C'est une ville bien modeste au regard de sa place dans l'histoire. Jérusalem, la cité la plus invoquée en tous les temps. 875 000 habitants, près du dixième de la population israélienne. Selon les estimations, 60 % de Juifs, 30 % de Musulmans, le reste recouvrant de multiples minorités dont les Chrétiens
(1).
Elle est surtout, pour sa gloire et son malheur, la ville « trois fois sainte », parmi les lieux les plus sacrés des trois monothéismes. Des Juifs, elle abrite le Mur des lamentations, vestige du Temple d'Hérode. Des Chrétiens, le Saint-Sépulcre, selon la tradition tombeau du Christ. Des Musulmans, l'Esplanade des mosquées, ensemble incluant Mosquée al-Aqsa et Dôme du rocher, troisième lieu saint de l'Islam d'où le Prophète, selon le récit coranique, s'est une nuit envolé.
L'an prochain à Jérusalem...
Si je t’oublie, Jérusalem, que ma (main) droite m’oublie. Que ma langue s’attache à mon palaisPsaume 137,5
Au nom de la religion et d'une légitimité historique puisée dans leur antiquité, les Israéliens considèrent Jérusalem comme leur capitale depuis trois millénaires.
Elle fut dès le Xème siècle avant Jésus Christ la capitale du royaume d'Israël de David. La destruction du premier temple par Nabuchodonosor avait inspiré un Psaume redoutable : «
Si je t’oublie, Jérusalem, que ma (main) droite m’oublie. Que ma langue s’attache à mon palais si je ne me souviens toujours de Toi, si je ne place Jérusalem au sommet de toutes mes joies ».
Commandement plus impérieux encore après la destruction du Temple d'Hérode en 70 par les Romains. Dispersés, les Juifs n'ont cessé durant près de deux millénaires de l'invoquer dans leurs prières, concluant chacune de leurs oraisons de la Pessah (Pâques juives) d'une espérance autant qu'une promesse : «
l'an prochain à Jérusalem ».
La ville où Jésus fut mis à mort, pourtant, devait passer plusieurs siècles sous domination chrétienne avant de devenir musulmane en 638. Malgré les tentatives des croisades et leur succès temporaire du « royaume latin de Jérusalem » (1099-1187), elle allait le rester plus de treize siècles, jusqu'au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Ses vainqueurs se résolvent alors, contre la volonté des Arabes, à la création de ce qui deviendra l’État d'Israël.
En 1947, le Conseil de sécurité prévoit le partage de la Palestine – alors sous mandat britannique - en un État juif et un État arabe, Jérusalem
constituant une entité séparée ("
corpus separatum") sous contrôle des Nations Unies. La première guerre israélo-arabe en décide autrement : la coalition arabe battue, Jérusalem se trouve coupée en deux. La partie orientale revient à la Jordanie. Sa partie ouest est annexée en 1949 par Israël qui en fait sa capitale.
D'annexion en annexion
En 1967, la guerre des «
six jours » permet à Israël de conquérir, avec la Cisjordanie, la partie orientale de Jérusalem annexée le 28 juin 1967. Les limites de la municipalité passent de 607 à … 7285 hectares. La ville « réunifiée » devient – malgré une première
résolution contraire de l'ONU - la «
capitale éternelle et indivisible du peuple juif », statut et expression gravés en 1980 dans la loi fondamentale (constitution) israélienne.
Acte unilatéral, condamné par une résolution du Conseil de sécurité (
résolution 478 du 20 août 1980 votée à l'unanimité moins l'abstention des États-Unis).
Le texte de l'ONU déclare la loi votée par le parlement israélien nulle et non avenue. Il invite les États ayant une représentation à Jérusalem à la retirer.
Ainsi fut fait. La plupart des pays, parmi lesquels la France, le Royaume-uni, les États-Unis..., maintiennent leur représentation à Tel Aviv, seconde ville et capitale économique d'Israël. La plupart de ceux – États d'Amérique du Sud, principalement - qui en avaient ouvert une à Jérusalem l'y déplacent.
