« Il était temps d’avoir du sang neuf et des idées nouvelles pour gouverner le Japon »
Entretien avec Jean-Marie Bouissou, directeur de recherche au CERI (centre d'études et de recherches internationales, Paris)
Comment peut-on analyser ce changement à la tête du Japon ? Ce changement de majorité est en réalité le rejet du Parti libéral démocrate par les électeurs. Les élections législatives ont d’abord été un rejet de la politique des libéraux au pouvoir depuis 50 ans, plutôt qu’un enthousiasme pour le programme du Parti démocrate du Japon porté par Yukio Hatoyama. D’autre part, ce rejet est dû à l’incapacité des conservateurs à résoudre la crise économique qui sévit depuis près de 20 ans au Japon. Ils ont essayé pendant plus de dix ans de contenir cette dérive économique par des mesures néolibérales, c'est-à-dire, par la rigueur salariale et la déréglementation économique. Mais la pauvreté ne cesse d’augmenter, le travail précaire s’accroît, les revenus des ménages diminuent et les inégalités sociales s’installent chaque jour un peu plus. Les Japonais ne voulaient plus de cette politique. Le Parti démocrate du Japon (les centristes qui viennent d’être élus), a clairement promis une augmentation de la protection sociale. Il veut augmenter les allocations familiales et rehausser le salaire minimum de base de 40% afin de relancer le pouvoir d’achat des Japonais. Quels peuvent être les effets d’un tel changement ? Sur le plan politique, la démocratie s’exprime désormais à travers deux grands partis politiques (le Parti libéral démocrate ou conservateur et le Parti démocrate du Japon, les centristes) et à travers une alternance que le pays n’avait pas connue depuis un demi siècle. Sur le plan économique, les centristes envisagent une politique moins anglo-saxonne, c'est-à-dire plus protectrice et plus centrée sur les consommateurs et les ménages. À l’international, le Parti démocrate veut établir avec les États-Unis, des relations d’égal à égal. Depuis la fin de la guerre, le traité nippo-américain unit les deux pays. Les États-Unis se sont engagés par la signature de ce traité en 1951, à défendre le Japon en cas d’attaque extérieure. Le Japon abrite des bases militaires américaines qui comptent 47 000 hommes. Le nouveau gouvernement veut renégocier les conditions de séjour de ces soldats sur le sol japonais et souhaite ainsi prendre plus d’autonomie vis-à-vis de l’administration américaine. L’idée à terme est de recentrer la diplomatie japonaise sur l’Asie. Les nouveaux dirigeants souhaitent la création d’une monnaie unique pour la région, sur le modèle de l’euro. Une monnaie unique serait synonyme d’intégration régionale forte et d’indépendance vis à vis du dollar.
Le Japon avait-il besoin de cette alternance ? Les Japonais le pensent. Je ne sais pas si les étrangers estiment de même. Les conservateurs étaient à court d’idée. Le Parti libéral était de plus en plus coupé de la réalité quotidienne. Les sièges parlementaires se transmettaient de père en fils au fil des ans, l’élite était plus renfermée sur elle-même. Il était temps d’avoir du sang neuf et des idées nouvelles pour gouverner le pays. Quels changements apportera le nouveau gouvernement ? La grande question est de savoir si les centristes vont tenir leurs promesses. Augmenter le salaire minimum de 40% relève d’une vraie gageure. Leurs promesses dans l’ensemble sont jugées coûteuses, et les finances sont en très mauvais état. Peut-on balayer 50 ans de politique libérale aussi facilement ? Cela va être très difficile. Le Parti démocrate du Japon veut par exemple réduire les dépenses de l’État pour financer les mesures de protection sociale. Ces dépenses en réalité sont liées aux grands travaux (construction de barrages et de routes) entrepris et déjà entamés dans les régions tenues par les conservateurs. On sait aussi que les fonctionnaires sont très attachés aux conservateurs et que les centristes auront par conséquent du mal à faire passer leurs décisions. Propos recueillis par Christelle Magnout15 septembre 2009
Le Japon contemporain par Jean-Marie Bouissou paru aux éditions Fayard, 2007