Japon : à Okinawa, les militaires américains ne sont plus les bienvenus

Ce dimanche les habitants d'Okinawa ont voté contre la construction d'une nouvelle base américaine sur l'île. Un projet controversé qui vise à remplacer la base déjà existente de Futenma. Un référendum qui était l'occasion pour les habitants d'exprimer leur ras-le-bol face à la présence militaire américaine. 
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Okinawa : des bases américaines de plus en plus contestés
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Okinawa est une petite île au sud de l'archipel nippon. 2 271km2  de paysages dignes des plus belles cartes postales: nature verdoyante, mer cristalline, plages paradisiaques ... et bases militaires géantes.

Une présence américaine difficile à ignorer

Héritage de la seconde guerre mondiale, Okinawa abrite la plupart des 54 000 troupes américaines présentes au Japon : c’est en effet plus de la moitié qui sont sur l’île et qui occupent 20% du territoire de l'archipel. Symbole de cette imposante présence américaine, la base de Futenma, encastrée au milieu des habitations de Ginowan, l'un des grands centres urbains de l'île. Un voisin encombrant qui pose beaucoup de problèmes à la population locale. Les nuisances sonores permanentes des allées et venus des avions et la pollution engendrée sont devenus le quotidien des habitants.

La proximité immédiate de la base avec les habitations, dont des écoles et des hôpitaux, suscite beaucoup d’inquiétudes chez les habitants concernant leur sécurité. En 2004, un hélicoptère s’est écrasé sur l’université, heureusement sans faire de victimes : le bâtiment était vide en pleines vacances d’été. Un petit rappel, s'il le fallait, que la catastrophe n’est jamais loin. 
Okinawa : la base de Futenma
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Tensions entre GIs et habitants

Mais ce sont les problèmes de criminalité qui suscitent le plus d’émoi au sein de la population. Prostitution, vols, bagarres, certains GIs sont devenus une nuisance quotidienne. Régulièrement, les soldats de la base sont impliqués dans des faits divers qui font la Une des médias japonais.  

En juin 2016, un officier de l’US Navy qui conduisait en état d’ébriété renverse deux personnes, l’une d’elle est grièvement blessée. Suite à cet incident la marine américaine décide d’interdire l’alcool à ses marins stationnés au Japon.
 
Entre 1972 et 2015 ce sont près de 6 000 crimes et délits qui ont été commis, dans la préfecture d’Okinawa par les militaires et le personnel des bases américaines, dont 26 meurtres et 139 viols selon les statistiques de la police locale. 
Mais la mesure n’est pas suffisante pour calmer la population. C'est ensuite un employé de la base qui est accusé du viol et du meurtre d’une Japonaise qui pousse la population à descendre dans la rue. Près de 60 000 personnes qui crient leur ras-le-bol face aux comportements de ces Américains plus voyous que soldat et demandent la fin de cette présence militaire. 

Un projet de relocalisation de la base 

Ces tensions qui ne datent pas d’hier, les autorités japonaises avaient déjà voulu les résoudre en 1996 avec le projet de déménager la base. Tokyo propose alors à Washington d’installer ses soldats 50 km plus loin dans une zone moins densément peuplée, la baie d’Henoko, dans une base de 160 hectares avec un port en eaux profondes.

Dès 1997,  la population s’oppose à cette relocalisation. Le projet tourne court et reste en suspens jusqu’en 2015 lorsque le Premier ministre Shinzo Abe décide de lancer les travaux préparatoires de la future base.  Les manifestations reprennent sur l’île et la question de la présence américaine à Okinawa revient sur le devant de la scène.
 
Okinawa : projet de base à Henoko
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Désormais c'est l’impact écologique du projet qui est au cœur des débats. Si la zone est peu habitée, elle recèle une grande biodiversité marine : barrière de corail, espèces marines protégées comme les dugong. La base qui prévoit de grappiller du terrain sur la mer, met en péril tout l’écosystème de la baie. 

Pour Shinzo Abe, tout cela importe peu, l’alliance de Défense nippo-américaine est prioritaire. En pleine remilitarisation, le Japon repose encore beaucoup sur les Etats-Unis pour assurer sa protection dans une région épicentre des tensions régionales entre la Corée du nord et les velléités expansionnistes chinoises.
 
L’Asie-Pacifique sera plus importante dans le siècle à venir pour les Etats-Unis et pour le monde (...) En tant que nation du Pacifique, nous sommes là pour rester. Dans les bons comme dans les mauvais jours, vous pourrez compter sur les Etats-Unis d’Amérique. 
Barack Obama, président des Etats-Unis, lors de sa tournée en Asie en septembre 2016
Un retrait américain semble fort peu probable car Okinawa occupe une position stratégique pour Washington qui a effectué un « pivot stratégique » sur l’Asie, cher à l’ancien président américain Barack Obama. Proche de Taïwan, Okinawa constitue un obstacle pour l’accès au Pacifique de la flotte chinoise, et une base avancée inestimable face à la Corée du nord. 

Une opposition à la présence américaine de plus en plus marquée

Mais tout le monde ne voit pas les choses de la même manière à Okinawa. Le 30 septembre 2018 Denny Tamaki est élu gouverneur de la préfecture. De mère japonaise et fils d’un soldat américain qu’il n’a jamais connu, c’est un farouche opposant à la présence militaire américaine sur son île. Comme son prédécesseur, il refuse l’implantation de la nouvelle base à Henoko.
 
Je ne sais pas à quel point le président Trump connaît Okinawa, mais il est évident qu'il y a beaucoup de bases américaines sur l'île et que cette concentration est injuste
Denny Tamaki, gouverneur de la préfecture d'Okinawa, lors de sa visite à Washington en novembre 2018
" Nous demandons que certaines bases soient transférées d'Okinawa à d'autres pays, y compris aux Etats-Unis et en Australie" ajoute-t-il. Le message est clair, et il reflète la pensée d’une majorité de plus en plus importante des habitants d’Okinawa.

Selon plusieurs sondages menés, 68% d’entre eux sont favorables au départ pur et simple des troupes de l’île. L’élection de ce gouverneur qui a fait campagne sur le refus de l’implantation à Henoko, en est l’expression. 
Okinawa : Tamaki rencontre Abe
(c) Associated press
Ce référendum qui a vu la victoire des opposants au transfert de la base, ne résoudra pourtant pas la crise. Mais il pourrait marquer une nouvelle étape symbolique dans le bras de fer entre Okinawa et Tokyo. Symbolique seulement, car la consultation n’a aucune valeur légale et le Premier ministre japonais Shinzo Abe a déjà prévenu : la base sortira de terre.