Les échanges virulents de ce mois de novembre entre Iran et Israël sur la question du nucléaire font craindre à certains un conflit ouvert entre les deux pays, déstabilisant l’équilibre des Proche et Moyen-Orient. Jean-Louis Bianco, député socialiste français (il fut directeur de campagne de Ségolène Royal lors de la présidentielle de 2007 et secrétaire général de la présidence de la République avec François Mitterrand) et président de la mission d’information sur l’Iran, a remis un rapport intitulé « L’Iran après 2008 » qui, sans contredire le récent rapport de l’AIEA sur le nucléaire iranien, tempère la situation.
Lors de la précédente mission d’information menée par l’Assemblée nationale en 2006-2007, les différents observateurs français, dont M. Bianco, n’étaient pas sûrs d’une poursuite de programme nucléaire militaire en Iran. Ca n’est plus le cas. Aujourd’hui ils en ont la certitude : « L’Iran a cherché à acheter du temps, tout simplement. » La politique de la main tendue lancée par Barack Obama qui, depuis le début de son mandat, a multiplié les petits gestes vers Téhéran et Mahmoud Ahmadinejad n’aura donc pas porté ses fruits. L’objectif de cette politique, a contrario de celle de George W. Bush, son prédécesseur, était d’engager la discussion avec l’Iran, d’abord pour parler de tout, et du nucléaire après, dans l’espoir de faire changer d’avis le président du pays. Ainsi, Washington a salué le peuple iranien et ses dirigeants lors de la fête de la République islamique. Dans le même ordre d’idée, les Etats-Unis ont fourni à l’Iran de l’uranium enrichi à 20%, matériau dont le pays manquait notamment pour ses recherches en radiologie. Cependant, malgré cette bonne volonté américaine, le programme nucléaire militaire iranien s’est poursuivi. Comme le rappel Jean-Louis Bianco, ce programme nucléaire, lancé en 1979 par le Shah, est une question d’orgueil national, comme ça a été le cas pour chaque pays possédant la bombe. Puis, suite à l’invasion irakienne de 1980 (qui a conduit à la guerre Iran-Irak qui a duré près de 8 ans), le pays veut se servir de l’arme atomique comme d’un moyen de dissuasion pour mettre en garde d’éventuels agresseurs. C’est pourquoi les trois grands pouvoirs iraniens (le président Ahmadinejad, le Guide Suprême de la Révolution – l’ayatollah Ali Khamenei -, et le Corps des Gardiens de la Révolution Islamique, les Pasdaran), s’accordent à vouloir poursuivre à tout prix le programme nucléaire militaire.
UNE OPPOSITION CIVILE EXISTANTE MAIS LIMITÉE Cela n’empêche pas qu’à l’image du mouvement vert de 2009 qui a réuni près de 3 millions de manifestants dans les rues de Téhéran, une grande part des Iraniens est opposée au régime en place. Nombre d’Iraniens ont considéré la réélection de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence comme un véritable coup d’État électoral. Selon certains opposants, l’actuel président n’aurait même pas atteint le résultat nécessaire pour accéder au second tour… Ce sentiment a été renforcé par le débat télévisé entre Ahmadinejad et ses opposants Mousavi et Karroubi précédant l’élection, où les deux adversaires politiques se sont montrés convainquant. Jean-Louis Bianco le rappelle : « La société iranienne est une société très civilisée, et pas seulement dans les classes moyennes ou aisées. Il y a une véritable fierté culturelle et historique tout à fait justifiée. La population est très jeune. Elle n’est ni antisémite, pas même antisioniste. Les gens sont très ouverts, et ont une fascination pour l’extérieur, Etats-Unis inclus. Et le pouvoir religieux iranien commence à se remettre en question du fait d’une prégnance moindre sur les jeunes : est-ce que la religion au pouvoir a toujours le même sens qu’en 1979 ? L’influence du religieux sur les jeunes coule comme l’eau sur les plumes d’un canard… »
