Japon : solitude et vie de chien

Au Japon, une chaîne de grande distribution a décidé d'ouvrir une maison de retraite multi-services pour chiens vieillissants. Simple excentricité ou dernière conséquence d'un pays confronté à une inquiétante dénatalité ?
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Japon : solitude et vie de chien
Une Japonaise brossant les dents de son chien, un terrier blanc nommé Justin, âgé de 7 ans, à Tokyo le 26 mai 2007 -
(Toshifumi Kitamura/AFP)
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Ultra-moderne solitude

L'Agence France-Presse nous apprend que le centre commercial de Makuhari (banlieue est de Tokyo) va bientôt compter une nouvelle enseigne : une maison de retraite pour chiens !
Sous les cieux européens, l'info peut surprendre, sinon choquer. A l'annonce de cette information, des réactions fusent : "Comment ! C'est une blague ? Pourquoi donc apporter tant de soins à des animaux quand des enfants souffrent dans le monde ?" ou, plus radical : "Pourquoi ne pas piquer ces animaux tout simplement ?"
C'est méconnaître la situation du pays et de ses 126 millions d'habitants. Au Japon, les enfants se font rares. Et les perspectives sont plutôt alarmantes. Comme le note le journaliste Frédéric Charles (RFI) : "En 2060, les plus de 65 ans représenteront près de 40% du total contre plus de 20% aujourd’hui. Le nombre d’enfants de 0 à 14 ans va être divisé par deux. (...) Le Japon manque de crèches, discrimine les mères qui travaillent. (...) Le gouvernement préfère accorder des abattements fiscaux plutôt que des allocations aux rares Japonais qui font encore des enfants. Enfin, élever un enfant est considéré comme prohibitif. Son coût est estimé à 150 000 euros."

Résultat : jamais le taux de natalité n'a été aussi bas dans le pays (1,25 enfant par femme). Et l'association de certains chiffres gouvernementaux peut laisser songeur. Ainsi, en consultant les données officielles on apprend qu'en 2010, le Japon recensait 1,6 million de naissances contre plus de 22,3 millions d’adoptions d’animaux ! Faute d'enfant, on bichonne donc ses animaux de compagnie. Rançon de l'ultra-moderne solitude japonaise.
Le bien-être des chiens et des chats est devenu chose sacrée... et lucrative. On trouve tout là-bas pour le bien-être de votre animal : aliments, coiffeurs, psychiatres, assurances-vie, accessoires, bains thermaux, etc. Il faut se rendre à l'évidence : pour nombre de Tokyoïtes, les animaux ne font pas partie de la famille, ils SONT la famille et vous restent fidèles quand tout s'effiloche.

Dans cette société ultra-codifiée qui ne valorise que le travail, où il est mal vu de faire éclore ses sentiments, où un journal local vous explique qu'il est désormais possible de "louer un ami" pour 40 euros de l'heure, le temps d'un shopping, d'une cérémonie de mariage ou d'un simple dîner au restaurant, un quadrupède, chien ou chat, représente un substitut affectif intéressant.
N'en déplaise aux autorités. Libre à elles de muscler leur politique nataliste pour enrayer cet engouement canin ou félin. Ouvrir des maisons de retraite dédiées aux chiens apparaît dès lors comme une conséquence et moins comme une bizarrerie. Mais encore faut-il en avoir les moyens !

Japon : solitude et vie de chien
Une chienne, âgée de 12 ans, se repose dans une cage d'une maison de retraite pour chiens âgés -
(Toru Yamanaka/AFP)
Maison-test

Les propriétaires d'animaux doivent débourser en moyenne environ 1 000 dollars par mois. Le prix varie selon la taille et la race de l'animal. Rajoutez encore quelques dollars pour un molosse. Pour ce prix, la nouvelle maison de toutou bénéficie d'une aire de jeux, d'une salle de gym, d'une salle de toilettage, d'une piscine et, le plus important, de soins vétérinaires. Et le contact avec l'animal n'est jamais rompu : chaque propriétaire a la possibilité de voir son chien à tout moment, via des webcams dédiées.
Le président d'Aeonpet, Akihiro Ogawa, explique à l'Agence France-Presse : "Beaucoup d'animaux deviennent vieux en même temps que leurs propriétaires, cela devient un problème sérieux. J'espère que cette initiative apportera un début de solution". Et comme il s'agit de chiens vieillissants, on a pensé aux derniers instants de l'animal : "Le centre est aussi conçu pour offrir des soins intensifs voire palliatifs aux animaux souffrant de sénilité ou en fin de vie".
En fait, ce centre d'accueil, qui héberge actuellement vingt pensionnaires, servira de maison-test. Si l'expérience s'avère concluante, c'est-à-dire lucrative, l'homme d'affaires multipliera cette initiative dans tout le pays. Le plus souvent, une simple adaptation architecturale suffira : Aeonpet compte déjà plus de 170 magasins et 59 hôpitaux vétérinaires !

L'ouverture de ces établissements d'un nouveau genre coïncide avec de nouvelles lois au Japon qui obligent, notamment, les propriétaires d'animaux à en prendre soin jusqu'à leur décès. Scrupules humanitaires ? Que nenni ! A l'origine de ces lois, il y a d'abord un souci d'économie. Cette obligation vise en effet à réduire le nombre de chiens errants qui doivent être euthanasiés par les autorités locales.
Flairant le bon filon, Akihiro Ogawa veut même établir "une norme industrielle" pour encadrer ces mouroirs luxueux.
Un vrai mordu des affaires.