Israël-Palestine : le poids des mots

Le conflit israélo-palestinien est complexe, et les nombreux mots qui le définissent souvent chargés d’histoire, recouvrent plusieurs concepts. Définitions des principaux termes du conflit israélo-palestinien et éclairage de François-Bernard Huyghe, spécialiste de l’information et de la stratégie.
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Israël-Palestine : le poids des mots
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Israël-Palestine : le poids des mots
Jérusalem-Est

Le principe de Jérusalem-Est remonte au plan de partage de l'Onu de 1947 qui crée alors deux Etats, l'un juif et l'autre arabe mais décide d'en exclure Jérusalem et Bethléem, en les maintenant sous le statut juridique de "corpus separatum". Israël accapare la partie occidentale de la ville de Jérusalem lors de la première guerre israélo-arabe, et la Jordanie la partie orientale, soit la vieille ville arabe intra-muros, plus le Mont des Oliviers. Ces deux occupations sont illégales au regard du plan de partage. En 1967, Israël s'empare de la partie de Jérusalem sous emprise jordanienne et l'annexe en 1980. Cette démarche n'est reconnue par aucune des pays membres de l'Onu. Les grandes puissances ignorent cette "réunification" de la ville sainte que proclame l'Etat d'Israël et maintiennent, par exemple, deux Consulats généraux, l'un à l'Ouest, et un autre à l'Est, afin de démontrer qu'occupation ou pas, il n'y a aucune continuité territoriale entre l'Est et l'Ouest.
 

Territoires occupés

Le terme de "territoires occupés" est issu du droit international, de la résolution 242 de l'ONU du 22 novembre 1967. Cette résolution a été adoptée au lendemain de la conquête par Israël de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie, de la bande de Gaza, du plateau du Golan et du Sinaï lors de "la guerre des 6 jours" du mois de juin de cette même année. Une autre résolution de l'ONU, la 58/292 du 14 mai 2004, adoptée le jour anniversaire de la création de l'Etat d'Israël, avalise la notion de "territoires palestiniens occupés, incluant Jérusalem-Est".

Si l'expression n'est pas contestée par la gauche israélienne, y compris le parti travailliste longtemps au pouvoir, la droite préfère parler de "territoires administrés" ou "disputés" et les ultra-nationalistes, parlent, eux, simplement de Judée et Samarie, les noms bibliques du sud et nord de la Cisjordanie. Le ministère des Affaires étrangères français, dans ses conseils aux voyageurs dans les territoires occupés indique que "La Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, Gaza et les hauteurs du Golan [territoire syrien, ndlr] sont des territoires occupés par Israël depuis 1967”. 

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Avec l'aimable autorisation du Monde Diplomatique. Chaque partie représentée par de l'eau est un territoire occupé par Israël. Carte publiée originellement dans le Monde Diplomatique
Colonies

Les colonies sont déclarées par Israël "implantations de peuplement" ou "implantations israéliennes". Elles sont constituées de constructions d'habitation et d'infrastructures israéliennes dans les territoires palestiniens occupés par Israël depuis 1967. L'ONU, comme la presse francophone, parle de "colonies", quand Israël préfère parler d'"implantations israéliennes".

La Fondation Middle Est Peace (Fondation pour la Paix au Moyen-Orient, ndlr) estime à presque 500 000 les colons israéliens installés dans les territoires occupés, répartis de la façon suivante : 198 000 à Jérusalemn Est et 300 000 en Cisjordanie (dont la bande de Gaza). Le ministère des Affaires étrangères français indique, toujours sur son site, que "(…)Les colonies sont illégales en vertu du droit international. En conséquence, il existe des risques liés aux activités économiques et financières dans les colonies israéliennes (…)"

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La ligne rouge indique le tracé du mur de séparation israélien
Cisjordanie

La Cisjordanie (ou "West Bank" pour les anglophones, ndlr) est le territoire au cœur du conflit israélo-palestinien. Initialement annexée par le protectorat de Transjordanie (ex Jordanie) en 1949, cette région s'étend sur près de 6000 km2. C'est à la suite de la "Guerre des 6 jours" (entre Israël les armées égyptiennes, syriennes et jordaniennes) en 1967, que la définition géographique de la Cisjordanie s'est constituée, incluant Jérusalem-Est, l'ouest, le nord et le sud d'Israël. La Cisjordanie représente la plus grande partie des "territoires occupés" par Israël. Elle est morcelée par les colonies israéliennes, et depuis 2002 partiellement fermée par un "mur" ou "barrière de séparation".

Ce mur, qui peut aller jusqu'à 8 mètres de haut, entre 30 et 100 mètres de large, est un ouvrage de béton construit par Israël, officiellement pour protéger sa population contre les attentats-suicides palestiniens. La "barrière" est nommée de manière différente selon ceux qui en parlent, mai son nom en hébreux signifie "mur de séparation". Il est nommé "clôture de sécurité israélienne", "barrière anti-terroriste", "muraille de protection", ou "clôture antiterroriste d'Israël" du côté du pouvoir israélien, mais "mur de la honte", "mur d'annexion" pour l'opposition israélienne de gauche, et "mur de séparation raciale" pour la population arabe des territoires occupés.

