JEFTA : le redoutable accord de libre-échange entre le Japon et l'Union européenne

Après le rejet du TAFTA (Accord de libre échange UE-Etats-Unis), puis la signature du CETA (accord de libre échange UE-Canada), le JEFTA a été ratifié : un accord commercial entre l'Union européenne et le Japon de grande ampleur et très favorable aux multinationales. Adopté définitivement le 12 décembre par le Parlement européen, le JEFTA est dénoncé par une partie de la classe politique, toutes les ONG de défense de l'environnement, les syndicats et les défenseurs des acquis sociaux et du droit du travail.
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Accord JEFTA juillet 2018
Le Premier ministre Shinzo Abe au centre, le président du Conseil de l'Europe Donald Tusk à gauche, et le président de la Commission européenne, Jean-Claude Junker, lors de la signature de l'accord JEFTA le 17 juillet 2018, à Tokyo.
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Ce serait un quart du Produit intérieur brut (PIB) mondial qui pourrait être concerné par ce nouvel accord entre l'UE et le Japon, le JEFTA. Adopté à 474 voix pour, 152 contre et 40 abstentions par le Parlement européen ce 12 décembre 2018, cet accord commercial avec le Japon — un pays dont le PIB est trois fois supérieur à celui du Canada — pose de nombreux problèmes aux défenseurs de l'environnement, du droit du travail, des réglementations sociales. Pour certains de ses détracteurs il mettrait même en danger la démocratie européenne.  

Un traité… qui libéralise

Les traités comme le JEFTA sont censés permettre d'accroitre les échanges commerciaux entre des zones du monde afin d'augmenter leur croissance économique et créer des emplois.

Lire notre article : "Accords commerciaux transatlantiques : TAFTA est mort, vive CETA ?"

Le JEFTA est mystérieusement très peu efficace sur ces pans là, selon la Commission européenne elle-même, qui a évalué le gain de PIB à 0,14% et une création de 100 000 emplois d'ici à 2035. Autant dire une goutte d'eau dans l'océan économique de l'Union européenne qui compte aujourd'hui 240 millions d'habitants actifs. 

Les principaux avantages du JEFTA ont été malgré tout mis en avant fin 2017 par la Commission européenne de la façon suivante : 


"L'accord de partenariat économique supprimera la grande majorité des 1 milliard d'euros de droits payés annuellement par les entreprises de l'UE exportant vers le Japon, ainsi que de nombreux obstacles réglementaires de longue date. Il ouvrira également le marché japonais de 127 millions de consommateurs aux principales exportations agricoles de l'UE et augmentera les possibilités d'exportation de l'UE dans divers autres secteurs (…) il autoriser à l'UE à augmenter substantiellement ses exportations de viande bovine vers le Japon (…)"

Comme avec tous les accords de ce type, il n'y a rien de très orignal avec le JEFTA puisqu'il permet d'augmenter les exportations de chaque partie. Comme avec le CETA de nombreux secteurs sont ouverts à la concurrence et permettent l'accès aux marchés publics : 


"L'accord ouvre également des marchés de services, notamment les services financiers, le commerce électronique, les télécommunications et les transports (…) garantit aux entreprises de l'UE l'accès aux grands marchés publics japonais dans 48 grandes villes et élimine les obstacles à la passation des marchés dans le secteur ferroviaire (…)"

Visiblement, en 2017, la préoccupation au sujet des normes d'environnement, du travail, de la protection des consommateurs, de l'environnement ou même de la lutte contre le changement climatique sont incluses dans le traité. Tout du moins en termes d'intentions :



"L’accord comprend également un chapitre complet sur le commerce et le développement durable; établit les normes les plus élevées en matière de travail, de sécurité, d'environnement et de protection des consommateurs; renforce les actions de l'UE et du Japon en matière de développement durable et de lutte contre le changement climatique et garantit pleinement les services publics."

Un an plus tard, c'est pourtant un traité climaticide et antisocial qui est dénoncé…

Le diable se cache dans les détails 

Le site de l'association ATTAC France (Association pour la taxation des transactions financières et pour l'action citoyenne) dénonce les "ruses" légales qui ont été glissées au niveau des articles du traité JEFTA afin d'écarter toutes les contraintes liées à la protection de l'environnement ou du droit social. Ainsi, la "faille juridique" pour contourner les accords environnementaux tient en peu de chose : "Toute mesure adoptée ou maintenue en « déclinant les accords multilatéraux sur l’environnement » ne peut l’être que « sous réserve que ces mesures ne soient pas appliquées d’une manière qui constituerait un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable contre l’autre partie [Japon, UE ou État membre] ou une restriction déguisée au commerce » (article 16.4.5). 

Ainsi, le commerce passe avant les accords multilatéraux sur l'environnement dénonce ATTAC, tout comme le droit du travail : "Les engagements des État dans le cadre de l’Organisation internationale du travail (OIT) sont réaffirmés, mais ne peuvent contrevenir au droit commercial et d’investissement." Il faut rappeler que le Japon n’a pas ratifié deux des huit conventions fondamentales de l’OIT.

Et, "last but not least", alors qu'il ne fait aucune référence au principe de précaution, le JEFTA renforce en plus le droit à la propriété intellectuelle, ce qui immanquablement nuiera  à la transparence dans le secteur industriel.  La crainte de dissimulations de scandales  — comme celui du DieselGate ayant touché Wolswagen  — est réelle, tout comme la possibilité pour le Japon de remettre en cause la directive OGM (Organismes génétiquement modifiés, ndlr), sachant que ce pays est l'un de ceux qui en produit le plus pour l'alimentation. 

Un accord anti-démocratique ? 

Le principe d'un "Comité de coopération réglementaire", composé de représentants de l’UE et du Japon ainsi que des "parties prenantes" (les représentants des entreprises multinationales et leurs lobbyistes) a été retenu pour faire évoluer les normes et réglementation au sein du traité. Les entreprises, dans ce cadre, pourront soumettre leurs propres textes règlementaires. Quant au tribunal d'arbitrage privé (composé d'avocats d'affaires) qui permet aux multinationales d'attaquer en justice des Etats, il n'a pas été inclus dans l'accord jusqu'alors : c'est ce système qui avait fait rejeter une première fois le CETA, et a été invalidé par la cour de justice européenne en avril dernier.

Le JEFTA n'est pas mis en cause uniquement pour son aspect climaticide, antisocial ou destructeur des services publics, mais aussi par son caractère anti-démocratique, selon certains de ses détracteurs, puisqu'il n'a pas été ratifié par les Parlements nationaux comme a dû l'être le CETA. La députée européenne Clémentine Autin (France Insoumise) s'en est inquiétée : 

Sachant que les élus nationaux sont exclus du Comité de coopération réglementaire — seulement entre les mains des hauts fonctionnaires de l'UE, du Japon et des représentants des multinationales — il est difficile de trouver des qualités démocratiques au JEFTA. Sans compter que le principe de "liste négative" ayant été retenu — comme pour le CETA —, tous les services peuvent être libéralisés sauf ceux spécifiés comme ne pouvant pas l'être : la gestion de l'eau, des univeristés, de la santé ne sont pas dans la "liste négative", ils seront donc susceptibles d'attiser les appétits des entreprises. A l'heure du grand débat national pour "redonner du souffle à la démocratie", lancé par le chef de l'Etat français sous la pression du mouvement des Gilets Jaunes, il est étonnant de découvrir que le JEFTA peut totalement modifier la donne dans les secteurs publics et accentuer les problèmes environnementaux sans que personne ne puisse rien y faire. Que ce soit au niveau des citoyens… ou même de leurs représentants.