Les puissances historiquement influentes - comme la France - maintiennent à Jérusalem des
consulat généraux chargés – outre l'administration de leur communauté respective – des affaires relatives aux territoires palestiniens occupés, dont … Jérusalem-Est.
Le 8 décembre 2009, l’Union européenne appelle Israël à partager Jérusalem comme capitale conjointe de deux États, hébreu et palestinien. Les Vingt-Sept assurent qu’ils
« ne reconnaîtront aucun changement autre que négocié » au statut d’avant 1967.
Une position ambiguë
Malgré son respect de principe du droit international et des résolutions onusiennes, la position de Washington, en revanche, évolue dans une ambiguïté croissante qu'explique son lien intime avec Israël.
En 1995, le Congrès américain adopte une loi établissant que «
Jérusalem devrait être reconnue capitale de l’État d’Israël » et que l'ambassade des États-Unis devrait être transférée à Jérusalem au plus tard le 31 mai 1999.
Décision peu opportune aux yeux de la Maison blanche, consciente qu'un tel geste risque décrédibiliser sa diplomatie auprès des capitales arabes.
Le réalisme demeurant, au terme d'une « clause dérogatoire » laissant à l'exécutif un droit de différer de six mois l'application de la loi au nom de la sécurité nationale, le déménagement de l'ambassade est reporté chaque semestre par le président américain depuis … 22 ans.
Ami très affirmé de la droite israélienne, Donald Trump avait annoncé, lors de sa campagne électorale, vouloir rompre avec cette pratique en validant le déménagement de l'ambassade à Jérusalem et le symbole qui s'y attache. Au pouvoir, il a pourtant hésité sur ce point et, comme ses prédécesseur, d'abord utilisé en juin la « clause dérogatoire ».
Adepte des transgressions mais cependant désireux de jouer un rôle dans la région, le président américain n'est pas totalement indifférent aux avertissements venus de multiples horizons. L'échéance de décembre, pourtant, devait être celle du passage à l'acte.
Hautement inflammable
Au cours des derniers jours, Donald Trump n'a pas fait mystère de sa résolution à ses différents interlocuteurs officiels alarmés. Avant même qu'elle soit officialisée, les réactions ne se sont pas fait attendre.
Rien ne justifie cette décision. Cela ne servira pas la paix et la stabilité, au contraire, cela nourrira le fanatisme et la violence. Ahmed Aboul Gheit, Secrétaire général de la Ligue arabe
Pour un porte-parole du président palestinien Mahmoud Abbas , cette décision «
détruirait le processus de paix ». Emmanuel Macron faisait part lundi à Donald Trump de «
sa préoccupation sur la possibilité que les Etats-Unis reconnaissent unilatéralement Jérusalem comme capitale de l'Etat d'Israël ».
Modifier le statut «
historique » de Jérusalem entraînera «
une grande catastrophe » et «
mettrait fin au processus de paix », avertissait le porte-parole du gouvernement turc. «
Jérusalem est une ligne rouge », confirmait le président Erdogan, habituellement compréhensif à l'égard d'Israël..
«
Rien ne justifie cette décision, protestait pour sa part le chef de la Ligue arabe, Ahmed Aboul Gheit
. Cela ne servira pas la paix et la stabilité, au contraire, cela nourrira le fanatisme et la violence ». Le Hamas menace pour sa part d'une «
nouvelle intifada ».
« Les Musulmans doivent être unis face à ce grand complot », indiquait le président iranien Hassan Rohani lors d'un discours devant des responsables à Téhéran. L'Iran « ne tolérera pas une violation des lieux saints musulmans ».
Malgré un report de deux jours, le choix du président américain ne laissait alors plus beaucoup de place au doute. Le mercredi 6 décembre 2017, la ville trois fois sainte devenait officiellement, aux yeux de l'acteur essentiel que sont dans le conflit les Etats-Unis d'Amérique, la capitale du seul Etat d'Israël.
↑(1) Selon le bureau israélien statistiques