Israël a-t-il mis en place un "régime d’apartheid", comme l'affirment plusieurs députés français ?

Trente-huit députés du parti communiste, de la France insoumise ou du parti écologiste du parlement français ont signé une proposition de résolution condamnant le "régime d'apartheid institutionnalisé" par Israël contre les Palestiniens. Des députés comme celui du parti socialiste Jérôme Guedj s'opposent à l'emploi du mot appartheid pour qualifier le conflit entre Israéliens et Palestiniens. Retour sur un terme controversé.
Image
Palestine Israël
Des soldats israéliens se tiennent près d'un champ brûlé à l'avant-poste de la colonie de Migron, en Cisjordanie, après sa démolition par les troupes israéliennes, le mardi 27 avril 2010.
© Alessio Romenzi/ AP
Partager6 minutes de lecture

L’accusation n’est pas nouvelle. "En moins d’un an, trois grandes ONG ont fait des enquêtes aboutissant à des rapports qualifiant le régime imposé par Israël comme un régime d’apartheid”, rappelle le journaliste et historien français propalestinien et collaborateur de Le Monde diplomatique Dominique Vidal. “Elle a été portée par un certain nombre d'associations comme l’ONG israélienne de défense des droits humains B'Tselem, les organisations internationales Human Rights Watch ou Amnesty International."

Des députés de  l’Assemblée nationale française se sont emparés du sujet. Ils appartiennent au parti communiste, à la France insoumise ou au parti écologiste. Ils viennent d'apporter leur soutien à une résolution.

Cela permet aux députés d’attirer l’attention de l’exécutif français sur une question qu’il n’a pas encore traité.
Dominique Vidal, historien et journaliste, collaborateur pour Le Monde Diplomatique

La Convention pour l’Élimination et la Répression du crime d’Apartheid de Nations Unies de 1973 le définit comme "un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination d’un groupe racial sur tout autre groupe racial dans l’intention de maintenir ce régime." Pour Dominique Vidal,"l’apartheid, c’est le fait que deux peuples sur un même territoire n’aient pas les mêmes droits sur le même sol".

Selon David Chemla, fondateur de l’organisation de juif européens solution à deux États JCall, cette décision n’amène pas vers plus de paix sur place refuse l'utilisation de ce terme." Je comprends la bonne volonté de vouloir résoudre le conflit. Encore faut-il prendre des décisions qui soient audibles par des acteurs sur le terrain.

Solliciter le gouvernement français sur la série de rapports des ONG

Il ne s'agit en rien d’un projet de loi, rappelle Dominique Vidal. "C’est un projet de résolution. Il n’a pas d’autre valeur que de prendre position pour l’Assemblée." Mais alors pourquoi une telle décision maintenant ?

À (re)voir : Israël : un état d'apartheid pour les Palestiniens

TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

Cela permet aux députés d’attirer l’attention de l’exécutif français sur une question qu’il n’a pas encore traité. À l’exception de l’ex-ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, jamais on n’avait entendu un représentant de l'État sur le débat portant sur Israël” explique Dominique Vidal.

Dans les faits, ce texte ne devrait pas avoir de conséquences réelles sur le terrain. Selon David Chemla, on ne sait même pas si “cette déclaration des députés français fera un entre-ligne dans la presse israélienne.” Par contre, “la série de rapport des ONG en file indienne a provoqué beaucoup de débats dans les médias israéliens depuis le début de l'année” assure pour sa part le journaliste et historien Dominique Vidal.

On ne peut pas comparer terme à terme la situation en Israël avec celle des territoires occupés.Dominique Vidal, historien et journaliste, collaborateur pour Le Monde Diplomatique.

Une question déjà brûlante en Israël et en Palestine

"Vous allez retrouver beaucoup d’articles du média israélien Jerusalem Post ou du média de gauche israélien Haaretz sur le sujet", explique Dominique Vidal. Le Premier ministre israélien Yaïr Lapid avait même tenu une première conférence en 2022 prédisant la débâcle autour de la question de l’apartheid. “C’est un débat très chaud là-bas”, rappelle Dominique Vidal.

