JMJ : comment l'Eglise peut séduire un Brésil très évangélique ?

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JMJ : comment l'Eglise peut séduire un Brésil très évangélique ?
Une statue de sable à l'effigie du pape François, sur la plage de Copacabana, à rio de Janeiro, le 17 juillet 2013 / photo AFP Vanderlei Almeida
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Le grand rassemblement catholique des Journées mondiales de la jeunesse débute mardi 23 juillet à Rio au Brésil. Tout un symbole pour un continent où la religion catholique enregistre un déclin important depuis trente ans au profit des évangéliques davantage en adéquation avec les aspirations du peuple. La tenue de cet événement marqué par la visite du pape François pourrait bien servir à séduire les croyants peu enclins au catholicisme. Analyse d'un désamour pour la religion catholique.
L’Eglise catholique en perte de vitesse dans son propre fief ? L’Amérique latine abrite aujourd’hui  la moitié des catholiques du monde. A l’occasion des  Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) du 23 au 28 juillet 2013 à Rio (Brésil), le pape François veut revitaliser la présence catholique sur le continent sud américain où la concurrence avec les évangéliques est aujourd’hui l’une des plus féroces. La présence catholique recule. En Argentine, les « nouveaux protestants » seraient 15%. Le culte évangélique progresse également au Brésil, premier pays catholique au monde. Selon l’Institut brésilien de géographie et statistiques (IGBE), une agence gouvernementale chargé du recensement démographique,  le nombre des évangéliques est passé de 26 millions en 2000 à 42 millions en 2010.  Les catholiques ne représentent plus que 64% de la population brésilienne en 2010 contre 91% en 1980. En Amérique centrale, près de la moitié des 13 millions d’habitants du Guatemala fréquenteraient désormais des églises pentecôtistes.
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Des fidèles du Centre évangélique unifié à Rio au Brésil en 2007 / Photo AFP
Théologie de la libération Le Vatican serait lui-même, en partie, responsable de cette désaffection d’une partie de ces fidèles, selon François Mabille, professeur à l’université catholique de Lille et spécialiste de la curie romaine : « Les rapports entre le Vatican et les fidèles en Amérique latine ont été marqués ces quarante dernières années par le conflit et l’incompréhension. Rome n’a pas su accompagner le mouvement de la théologie de la libération. Rome s’est ainsi progressivement coupé d’une partie de sa base, d’une partie de la communauté des croyants  », décrit le chercheur. La théologie de la libération, née en Amérique latine, a été développée par le théologien péruvien Gustavo Gutierrez Merino en 1968. Elle vise à rendre dignité et espoir aux pauvres et aux exclus. Le peuple se rassemble pour lire la Bible et y trouve son inspiration pour prendre en main son destin. Le mouvement s’organise ainsi autour des «  communautés de base » qui regroupent paysans, ouvriers, illettrés dans des cercles liturgiques indépendants. Ces communautés interprètent librement l’évangile sans consultation de la hiérarchie catholique. Les prêtres issus de la théologie de la libération accompagnent alors ce mouvement et vivent au plus près des besoins matériels de ces populations pauvres. Les communautés se développent sur l’ensemble du continent. « Nous sommes dans les années 70 », explique François Mabille. « Les pays d’Amérique latine et centrale sont alors dirigés par des gouvernements dictatoriaux. L’idée que des pauvres décident d’un point de vue ecclésiale de prendre en main leur destin constituait également une remise en cause politique et sociale de l’ordre établi. Le nouveau pape polonais Jean Paul II et son conseiller le cardinal Ratzinger, le futur Benoit XVI, ont condamné ce mouvement. Ils percevaient la théologie de la libération comme une porte d’entrée du communisme. Il s’agissait d’une vision très européenne, totalement détachée de la question sociale, importante en Amérique latine. »  Gustavo Gutierrez, apôtre de la théologie de la libération est marginalisé. Les communautés de base, relais potentiels de l’action sociale de l’Eglise sont  alors systématiquement démantelées. Le ménage est fait dans la hiérarchie catholique sud américaine au profit de figures très conservatrices comme l’archevêque Alfonso Lopez Trujillo de Medellin (Colombie).
