Le 10 novembre 2019, Paris a accueilli la grande finale des « Worlds », compétition mondiale du jeu vidéo Leagues of Legends, remportée par l'équipe chinoise FPX face aux Européens de G2 (3-0 . Avec 99,6 millions de spectateurs en 2018, cette compétition en ligne est la plus regardée dans le monde. La croissance fulgurante de l’e-sport en fait un acteur économique de plus en plus important. Un succès qui pousse certains à se lancer et à se professionnaliser.
Depuis quelques années, l’engouement pour l’e-sport connaît une croissance phénoménale. Rien qu’en France, cinq millions de personnes suivent des compétitions en ligne. En peu de temps, leur organisation est passée de petites salles dans les cybercafés à d’immenses stades qui peuvent accueillir jusqu’à 70 000 personnes !
L’e-sport : un marché fructueux
Avec des recettes avoisinant le milliard d’euros en 2019, ce sport d'un nouveau genre a attiré des milliers de joueurs professionnels. Par professionnels, il faut entendre des joueurs qui jouent à plein-temps et qui en vivent. Si la scène compétitive est surtout représentée par les Etats-Unis (3222 joueurs de compétitions en 2018), la Corée du Sud (1135 joueurs) et la Chine (1116 joueurs), la France suit de près avec pas moins de 846 joueurs.
Le reste de la francophonie peut paraître un peu en recul mais c’est parce que les plus grosses structures européennes sont situées en France. Les joueurs suisses, belges, mais aussi allemands ou polonais rejoignent ainsi des équipes françaises.
L’Afrique aussi se taille une place encore discrète dans l’e-sport. Le marché est peu développé pour le moment mais certains acteurs de l'e-sport y voient un marché avec un gros potentiel.
L’e-sport qu’est-ce que c’est ?
Avec les jeux vidéo multi-joueurs, la compétition sportive a pris une nouvelle tournure et une nouvelle branche est apparue : l’e-sport (ou sport électronique). Les jeux les plus populaires comme League of Legends, Fortnite, FIFA, Call of Duty ou Counter-Strike organisent chaque année de grosses compétitions. Mais il ne faut pas s’y tromper, si beaucoup de mauvaises langues ne voient pas cette discipline comme du sport, elle nécessite autant d’entraînement et de concentration qu’un championnat d’échec ou de tir à l’arc. Pour preuve, le jeu vidéo ayant explosé ces dernières années, le nombre de concurrents potentiels ne cesse d’augmenter. Pour se faire une place sur le podium, il faut affronter à des millions de joueurs. Rester compétitif nécessite donc un entraînement intensif. A la rentrée de septembre 2019, l’une des équipes françaises les plus populaires, la « Team Vitality », investira les locaux du Stade de France pour y entraîner son équipe.
Plus les moyens investis augmentent et plus nombreux sont les joueurs qui peuvent vivre de l’e-sport. Pour ce qui est de la rémunération moyenne de ceux qui sont les mieux classés, le fondateur de la « team MCES », Romain Sombret, estime «
une grille de salaire entre 1500 et 3-4000 euros [mensuels
] par joueur en France [… ]et au niveau européen, on parle de joueurs qui gagnent entre 10 et 15 000 euros par mois ».
Les compétitions sont devenues plus professionnelles au fil des années. Aujourd'hui, certains décrochent des pactoles en remportant des compétitions dont les gains ne cessent d'augmenter chaque année.
Dès 2011, le développeur de jeux vidéo Activision organisait la « Call of Duty Championship » où les huit premiers se partageaient un million de dollars. Récemment, le vainqueur du championnat du monde sur le jeu Fortnite a gagné trois millions de dollars. Ces compétitions sont pour la plupart diffusées sur des plateformes en ligne (Twitch.tv, Mixer…) qui ont gagné en popularité au fil des années.
Outre les compétitions, ces « streams » sont devenus une nouvelle source de revenus. C'est-à-dire qu'en dehors des compétitions, les joueurs vont diffuser en direct leurs parties de jeux vidéo « classiques ». L’occasion pour eux de se créer une communauté de fans : le joueur filme son visage dans un coin de l’écran, il s’adresse directement à ses spectateurs et répond aux questions posées. Les marques vont alors sponsoriser les joueurs et compléter ainsi leurs revenus. Le Français Corentin Houssein (alias « Gotaga ») a son visage sur les nouvelles canettes
Red Bull. De l'autre côté de l'Atlantique, l’Américain Ninja (joueur qui a connu un gain de popularité hors norme ces dernières années) a réalisé des records d’audience et affiche un revenu de 500 000 dollars par mois grâce à ses diffusions en direct sur Fortnite. Cette intrusion des marques qui n’ont rien à voir avec les jeux vidéo est un phénomène récent.
