Japon : retour en force des conservateurs

Crise financière et économique, catastrophe naturelle et scandales politiques... Au pays du Soleil levant, plus rien ne va, semble-t-il. Depuis 2006, la troisième puissance économique du monde a connu sept Premiers ministres différents. Ce dimanche 16 décembre 2012, le Japon retourne aux urnes pour des législatives anticipées. Pourquoi une telle instabilité politique après un demi-siècle de calme plat ? Décryptage avec Vincent Touraine, correspondant de TV5Monde au Japon.
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Japon : retour en force des conservateurs
Les Premiers ministres du Japon des dix dernières années, avec leur période de mandat et dates de naissance.
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La victoire annoncée des conservateurs

15.12.2012
Vote sanction pour le parti démocrate : les électeurs japonais plébiscitent conservateurs et nationalistes.
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Décryptage

Avec Vincent Touraine, correspondant de TV5Monde au Japon

15.12.2012Propos recueillis par Liliane Charrier
Décryptage
Yoshihiko Noda en 2011, peu après son entrée en fonction
Pourquoi des élections anticipées ? Le renouvellement de la Chambre des députés devait de toute façon avoir lieu avant l’été 2013, mais l’opposition conservatrice a fait du forcing pour gagner quelques mois. Et puis une conjonction de facteurs a convaincu l’actuel Premier ministre démocrate Yoshihiko Noda de céder à l’opposition, à commencer par des sondages implacablement en faveur des conservateurs. Et pourtant, Noda ne part pas totalement vaincu, puisqu’il a posé ses conditions à la tenue d'élections anticipées. Avant d’annoncer la dissolution de l’assemblée, en novembre 2012, il avait demandé de faire passer certains projets de loi qui lui tenaient à coeur, dont un projet de loi autorisant l’émission d'obligations d'Etat pour faire face au remboursement de la dette. Après avoir longuement hésité, les conservateurs ont aussi accepté le principe d’un doublement de la TVA, que les démocrates demandaient depuis longtemps pour rééquilibrer quelque peu les finances de l’Etat - désormais actée, cette loi sera mise en œuvre en deux étapes. Une fois ces deux projets de loi importants acquis, Noda a accepté de déclencher ces élections anticipées. Aujourd’hui ou dans quelques mois, son parti est donné largement perdant, mais l’on peut dire qu’il a optimisé ce qu’il lui restait de pouvoir en imposant ce qu’il estimait être un minimum d'acquis.
Sept Premiers ministres ces six dernières années à la tête du Japon, pourquoi ? Aucun changement n’a obéi au même schéma que le précédent. Il s’agissait à chaque fois d’une conjonction différente liée à un contexte difficile – économique, naturel, politique... C’est Shinzo Abe, en 2006, qui a inauguré la période d’instabilité politique en démissionnant pour des raisons personnelles - auparavant, Junichiro Koizumi, lui, était resté six ans au pouvoir. Jusque-là, l’économie allait bien et il n’y avait pas de raison de remettre le pouvoir en question. Et puis en 2008, il y a eu ce qu’on appelle ici le "Lehman choc", qui a changé la donne au point que les deux Premiers ministres conservateurs qui ont succédé à Abe ne sont restés que quelques mois en fonction. Après un demi-siècle de règne conservateur, c’est donc la crise financière et ses effets sur l’économie qui ont déclenché le changement de majorité, en 2009. Or les démocrates n’étaient pas forcément taillés pour le pouvoir - inexpérience,  division, gaffes politiques (annonce prématurée de la hausse de la TVA), abandon de promesses de campagnes (notamment la revalorisation des allocations familiales). Tout cela a eu raison de Yukio Hatoyama. Ensuite, Naoto Kan est parti après sa gestion calamiteuse de la catastrophe de Fukushima. Finalement, Noda est le seul qui ait passé le cap des douze mois en poste !
Aujourd’hui, quelles sont les priorités des Japonais ? Selon un sondage publié par Mainichi Shinbun, l’un des plus grands journaux nippons, elles sont économiques pour 32 % des Japonais, devant le système de santé pour 23 % et les impôts pour 10 %. Le nucléaire n'arrive qu'après, avec 7%, à égalité avec la reconstruction des zones dévastées par le tsunami. Abe l’a compris, qui mise tout sur la reprise économique. Il veut lancer une politique de grands travaux, au détriment de la dette publique. Il veut aussi pousser la banque centrale à faire tourner la planche à billets pour juguler la déflation et parvenir à une inflation de 2 %. Voilà qui révèle une volonté affirmée de réveiller l’économie.
Japon : retour en force des conservateurs
Yukiko Kaka
Entre le parti démocrate du Japon de Noda et le parti libéral-démocrate de Abe, quelle place reste-t-il aux petits ? Des partis aux thématiques marquées sont récemment apparus à droite comme à gauche dans le paysage politique japonais, comme le parti de la Restauration japonaise (PRJ, nationaliste), fondé par l’ex-gouverneur de Tokyo Shintaro Ishihara, ou le parti antinucléaire de Yukiko Kada, le parti de l'Avenir du Japon, fondé par des anciens du parti démocrate. Tous deux vont grappiller des voix à droite et à gauche, et peut-être atteindre 3 % à 6 % des voix. Toujours est-il qu’ils vont amenuiser l’assise des grands partis traditionnels. Mais ils sont encore trop jeunes pour que l’on puisse projeter la place qu’ils occuperont à l’avenir sur la scène politique.
Japon : retour en force des conservateurs
Shintaro Ishihara
Comment les Japonais vivent-ils ces élections ? La frustration et le détachement des électeurs est sensible. A la veille du scrutin, 40 % d’entre eux restent indécis. Reste que les sondages créditent  aux conservateurs 300 sièges sur 480, tandis que leur allié traditionnel, le Komeito, devrait apporter 30 sièges supplémentaires. En revanche, les démocrates devraient voir leur nombre de sièges divisé par deux. Au cours du 1er semestre 2013 sera renouvelée une moitié du Sénat,  une institution qui  a du poids dans la vie politique japonaise. Si Abe, aujourd’hui, devient Premier ministre, il aura quelques mois pour transformer son essai. Et alors seulement, les conservateurs auront vraiment tous les pouvoirs.