Israël-Palestine : le poids des mots
Palestine

La Palestine est une région du Proche-Orient nommée ainsi depuis l'antiquité par l'administration romaine. Cette région s'étend entre la mer Méditerranée, et le fleuve Jourdain, avec pour limite, le Liban au Nord, la Jordanie à l'Est et l'Egypte au Sud. La Palestine, sous mandat britannique depuis 1920, a été administrativement découpée en un Etat juif et un état arabe en 1947 par les Nations-Unies, avec Jérusalem sous statut de zone neutre internationale. C'est cette décision qui a déclenché la première guerre entre Arabes de Palestine, pays arabes voisins, et Juifs. L'Etat d'Israël déclare son indépendance le 15 mai 1948, avec la reconnaissance juridique des Etat-Unis et de l'URSS : en réponse, un gouvernement arabe de la Palestine est proclamé à Gaza, qui n'obtient pas de reconnaissance internationale.

A l'issue du conflit remporté par Israël en 1949, avec la signature, le 24 février 1949, d'un accord d'armistice entre Israël et l'Egypte sous l'égide de l'ONU, les frontières de la Palestine se modifient par rapport au plan de partage de 1947. Ce déplacement des lignes se fait au profit d'Israël. Les limites de la Palestine actuelle ne sont ni stables ni clairement définies du côté israélien : le mur israélien suit une logique en lien avec les colonies et définit une frontière physique, qui détermine les différents territoires occupés par Israël en Palestine. Pour les institutions internationales, la Palestine est constituée de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et de Jérusalem-Est.

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Bande de Gaza

Ce territoire constitue avec la Cisjordanie et Jérusalem-Est, la Palestine. La bande de Gaza est un territoire minuscule de 360 km2 (41 km de long et entre 6 et 12 km de large) avec la plus grande densité de population au monde : 4700 habitants au km2, soit 1,7 millions de Gazaouis. L'armée israélienne a quitté la bande de Gaza depuis 2005, et les colons qui s'y trouvaient en sont partis, mais Israël conserve le contrôle de l'électricité, de l'eau, des frontières terrestres comme maritimes de cette portion de Cisjordanie. Le statut de frontière internationale a été décrété par Israël cette même année 2005 et reconnu par l'Onu. La bande de Gaza a été administrée par l'Autorité palestinienne située en Cisjordanie jusqu'en 2006, date à laquelle le Hamas a remporté les élections sur le territoire.

Une guerre civile palestinienne entre les partisans du Hamas et du Fatah a débuté à la suite de ces élections. Deux "entités" palestiniennes se sont alors constituées en 2007 : celle de la Bande de Gaza dirigée par le parti islamiste Hamas et celle, historique, de Cisjordanie, avec le Fatah de Mahmoud Abbas à sa tête (Autorité palestinienne). Une réconciliation a eu lieu au printemps 2011 : un accord a été signé entre le président de l'Autorité palestinienne (aussi Président de l'OLP, Organisation de libération de la Palestine), Mahmoud Abbas, et les dirigeants du Hamas, ce qui a permis ensuite l'obtention d'une reconnaissance d'un “Etat palestinien observateur non-membre de l'ONU”. Depuis lors, les négociations de paix entre l'Etat palestinien et Israël sont officiellement entre les mains de Mahmmoud Abbas. Dans les faits, les agissements du Hamas et ceux d'Israël ont déclenché des conflits, dont celui d’aujourd’hui, qui échappent à l'Autorité palestinienne, et provoqué des centaines de morts.
 

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Mahmoud Abbas, Président de l’Autorité palestinienne, en avril 2014 (Photo : AFP)
Autorité palestinienne

Le terme d'Autorité palestinienne provient des accords d'Oslo de 1993. L'Autorité palestinienne n'est pas un gouvernement dirigeant un Etat au sens classique du terme puisqu'elle ne possède pas d'armée ni de mandat pour négocier avec Israël dans le cadre du conflit israélo-palestinien. L'Autorité palestinienne administre la Cisjordanie et la bande de Gaza, possède une police, un Président, un Premier ministre, un Parlement. Jusqu’en 2012, c’était l'OLP, et non l'Autorité palestinienne qui représentait la Palestine à l'ONU et négociait avec Israël dans le cadre du conflit.

L'obtention du statut d'observateur non membre à l'ONU, de l'Etat palestinien, et malgré les limitations très grandes de ce statut, a permis une avancée importante pour l'Autorité palestinienne au sein de la Communauté internationale, un premier pas vers la prise en compte d'un Etat à part entière avec les mêmes droits que tout autre. 138 pays ont voté pour ce statut, 41 se sont abstenus et 9 ont voté contre : Canada, Etats-Unis, République Tchèque, Israël, Iles Marshall, Micronésie, Nauru, Palau, Panama. Une centaine de pays reconnaissent la déclaration d'indépendance de l'Etat de Palestine de 1988, mais l'ONU n'a pas souhaité soumettre au vote ce nouveau statut permettant à l'Etat Palestinien, de siéger dans l'institution internationale. Malgré des appels de parlementaires en faveur de cette adhésion de l'Etat palestinien à l'ONU comme 194ème membre, les gouvernements français successifs, bien que favorables en paroles à cette idée, ne proposent pas de voter concrètement cette reconnaissance.