NUCLÉAIRE IRANIEN : FANTASMES ET RÉALITÉS C’est donc dans ce climat que le pouvoir iranien poursuit son programme nucléaire militaire. Pour qui en douterait encore, Jean-Louis Bianco avance la mauvaise foi des ambassadeurs iraniens à l’AIEA, lui affirmant que les rapports sur des projets d’engins nucléaires portatifs et la fabrication d’uranium métal en Iran étaient « des faux produits par les Américains ». Les experts de l’AIEA estiment qu’à l’heure actuelle l’Iran possède 4500 kilos d’uranium enrichi, ce qui est suffisant pour fabriquer quelques bombes. Cependant, deux nouvelles questions se posent. L’Iran possède-t-il la technologie et les moyens nécessaires à la fabrication de la bombe en tant que telle ? Et quid des missiles de transport ? D’un point de vue strictement logistique, l’Iran n’est a priori pas encore au point pour concrétiser pleinement son programme nucléaire. Ces réserves sur la capacité de nuisance atomique de l’Iran n’empêchent pas l’inquiétude de monter en Israël, qui craint d’être la première cible d’attaques nucléaires le jour où l’Iran se dotera de la bombe. Une des solutions soutenues, entre autres, par Benjamin Netanyahu et Ehoud Barak serait une guerre préventive pure et simple contre le régime de Mahmoud Ahmadinejad. Ce à quoi le Mossad et le Shin Bet, les deux principales agences de renseignement israéliennes s’opposent. Car aussi terrifiante que l’arme nucléaire iranienne puisse être (et donc justifier une intervention armée), pour Jean-Louis Bianco, Israël aurait surtout à perdre dans un tel conflit. Tout d’abord, logistiquement, l’État hébreu ne pourra pas intervenir en Iran sans un soutien, armé ou diplomatique, des Etats-Unis. Or, Barack Obama, par sa politique de la main tendue, ne souhaite pas spécialement s’engager dans un conflit de ce type. Ensuite, rien ne dit qu’une telle opération permettra de mettre fin définitivement au programme nucléaire iranien. Les sites de développement sont nombreux et dispersés, et certains sont certainement secrets et/ou souterrains. Enfin, une telle intervention isolerait un peu plus Israël sur la scène internationale. Isolation de ses voisins déjà hostiles à l’État hébreu, mais aussi de l’ensemble du monde musulman. Et isolation de la Russie, de la Chine (partenaires historiques de Téhéran), de l’Inde et du Brésil, qui voient dans le programme iranien un moyen d’avoir accès à un nucléaire civil peu onéreux.
QUELS MOYENS POUR FAIRE PRESSION ? Le système de sanctions économiques demandées par l’AIEA et mis en application par le Conseil de Sécurité de l’ONU se trouve actuellement dans une impasse. « La pression passée, en forme de blocus, des Etats-Unis et de l’Europe sur leurs banques et entreprises (leur interdisant de s’implanter en Iran sous peine d’être rendues illégales dans leur pays d’origine) s’avèrerait sans effet, les sanctions toujours plus lourdes de la communauté internationale contre le pays ne l’affectant finalement que peu. », souligne encore le député socialiste des Alpes de Haute Provence. D’autant plus que près de 70% des recettes économiques de l’Iran proviennent de l’immense manne pétrolière sur laquelle le pays est assis. Au reste, afin d’éviter une augmentation des prix du pétrole, l’Occident étudie la possibilité d’autoriser les entreprises de transformation pétrolière (dont l’Iran manque) à s’installe dans le pays… Les Etats-Unis ont aussi appliqué la politique du « name and shame » (nom et honte), consistant à désigner quelques hauts dignitaires iraniens, et geler leurs avoirs ainsi que leur interdire l’obtention de visas. La mesure est plus symbolique que vraiment contraignante. Cependant, Téhéran a réagi, visiblement vexé, en constituant de son côté une liste similaire contre des représentants américains. De son côté, Jean-Louis Bianco préconise deux formes d’action : aider les activistes iraniens à contourner la cyberpolice (composée de 40 à 50000 membres), et permettre une diffusion accrue de l’information extérieure, par le biais de canaux radio et télévisés. Mais il note encore que la seule solution qui a prouvé son efficacité pour ralentir durablement le programme nucléaire iranien s’est déroulée sur le terrain de l’illégalité, par l’envoi du virus STUXNET qui a entravé les centrifugeuses nucléaires iraniennes pendant plusieurs mois, ainsi que l’assassinat d’ingénieurs et de scientifiques iraniens. L’explosion qui est survenue le 12 novembre 2011 dans un dépôt de munitions des gardiens de la révolution va dans le même ordre sens (un général responsable des recherches militaires fait partie des victimes). On ignore toujours qui d’Israël, des Etats-Unis ou de l’opposition iranienne est responsable de ces actions. Le député conclut en estimant que, finalement, la transition démocratique de l’Iran ne pourra venir que du peuple : « l’avenir de l’Iran est d’abord entre les mains des Iraniens. »
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