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Tournant Un virage est ainsi manqué. Les « communautés de base » représentaient une première expérience de fonctionnement beaucoup moins hiérarchisé de l’Eglise catholique. « Avec l’arrivée de la démocratie à partir du milieu des années 80 sur le continent, toute forme hiérarchique est rapidement associée à l’ancien ordre pour de nombreux fidèles », selon Sébastien Fath, historien spécialiste du protestantisme évangélique. « Le fonctionnement ancien où Rome décide et transmet ses ordres aux Evêques  et aux prêtres ne prend plus.  Le discours sur la contraception,  l’avortement, le célibat des prêtres ou la place de la femme dans l’Eglise n’a plus de prise ». L’archevêque de Recife, dans le nord est du Brésil, José Cardoso Sobrinho, excommunie en 2009 une femme coupable d’avoir fait avorter sa fille de neuf ans violée par son beau père. Cette décision choque le pays.  « Les évangéliques refusent l’avortement mais acceptent la contraception.  Les cultes évangéliques sont basés sur un fonctionnement moins vertical et bien plus participatif où la femme du pasteur joue un rôle important» , souligne Sébastien Fath.  Cette liturgie s’accompagne d’un nouveau discours, la théologie de la prospérité. Cette doctrine évangélique prétend que Dieu peut accroitre les richesses matérielles de chacun au regard de sa foi en Dieu. « La doctrine de la prospérité aborde la question sociale comme le mouvement de la théologie de la libération mais elle refuse de mythifier la pauvreté. Dieu ne veut pas que vous soyez pauvres », décrit Sébastien Fath. « Cette doctrine trouve un écho largement positif au moment où une partie de la population commence à sortir de la pauvreté dans le Brésil des années Lula et rejoint le bataillon des classes moyennes. Dans ces années où le libéralisme triomphe, l’heure n’est plus aux projets collectifs. La théologie de la libération constituait une aventure collective. La doctrine de la prospérité est centrée sur l’individu. Que peut faire Dieu pour moi ? », explique François Mabille, spécialiste du Vatican.
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Le pape François à Rome / Photo AFP
Vague évangélique L’Eglise catholique peut elle encore contrer la progression des évangéliques ?  Les 18 voyages de Jean Paul II et de Benoit XVI n’ont pas réussi à endiguer la vague évangélique. Jesus Garcia-Ruiz, directeur de recherche à L’EHESS et anthropologue du fait religieux en Amérique latine  ne croit pas à un inversement de tendances : « Ces nouveaux protestants possèdent une souplesse institutionnelle impossible pour l’église catholique. Chacun peut se proclamer Pasteur. Un séminariste par contre doit suivre de longues études théologiques avant de devenir prêtre. On compte dix sept pasteurs pour un curé au Brésil. La disproportion est trop grande ». L’historien Sébastien Fath se montre plus prudent : « Le mouvement évangélique est frappé par des  dérives sectaires et certains croyants brésiliens  se sont détournées progressivement de certaines églises suite à des scandales financiers. Rien ne dit que la progression des églises évangéliques reste aussi linéaire lors de la prochaine décennie Le cas le plus connu est celui du célèbre footballeur brésilien Kaka, désormais plus discret sur sa foi », souligne le chercheur . L’ancien ballon d’or, a quitté L’église Renaitre en Christ ( Renaccer em Cristo), au lendemain de l’arrestation des deux  pasteurs fondateurs pour détournement d’argent.  L’arrivée du pape François, un prélat argentin peut changer la donne souligne Sébastien Fath « Jean Paul II et Benoit XVI n’ont jamais vraiment compris les aspirations sociales et spirituelles du continent. Benoit XVI a multiplié les gaffes en louant notamment le travail d’évangélisation des Jésuites sur les populations indiennes au XVIème siècle, période traumatisante pour de nombreuses populations. Le nouveau pape a multiplié les gestes d’apaisement en démontrant que l’Eglise aujourd’hui prenait en compte la souffrance des gens. Il développe depuis le début de son pontificat un discours social et liturgique différent de son prédécesseur. Benoit XVI liait raison et foi. François s’inscrit dans un registre plus émotionnel, plus propre à l’Amérique latine. Il s’est rendu à Lampedusa pour rencontrer les migrants.  Il a lavé les pieds des pauvres. Le déclin de l’Eglise catholique n’est pas irréversible ».
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Voyage du pape jean Paul II en Amérique centrale en 1983. Il arrive à l'aéroport de Managua au Nicaragua et humilie publiquement le père Ernesto Cardenal, chantre de la théologie de la libération. Le pape se fera ensuite sifflé pendant la messe.