Le sociologue Nicolas Besombes, expert de l’e-sport, s’est penché sur le sujet. «
Au départ, les sponsors des grosses compétitions étaient des marques endémiques (NDLR : qui viennent du milieu du jeu vidéo)
: les fournisseurs de matériel pour les joueurs ou les constructeurs d’ordinateur ». Elles faisaient ainsi la promotion de leurs produits auprès de leur public cible. Le magasin spécialisé dans l’informatique LDLC possède même une équipe du même nom connue sur la scène francophone. «
Puis, des marques non-endémiques de tous les secteurs d’activité ont rejoint le milieu du jeu vidéo telle que Adidas, Airbus, le CIC, Red Bull, Deezer, La Poste etc. ».
Elles touchent ainsi un public d’une jeune génération : celui qui regarde peu ou ne regarde plus la télévision et qui utilise des bloqueurs de publicité quand il va sur internet.
Le mode de vie des joueurs de jeux vidéo ressemble de plus en plus à celui des sportifs traditionnels comme les joueurs de foot. Certains se sont mis à proposer des formations pour les jeux vidéo comme le proposerait un club de foot.
Les écoles de l’e-sport
Notoriété, gains vertigineux... Les jeux vidéo et l’e-sport font rêver. Alors pourquoi ne pas en faire un métier ? Des écoles du jeu vidéo se sont lancées sur ce nouveau marché. Toutes les formations proposées ne sont pas les mêmes mais elles ont toutes un point commun : elles découlent du secteur privé et coûtent plusieurs milliers d’euros par an.
Ces écoles souhaitent former des joueurs professionnels pour qu’ils puissent vivre de leur passion. La « Montpellier Gaming Academy » revendique former des « cyber-athlètes ». Cependant, d’anciens élèves dénoncent des conditions de travail déplorables et une formation inutile. Ce n’est pas la première école du genre qui suscite une controverse. Un collectif d'anciens élèves a écrit ci-dessous leurs témoignages.
Que penser de ces écoles qui prétendent former des joueurs professionnels ? Rares sont ceux qui sont recrutés après avoir suivi une formation. Le profil typique est celui d’un jeune joueur qui fait des compétitions en ligne avant même d’atteindre la majorité. Il attire l’attention de certaines équipes qui viennent lui proposer un contrat. Un scénario qui rappelle celui des joueurs professionnels de football ou de basket.
L’e-sport, des métiers prisés
D’autres écoles comme la "Gaming Business School" à Lyon, fondée par Thierry Debarnot (co-fondateur de Digischool), ou la "Paris Gaming School", ne forment pas des joueurs mais aux métiers du jeu vidéo. Du manager au journaliste e-sportif en passant par le régisseur, tous les métiers permettant de garder une proximité avec ce milieu sont proposés. Beaucoup étant liés à l’événementiel ou à la gestion, ils facilitent les reconversions professionnelles.
Par ailleurs, être bon aux jeux vidéo est une qualité de plus en plus recherchée par les entreprises. Par exemple, les métiers de la cybersécurité recrutent de plus en plus de joueurs. Ce secteur en pleine croissance faisant face à une pénurie de diplômés, les recruteurs vont alors chercher des joueurs de jeux vidéo pour répondre à leur demande. Les entreprises trouvent chez les joueurs une certaine aisance à travailler en équipe et à coopérer pour résoudre des problèmes. Des valeurs recherchées par les employeurs.
En 2019, à Paris, une compétition de jeux vidéo a eu lieu entre étudiants de l’enseignement supérieur et membres des ressources humaines de grandes entreprises. Cet événement organisé par le site d'emploi "StepStone" et l'agence "Epoka" offre aux étudiants vainqueurs un contrat de travail dans des filières parfois très éloignées du jeu vidéo.
Une chose est sûre : avec un marché ayant connu une croissance des recettes de plus de 400% en moins de 5 ans, l’e-sport se dirige vers une professionnalisation rappelant les plus grosses organisations sportives. En Corée du Sud, il est déjà considéré comme un sport national et est diffusé à la télévision. Certaines compétitions commencent même à être diffusées sur des chaînes de télévision francophones. Tout porte à croire que les « cyber-athlètes » d’aujourd’hui seront des célébrités sportives les plus prisées demain.