Fil d'Ariane
Tout a commencé avec la publication, fin janvier par le magazine à scandales National Inquirer, de textos passionnés échangés entre Jeff Bezos et une amie au printemps 2018, soit plus de six mois avant l'annonce de la séparation de l'homme le plus riche du monde avec son épouse, MacKenzie. Jeff Bezos est propriétaire du quotidien national Washington Post et n'a pas semblé goûter cette publication de sa vie privée par ce groupe de presse concurrent. Contrarié, il a alors engagé des détectives privés pour tenter de découvrir l'origine de la fuite et déterminer si les motivations d'American Media Inc (AMI), le propriétaire du National Enquirer, allaient au-delà du scoop.
Inquiet de la publication d'informations issues de cette enquête, AMI a alors contacté le PDG d'Amazon pour lui demander de ne rien en faire. En contrepartie, le groupe s'engageait à ne pas utiliser des photos intimes — et potentiellement compromettantes — échangées entre lui et sa fameuse amie. En retour, Jeff Bezos a publié une tribune ce jeudi 7 fevrier 2019 sur le site Medium, dans laquelle il accuse l'hebdomadaire à scandales National Enquirer de l'avoir "menacé de publier des photos intimes s'il ne renonçait pas à enquêter sur la manière dont le titre s'est procuré des informations sur sa liaison extraconjugale". Bezos a aussi publié le contenu de lettres échangées avec AMI. Un moyen d'éviter "l'effet Streisand" bien connu d'Internet : plus vous tentez d'empêcher la diffusion de quelque chose, plus elle se multiplie (l'effet Streisand a été inventé après l'affaire impliquant la chanteuse Barbara Streisand qui tentait d'empêcher la diffusion de photos de son domaine privé sur Internet).
Sachant que les descriptions — envoyées par le National Enquire à Bezos qui les a publiées — des photos considérées compromettantes, ne le sont pas vraiment : principalement des clichés où l'homme d'affaire porte son alliance, en short, dans sa salle de bain ou de sa maîtresse en bikini, ou l'une simulant "du sexe oral avec un cigare"… Mais l'affaire n'est pas si simple, puisque Jeff Bezos est en conflit avec le président américain Donald Trump et que le PDG d'AMI est lié à l'Arabie saoudite.
De manière détournée, il laisse entendre que les révélations le concernant publiées par le National Enquirer pourraient avoir un lien avec l'hostilité qu'affiche Donald Trump envers lui. La personne chargée de l'enquête par Jeff Bezos, Gavin de Becker, a notamment révélé s'être intéressée au frère de l'amie de Jeff Bezos, Michael Sanchez, qui compte parmi ses connaissances Roger Stone, conseiller et ami de longue date de Donald Trump.
M. Sanchez, qui a fréquenté également Carter Page, ancien conseiller diplomatique du président américain, pourrait ainsi être à l'origine de la fuite selon l'enquête, a révélé le site Daily Beast. Dans sa tribune, Jeff Bezos laisse aussi entendre que les enquêteurs se seraient intéressés aux relations entre AMI et Donald Trump. Le patron d'AMI, David Pecker, est un ami de longue date du président américain et a reconnu avoir acquis les droits de témoignages compromettants pour Donald Trump avec le projet clair de ne jamais les publier, pour le protéger. Il a, depuis, accepté de collaborer avec la justice dans l'enquête du procureur spécial Robert Mueller, un revers pour Donald Trump.
Dans sa tribune, Jeff Bezos mentionne également l'Arabie saoudite, et évoque des liens supposés entre AMI et le prince Mohammed ben Salmane. Or le prince a ordonné, selon plusieurs rapports officiels, le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi, qui a collaboré au Washington Post, propriété de Jeff Bezos. Le président américain critique régulièrement Jeff Bezos, le plus souvent sur Twitter, l'accusant notamment de vouloir le discréditer via le Washington Post, dont il est propriétaire, ou de ruiner la poste américaine en lui imposant des tarifs trop avantageux pour Amazon. Sollicité par l'AFP, le groupe AMI n'a pas réagi dans l'immédiat.