Israël/Palestine : "Sans Trump, la loi sur les colonies ne serait pas passée"

La polémique enfle depuis le vote par le Parlement israélien, lundi 6 février 2017, d'une nouvelle loi en faveur des colonies sur les terres palestiniennes en Cisjordanie. Analyse et éclairage de l'universitaire et journaliste Joav Toker. 
Image
Colonies Israël 2
Des travailleurs palestiniens sur le chantier d'un nouveau projet de logement dans la colonie israélienne de Maale Adumim, près de Jérusalem, mardi 7 février 2017. Un ministre palestinien a appelé mardi la communauté internationale à punir Israël pour une nouvelle loi controversée, quelques heures seulement après que le Parlement israélien ait adopté le projet de loi afin de légaliser rétroactivement des milliers de maisons de colonies de Cisjordanie construites illégalement sur des terres privées palestiniennes.
© (AP Photo/Oded Balilty)
Partager 5 minutes de lecture
Adoptée par le Parlement israélien dans la nuit de lundi 6 février avec 60 voix pour et 52 contre, la nouvelle loi qui favorise les colonies sur des terres privées palestiniennes en Cisjordanie est, depuis, vivement critiquée par une partie de la classe politique et par la communauté internationale. Selon le Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, le texte "est en infraction avec la loi internationale et aura d'importantes conséquences juridiques pour Israël".

Quels sont les enjeux de cette loi controversée ?
 

Jorav Toker, universitaire et journaliste basé à Paris répond aux questions de TV5MONDE : 



Que prévoit cette nouvelle loi ?

Joav Toker : Elle prévoit une facilité accrue de confiscation de terres aux cessions actuelles de propriétaires palestiniens, au bénéfice d’Israéliens qui aimeraient s’installer en Judée-Samarie (Cisjordanie), soit pour construire des colonies nouvelles, soit pour élargir les colonies existantes. 

L’Etat israélien est-il dans l’illégalité ?

J.T : A partir du moment où le législateur, soit la Knesset (Parlement) vote une loi, la réalité représentée par cette loi devient légale. Ceci dit, plusieurs individus, organisations et entités politiques en Israël contestent cette nouvelle loi, et comptent solliciter la Cour suprême, qui, en Israël, a un statut particulièrement fort, plutôt semblable au pouvoir de la Cour suprême américaine. 

En outre, la Cour suprême israélienne a une longue tradition d’interventions dans des domaines politiques et sociétaux. Ceux qui comptent la solliciter, ont effectivement l’intention de contester la légalité constitutionnelle de cette loi. Cependant, il ne faut pas oublier qu’Israël n’a pas de Constitution en tant que telle. L’Etat est régi par des Lois fondamentales qui font valeur de Constitution. La Cour suprême peut ainsi ordonner à la Knesset de revoir cette loi si elle estime qu’un arrêt éventuel serait contraire à l'une de ces Lois. 

Comme pour l’évacuation d’Amona au début du mois de février 2017 ? 

J.T : Pour Amona, c’était un événement précis, un lieu précis, une échéance précise. Ici, il est question de demander à la Cour suprême de donner son avis sur cette nouvelle loi que le Parlement a voté. Ce n’est pas la même chose. Ce qui était en cause pour Amona, c’était le comportement de plusieurs dizaines d’individus, bien sûr avec une symbolique politique qui dépasse ces individus. Là, c’est le législateur qui a produit une nouvelle loi. L’étendue juridique et politique des démarches à venir auprès de la Cour suprême est donc d’une signification nettement plus importante.

Que peut décider la Cour suprême ?

J.T : A plusieurs reprises dans le passé, la Cour suprême est intervenue dans des affaires hautement politiques impliquant le vote de la Knesset, et pour lesquelles elle a pointé des aspects illégaux ou non constitutionnels de telles ou telles décisions du Parlement. C’est alors revenu dans les mains du législateur qui a effectué les modifications dans les textes puis les a revotés. C’est une manière de respecter l’arrêt de la Cour, sans pour autant laisser tomber la décision. Ce type d’aller/retour est tout à fait possible avec cette nouvelle loi. Mais il est aussi envisageable que la Cour se déclare incompétente. Sa première démarche n’est d’ailleurs pas d’étudier le fond de la requête mais sa recevabilité pour décider de s’y mêler ou non.

Cette loi est-elle une entrave à la paix, comme l’a déclaré l’Organisation de libération de la Palestine ?

J.T : Il est clair que cette nouvelle loi est vécue comme une provocation majeure de la part des victimes principales, à savoir la population palestinienne. Alors qu’elle est considérée comme un pas en avant pour la droite israélienne, qui estime que les juifs ont le droit de construire sur les territoires où vivent les Palestiniens. Comme un territoire national où ils exerceront peut-être un jour une souveraineté dans le cadre d’un Etat palestinien. 

Par ailleurs, on trouve des théories au sein de la droite israélienne selon lesquelles le chemin parcouru pour se rapprocher de la paix depuis des décennies, sinon un siècle, basé sur une tentative de respecter les uns et les autres a échoué, et n’a donné qu’une succession de guerres et d’intifada de toutes parts.

Finalement, au sein de cette droite, on soutient une formule plus musclée : les faits accomplis sur le terrain créeront une réalité sur laquelle s’aligneront les Palestiniens. Cette dialectique est, certes, particulière mais elle existe au sein de la société politique israélienne. Même si je ne crois pas qu’elle bénéficie d’une majorité en Israël et que les électeurs juifs ne voteront pas en ce sens. 

L’arrivée de Donald Trump à la tête des Etats-Unis change-t-elle la donne dans le conflit israélo-palestinien sur l’échiquier international ?

J.T : D’abord, la loi ne serait certainement pas passée sans Trump au pouvoir. Cette proposition de loi circule dans les couloirs du Parlement et les antichambres du gouvernement depuis longtemps. Mine de rien, elle a été votée seulement dix jours après l’arrivée de Trump. 

La semaine prochaine, Benjamin Netanyahu se rendra à Washington. Il faut savoir qu’il n’a pas participé au vote de la Knesset, la majorité ayant été obtenue sans sa voix. L’astuce ? Pouvoir dire au président américain qu’il était lui-même partagé par l’utilité de cette loi contre laquelle Netanyahu a résisté. D’ailleurs, il est considéré dans le monde comme un dirigeant de droite, ce qu’il est. Mais au sein de la droite israélienne, il est placé à la gauche, voire à la gauche extrême de la droite. D’autre part, c’est aussi une manière pour lui d’illustrer qu’il est soumis à une pression importante de sa droite, pour que Trump la prenne en compte dans leur relation à venir.  

Enfin, il faut ajouter que le président américain s’est exprimé à plusieurs reprises sur le conflit israélo-palestinien en se déclarant grandement plus favorable aux positions israéliennes de Netanyahu. Un changement par rapport aux positions de l’administration Obama.