En Israël, l’emploi de ce terme n’est pas communément accepté. "Cela reste un discours très minoritaire. Mais certaines personnalités qui ne sont pas de l’extrême gauche commencent à poser la question, notamment les deux derniers ambassadeurs israéliens en Afrique du Sud", explique Dominique Vidal. Mais que disent les rapports à l'origine des débats ? 

La question de l'apartheid est d'abord une question de territoires. Les rapports de B'Tselem et Amnesty International avancent qu’ils concernent l'ensemble du territoire  Israël. Celui de Human Rights Watch fait la différence entre les territoires occupés et Israël. “On ne peut pas comparer terme à terme la situation en Israël avec celle des territoires” nuance Dominique Vidal.

En Israël, le service militaire est obligatoire pour accéder à certains métiers, ce qui ferme les portes d’accès vers tout un tas de fonctions aux Arabes israéliens.Dominique Vidal, historien et journaliste, collaborateur pour Le Monde Diplomatique.

Différences de droits entre Arabes et Juifs en Israël

En Israël, des Palestiniens sont devenus citoyens israéliens. Ils sont aussi appellés Arabes israéliens et sont près de deux millions sur à peu près neuf millions d’habitants.“Ils ont les mêmes droits politiques que les Juifs. Ils votent au Parlement, ils ont des représentants politiques” assure David Chemla. 

Mais ils n'ont pas tous les mêmes droits civils. Dans un contexte de guerre, ils ne font pas tous leur service militaire. “Or le service militaire est obligatoire pour accéder à certains métiers, ce qui leur ferme les portes d’accès vers tout un tas de fonctions, notamment dans la fonction publique”, ajoute-t-il. Aussi, certaines routes entre les Cisjordanie et Israël ne peuvent pas être empruntées par des Palestiniens. Au nord-est de Jérusalem, la route 4370 sépare le trafic israélien et palestinien par un mur central de huit mètres de haut.  Elle a déjà gagné le surnom de "route de l'apartheid" côté palestinien.

Ces différences de droits existent. La question est de savoir si elles débouchent sur un régime d'apartheid. Concernant, les territoires occupés par Israël,  la question se pose entre les Palestiniens et les colons israéliens qui y vivent.

En territoires occupés, je préfère parler de conflit militaire, territorial entre deux aspirations nationalistes. C'est une occupation qui dure depuis plusieurs années.

David Chemla, fondateur de l'organisation de juif européens défendant la solution à deux États JCall.

Occupation ou apartheid des colons israéliens dans les territoires occupés

Les territoires occupés sont délimités par trois zones en fonction du degré de contrôle d'Israël, la zone A, B et C. Dans la zone A, l’armée israélienne se donne le droit d’intervenir. La zone C est sous contrôle total d’Israël pour la sécurité et l’administration. Les spécialistes se demandent donc si le régime instauré dans ces zones par Israël est un régime d'apartheid ou une situation d'occupation.

Selon le journaliste Dominique Vidal, la situation d’apartheid dans ces zones ne fait de pas doute. Les Palestiniens n'ont pas les mêmes droits que les Israéliens sur place. Une loi leur permet de dépendre du système juridique israélien alors qu'ils vivent en Palestine. Si vous avez un accident de la route, si vous tuez quelqu’un en Cisjordanie, on va se demander de quel régime vous dépendez. Vous ne serez pas jugé de la même façon si vous êtes Israélien ou Palestinien.

À (re)voir : Israël : un état d'apartheid pour les Palestiniens

TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

David Chemla préfère lui parler d’un “conflit militaire, territorial entre deux aspirations nationalistes et une occupation qui dure depuis plusieurs années.” Mais il reconnait que la situation pourrait changer.

La situation d’occupation actuelle pourrait se transformer en une situation d’annexion de la Palestine par Israël. Dans ce cas, deux options sont possibles, prédit David Chemla. Soit, les Israéliens décideront de donner les mêmes droits politiques aux Palestiniens. Soit les droits politiques ne seront pas donnés. Alors on pourra parler d’un régime d’apartheid.”