Son constat est implacable. Pour le général de gendarmerie Bertrand Soubelet, sans affectation depuis ses déclarations alarmantes devant les députés en décembre 2013, la menace terroriste ne fait que s’aggraver, et l’islamogangstérisme ronge sans merci les quartiers dans l’Hexagone, marginalisant même la criminalité organisée traditionnelle.
Le commandant de police assassiné est tombé dans une embuscade. Son meurtrier l’avait identifié, suivi, traqué?
Bertrand Soubelet: C’est très probable. Il faut regarder la réalité de la menace terroriste en face: 95% des actes sont commis en France par des délinquants radicalisés qui connaissent les policiers et les gendarmes qui les ont interpellés pour leurs actes de petite criminalité. C’est un terrorisme de proximité particulièrement redoutable, mais il n’est pas surprenant car il correspond aux mots d’ordre de Daech. Les policiers ont toujours été confrontés à des criminels qui, une fois sortis de prison, veulent prendre leur revanche et régler leurs comptes. C’est pour cela aussi que les condamnations sont beaucoup plus lourdes lorsqu’on s’en prend aux forces de l’ordre. Sauf que dans ce cas de figure des délinquants musulmans radicalisés, tout est renversé. Leur volonté de s’en prendre aux symboles de cet Etat qu’il exècre, parce qu’ils s’estiment marginalisés, est un changement complet de paradigme. Il n’y a plus ni culpabilité, ni peur de se retrouver en prison à vie puisqu’ils cherchent à être tués sur place.
La notion de «loup solitaire» a tout de suite été évoquée. Correspond-elle à la réalité dans le cas du double meurtre de Magnanville, et auparavant, lors d’autres attaques terroristes commises en France en 2015-2016?
Nous n’avons pas affaire à des «loups solitaires» déconnectés de toute structure sociale, sans lien avec un réseau d’amis ou de soutiens. Au contraire! Le tueur de Magnanville a agi seul, mais il n’a jamais cessé d’être connecté et relié à d’autres individus, raison pour laquelle la police l’avait mis sur écoute, dans le cadre d’une enquête sur une filière djihadiste vers la Syrie et l’Irak. Ces délinquants radicalisés fonctionnent en bandes, au sein d’une communauté. Et lorsqu’ils entrent en action, ils le font soit en groupes, comme lors des attentats du 13 novembre 2015 à Paris, ou soit seuls. On voit bien aussi qu’ils ont appris à dissimuler leurs véritables intentions, qu’ils ont été formés. Le problème est que ceux qui passent à l’acte ne survivent pas. On ne sait donc pas ce qui les pousse, au dernier moment, à commettre un attentat. Un ordre venu de l’Etat islamique? Un moment de folie individuel? On n’a, sur cette phase ultime, que des vérités trop partielles. Espérons que les interrogatoires de Salah Abdeslam, seul survivant des commandos du 13 novembre aujourd’hui incarcéré en France, nous permettront d’en savoir plus.
On retrouve aussi, comme lors d’affaires précédentes, l’utilisation d’une caméra et des médias sociaux pour revendiquer l’assassinat et poster des vidéos...
Les médias sociaux posent aujourd’hui un problème majeur de sécurité, il faut le reconnaître. On voit bien le rôle central qu’Internet joue dans la radicalisation religieuse, puis la constitution de réseaux. Il ne faut jamais oublier que ces jeunes-là, parce qu’ils sont eux-mêmes déstructurés, veulent détruire la société dans laquelle ils ont grandi. Or les médias sociaux sont le cœur de cette société honnie.
Vous avez dénoncé rudement les failles du dispositif sécuritaire et vous êtes aujourd’hui sans affectation. Vos questions restent sans réponse?
Non, je ne dirai pas cela. Des mesures ont été prises depuis les attentats du 13 novembre 2015, à commencer par la mise en œuvre de l’état d’urgence. Mais la réalité des quartiers est toujours aussi alarmante, et la menace terroriste prolifère. On a laissé des pans entiers de la société française vaciller, et un «islamogangstérisme» s’installer, appuyé sur une économie souterraine. Que manque-t-il pour faire face? Un Etat ferme, qui tienne un discours clair. La grande majorité des musulmans de France veulent la paix et la sécurité. Mais ils sont débordés par les fanatiques.
Bertrant Soubelet a écrit «Tout ce qu’il ne faut pas dire», Ed. Plon
Article publié en accord avec le site de nos partenaires Le Temps.