S'égarer brièvement dans une ville italienne peut coûter plus cher que le prix du voyage. Chaque année, des milliers de touristes sont piégés par les réseaux de caméras qui surveillent les accès aux centres historiques de plusieurs villes du nord et de la capitale. Désormais automatisée, la répression n'est limitée par rien et l'addition dépasse vite le millier d'euro. Grâce aux progrès de l'Union européenne, il devient difficile d'y échapper.
Orwell
Ce devait être une escapade familiale sans histoires et pas trop chère. Une ballade d'une semaine dans le nord de l'Italie à l'occasion de petites vacances scolaires pour ce couple parisien et son fils adolescent. Au programme: Vérone, Pise, Florence. Budget limité. Aller en train, retour en charter. Petite voiture louée sur place pour se déplacer d'une ville à l'autre. On évite les restaurants chers et, aux hôtels hors de prix, on préfère quand c'est possible la solution "chez l'habitant". A Florence, terme de la boucle, un studio est réservé en lisière de la vieille ville. Lorsqu'ils y parviennent, un soir pluvieux, porté par le flot de circulation et guidés par leur GPS, nos trois touristes ne remarquent pas un panneau en italien entre mille autres signalant, sans précision, certaines restrictions à la circulation. .. Distraction fâcheuse, et erreur à 700 €. Le temps d'un bref circuit pour trouver la résidence, déposer les valises avant d'aller vite rendre la voiture à l'agence de location pour ... éviter les problèmes, de sortir d'un dédale qu'ils ne connaissent pas, les caméras de Florence ont saisi six clichés de leur plaque d'immatriculation : 102 € pièce, auxquels s'ajoutent les "frais" de recherche d'identité prélevés par le loueur de voiture. Bienvenue en Italie, qu'on n'imaginait pas si en pointe en la matière. Le cadeau Florentin leur parvient six mois plus tard, sous forme d'une rafale de courriers recommandés d'une société de recouvrement privée mais arborant le logo de la ville. S'ils ne payent pas, apprennent-ils, l'administration française peut relayer les poursuites jusqu'à, si nécessaire, la saisie des biens. Cas extrême, cette mésaventure ? Aucunement. Selon les statistiques officielles de la seule ville de Florence près de 40 000 contraventions y ont été dressées en 2012, pour ce seul motif d'infraction en zone interdite (près de 10 000 en ZTL, zone à trafic limité). D'autres cités telles que Pise et – avec semble t-il moins de rigueur - Rome pratiquent la même chasse lucrative, avec un zèle accru en ces temps de crise. « Les villes se servent des touristes comme de vache à lait faute de crédits suffisants », observe une journaliste romaine.
Midnight express
L'objectif affiché peut sembler louable : désengorger les villes les plus courues de la péninsule, libérer leur centres historiques de l'assaut polluant et ingérable des centaines de milliers de véhicules qui s'y engouffrent chaque année. Les étrangers ne sont pas les seuls frappés. Les visiteurs italiens non résidents des lieux concernés sont soumis au même régime. Eux, cependant, sont familiarisés avec ces nouvelles règles, en connaissent les pièges et ... savent les éviter, habitués à repérer d'un coup d’œil les caméras fatidiques. Ce sont elles , en effet qui font régner l'ordre orwellien nouveau des cités italiennes. Loin du coup de sifflet suivi d'une admonestation policière - voire d'une amende en cas de malchance - qui prévalait naguère pour ce type de faute et reste souvent l'usage en Europe, leur yeux électroniques ignorent, eux, autant l'indulgence que l'hospitalité... mais aussi le bon sens. Tout « flashage » – automatique et systématique - d'un véhicule non autorisé déclenche une contravention de plus de 100 € mais celui-ci n'en est pas quitte. Il sera à nouveau flashé à la sortie de la zone et pénalisé de 100 € de plus. S'il s'y perd et tourne en rond – cas fréquent des étrangers, en l'absence de signalisation – il peut se retrouver frappé en quelques dizaines de minutes d'un bon millier d'euros d'amendes, a fortiori s'il se retrouve dans un couloir de bus. Dans la rafale de « procès verbaux » qu'il recevra chez lui, les infractions prises en compte ne sont parfois espacées que d'une ou deux minutes. L'administration ignore cette redondance manifeste (sanction multiple pour, de fait, la même « faute ») et se borne à transmettre ce qu'ont capté les caméras. « Je reçois aujourd'hui trois lettres recommandés. Il s'agit trois fois du même cas, dans une zone ZTL. Je ne l'ai pas vu sinon je ne l'aurais pas fait. Trois PV pour le même jour à 11h03, 17h40 et 17h43. » témoigne Luc sur l'un des nombreux forums dédiés au sujet. Si tous les pays d'Europe connaissent le radar routier, seule l'Italie en fait en ville un usage aussi intensif et aveugle. Un peu partout en Europe - en France, notamment, mais aussi en Belgique, en Espagne - et jusqu'au Canada, les témoignages épouvantés prolifèrent sur la toile et sur les réseaux sociaux. « Je viens de recevoir dix PV de 105 € pour avoir circulé dans la zone à trafic limité sans m'en être rendu compte, écrit Patrick. C'est de l'arnaque ! « La pluie de ticket a commencé ici au Canada, témoigne Gady. J'attends le coup de massue ». Une autre victime parle de « Midnight express » à l'italienne.
