisjordanie est divisée en trois secteurs: A, B et C. La zone C, sous contrôle exclusivement israélien, constitue environ 60% du territoire.

- Selon la Banque mondiale, le taux de pauvreté en Cisjordanie est d'environ 14%. Le taux de chômage y était de 16% en 2018, d'après des données du Coordinateur spécial des Nations unies pour le processus de paix au Moyen-Orient (UNSCO).

- Environ 120.000 Palestiniens travaillaient quotidiennement en Israël ou dans les colonies israéliennes en Cisjordanie avant la pandémie de Covid-19.