“Entre terroristes ou résistants, je choisirais plutôt 'partisans'''

Entretien avec François-Bernard Huyghe, spécialiste de l'information et de la stratégie, directeur de recherche à l'IRIS

Propos recueillis par Pascal Hérard
“Entre terroristes ou résistants, je choisirais plutôt 'partisans'''
François-Bernard Huyghe
Les mots de la guerre sont toujours particuliers, mais est-ce plus marqué avec le conflit israélo-palestinien  ?

François-Bernard Huyghe : C'est évidemment particulier et plus marqué. Nous avons des interprétations divergentes des mots, que l'on retrouvera dans tous les cas où la victime de l'un est le criminel de l'autre. Les catégories nationales, religieuses que l'on va convoquer derrière tout ça sont importantes. Il y a des gens qui disent 'Israël', mais les durs de dur disent 'l'entité sioniste'. J'ai connu des pays où les gens noircissaient Israël à l'encre de Chine sur les cartes. Dès que l'on utilise les termes 'Etat hébreux' ou 'Etat juif', les mots sont piégés pour désigner Israël.

Les mots sont spécifiques pour nommer les mêmes choses entre les deux camps, dans ce conflit, ici en France. Par exemple, les représailles sont toujours israéliennes… Pourquoi ?

F-B.H : Parce qu'ils [les Palestiniens, ndlr] n'ont pas les moyens de faire des représailles ! C'était un dirigeant du Hamas qui disait 'vous nous reprochez de nous faire sauter avec des explosifs ou de faire sauter des voitures piégées, mais donnez-nous des B-52 [bombardiers, ndlr], et on arrêtera tout de suite'. Représailles, d'après le dictionnaire, c'est 'un mal qu'on fait à quelqu'un pour le punir, c'est une vengeance violente'."

Le choix d'un mot a beaucoup d'importance : un terroriste ou un résistant, ça n'est pas la même chose. Qui choisit ces mots, en France, par exemple, et pourquoi ?

F-B.H : Tout dépend de quel camp idéologique vous êtes, mais dans le monde anglo-saxon, ils ont les 'freedom fighters' (combattants de la liberté, ndlr). C'est un concept intéressant. Par exemple, Ben Laden était un freedom fighter avant de devenir un vilain terroriste. En France, on met des guillemets ou pas, pour certains mots. Ce n'est pas à propos du conflit israélo-palestinien, mais j'avais été frappé par l'utilisation du mot terroriste sans guillemets pour les pro-russes en Ukraine, ce qui était un choix idéologique assez net. Imaginons qu'un journaliste écrive 'les terroristes corses', ça risquerait de poser de gros problèmes… Entre terroristes ou résistants, je pense qu'il y aurait d'autres mots utilisables : les insurgés, les combattants sans uniformes, les guérilleros, les partisans. Alors évidemment, en France, avec le terme partisan, on pense au chant des partisans, à la résistance française. Mais techniquement, s'il n'y avait pas tout cet affect autour du chant des partisans, je serais partisan du terme partisan. Parce qu'un partisan c'est un combattant qui n'est pas en uniforme, qui n'est pas mandaté par un Etat. Je pense à la théorie de Karl Schmidt : c'est celui, qui de son propre choix, se conduit comme un soldat, se considère souvent moralement, idéologiquement comme un soldat héroïque. Je rappelle par exemple que la Bande à Baader (organisation terroriste allemande d'extrême gauche se présentant comme un mouvement de guérilla urbaine qui opéra en Allemagne fédérale de 1968 à 1998, ndlr), une de leurs revendications dans leurs nombreuses grèves de la faim, c'était d'être traité en tant que prisonniers de guerre.


La propagande est connue de la part des deux belligérants, ce qui est classique, mais peut-on aussi parler de propagande dans des pays comme la France, considérés comme neutres ?

F-B.H : C'est évident. Il y a deux raisons, et ce n'est pas très politiquement correct de le dire, mais les deux grandes religions impliquées dans le conflit israélo-palestinien sont très représentées chez nous.  Il y a des tas de mots tabous. Quand on parle du Golfe persique, le moindre mot peut faire s'envenimer très vite la discussion avec des étudiants issus du Maghreb ou du Monde arabe. Nous sommes un pays qui est assez divisé idéologiquement. Notre société est mal à l'aise, on oscille entre la peur d'être traité d'antisémite ou d'islamophobe, surtout dans des professions où l'on vit par la plume. On est complètement déchiré par cette chose. On peut penser qu'en France il y a un fort soutien à la cause palestinienne, alors que les soutiens à la cause palestinienne de la gauche italienne, grecque ou britannique sont comparativement bien plus importants qu'en France. C'est un sujet qui divise à droite comme à gauche et des tas de choses s'y mêlent : la peur des banlieues, des djihadistes, salafistes…