Monopoly
Les « zones de trafic limité » sont d'autant moins perceptibles au béotien que leur accès reste autorisé aux résidents et l'automobiliste non averti doit avoir la présence d'esprit de ne pas suivre le flot de circulation vers le centre. Si les panneaux situés à leur entrée existent bien, ils ne brillent ni par leur clarté ni par leur visibilité, noyés dans d'autre signalisations, parfois traduits en anglais mais jamais dans les langues des pays voisins et surtout pas en français. « J'ai reçu aujourd'hui une contravention de 104 € pour avoir circulé dans une de ces fameuse zone ZTL. Je n'avais même pas conscience d'avoir enfreint le code de la route. Je n'ai jamais eu d'amende de ma vie » écrit Philippe. « Et moi, je viens de recevoir par recommandé trois amendes de 119 € pour avoir tourné en rond en cherchant une place de parking dans Pise. » s'étrangle Benoît. Dans leur détail, les règles de ce nouveau Monopoly sont au demeurant complexes et, pour le profane, indéchiffrables. Les véhicules se rendant dans un hôtel ou dans un parking agréés sont autorisés à circuler dans les zones réservées (l'établissement devant transmettre leur numéro minéralogique à l'ordinateur policier) mais non ceux se rendant dans une résidence privée. Il est également permis de se rendre dans certains parkings (les initiés se procureront des certificats de complaisance, mais évidemment pas les candides). Rien de tout cela n'est d'ailleurs affiché mais consultable sur le site internet de la ville de Florence, aussi peu traduit que les rares pancartes. A l'inverse et de façon qui peut sembler cynique, celui dédié au paiement est, lui, d'une extrême clarté et... parfaitement multilingue (mais non sécurisé). Les formulaires de contestation sont téléchargeables d'un clic et d'ailleurs totalement inutiles : seuls les vices de forme ont quelque chance d'être pris en considération et ils restent, compte tenu de la mécanisation du système, assez rares. Les recours (auprès du préfet ou du juge de paix) obligent à se présenter au Tribunal des mois plus tard, à une date imposée. Ils se concluent le plus souvent par un doublement de l'amende.
Flou juridique et prédateurs
« Moi c'est presque mille cinq cents euros que me réclame France créance. Je dois faire quoi? » demande « Tof » (France). Bonne question, que se posent en boucle sur les forums dédiés des centaines de contrevenants de bonne foi, incrédules devant ce qu'ils considèrent comme un « racket » : « faut-il payer ? ». Autrefois facteur – jusqu'à un certain point - d'une certaine impunité, l'éloignement ou les frontières ne protègent plus le « fautif », que le véhicule soit ou non immatriculé en Italie. Au cours des dernières années, divers accords européens sont venus renforcer les dispositions permettant de poursuivre un contrevenant d'un pays à l'autre. L'État dans lequel il réside peut se trouver, c'est le cas de la France, légalement conduit à poursuivre l’infraction commise de l'autre côté des Alpes. Dans le cas des poursuites engagées par les villes italiennes, plusieurs sociétés privées de recouvrement se chargent en outre de la procédure et, usant de logos officiels, traquent à Bruxelles, Paris ou Madrid leurs proies ébahies mais bel et bien piégées. « L'ambiguité est voulue pour que le justiciable ait un sentiment d'impuissance ou d'insécurité par rapport à ce qui pourrait s'exercer sur son compte bancaire ou ce que pourrait faire l'État. » explique Sébastien Dufour. Pour cet avocat spécialisé dans les affaires de codes de la route, rien n'oblige un citoyen étranger à se plier chez lui aux poursuites italiennes : « les nouvelles dispositions permettent à un État étranger de retrouver un contrevenant en France mais pas d'utiliser les armes du trésor public français. On est en matière pénale et le Français doit avoir été condamné pénalement, selon son code de procédure. On se rend compte que les Italiens envoient des courriers mais qu'il ne se passe pas grand chose si l'on fait le mort. ». Docteur en droit et auteur d'un « contentieux de la circulation routière » son confrère Rémy Josseaume est plus catégorique encore : « La difficulté se pose à partir du moment ou l'autorité locale vous poursuit dans votre pays sans vous faire bénéficier des règles de droits élémentaires prévues par la Convention européenne des droits de l'homme selon laquelle vous avez le droit à un procès « équitable » et que vous ne pouvez pas être condamné dans une langue que vous ne connaissez pas ». « Il y a actuellement un flou juridique sur les procès verbaux transfrontaliers car les règles sont différentes d'un pays à l'autre mais je maintiens qu'un État étranger n'a aucun pouvoir de coercition sur un ressortissant français en France. En revanche, si ce dernier doit un jour retourner dans ce pays, mieux vaut payer ». En pratique, cette dernière réserve semble suffisamment dissuasive pour inciter beaucoup à céder. En matière de contravention, les règles de prescriptions italiennes sont floues et dépendent d'un « oubli » administratif incertain (absence de relance ou de procédure), par définition difficilement vérifiable à distance. Se trouver arrêté et contraint de payer une lourde somme (le montant initial ayant été multiplié) lors d'un nouveau séjour ou d'un simple transit est un risque que la majorité des voyageurs préfère éviter, non sans amertume. « C'est moche l'Italie, finalement », écrit Borav sur un Forum. Morale plus pragmatique d'Elfie :« Les vacances reviennent bien cher ».