JO 2024 : une candidature parisienne à risques

Si elle suscite encore une union sacrée de façade dans la classe politique, la candidature de Paris à l’organisation des jeux olympiques de 2024 laisse dubitatifs beaucoup de Français. Son intérêt économique, en particulier, peine à convaincre.
Image
Candidature Paris
Le champion olympique Tony Estanguet, la maire de Paris Anne Hidalgo, le champion paralympique Ryadh Sallem et le Président de la Fédération internationale de rugby Bernard Lapasset, le 23 juin 2015, pour le lancement de la candidature parisienne aux JO 2024.
(AP Photo/Thibault Camus)
Partager8 minutes de lecture

 C’est l’une de ces communions d’un instant qui font rêver la classe politique française. Un goût de 11 janvier, la tragédie en moins. Le 23 juin dernier à midi précise, Paris officialisait sa candidature à l’organisation des Jeux olympiques de 2024. « Portons ensemble le rêve olympique et paralympique », tweete joyeusement le tennisman Jo Wilfried Tsonga. « Mon gouvernement veut faire de Paris et de la France une capitale et un pays qui rayonnent partout dans le monde » commente le Premier ministre Manuel Valls, préemptant déjà la gloire escomptée. Très demandeurs de ce type d’événement – neuf années en perspective d’un feuilleton riche en superlatifs -, les grands médias audiovisuels relayent en boucle l’heureuse nouvelle.

Deux mois plus tôt, le Conseil de Paris avait approuvé la candidature à une large majorité incluant, outre les socialistes qui dirigent la capitale, la droite et les communistes. Après avoir souvent parlé contre, sa maire (socialiste), Anne Hidalgo, s’est révélée pour. Seuls les écologistes s’y étaient opposés, ainsi que l’unique élue du Parti de gauche, Danièle Simonnet, soutenue par l’ancien candidat à la présidentielle Jean-Luc Mélenchon (« je suis contre, bien sûr »). Front marginal d’incurables bougons, ironisait-on. Voire... En réalité, si une majorité de Français semble aujourd’hui approuver la perspective des jeux, une forte minorité y demeure réticente, comme l’ont montré plusieurs sondages passés, alors même que le débat public n’a pas encore eu vraiment lieu. Et plus d’un Français sur deux doute de son effet économique positif. L’histoire ne lui donne pas tort.

Sobriété

Comme il convient, les promoteurs de la candidature de Paris présentent un budget modeste : 6,2 milliards d’euros... huit fois moins que Sotchi. Il est supposé alimenté pour un tiers environ par le CIO, selon l’usage, et pour une moitié par des fonds publics, le reste, un cinquième environ, devant venir de fonds privés. Une moitié couvrira l’organisation des jeux proprement dite, l’autre des équipements et travaux d’infrastructures. Mot d’ordre de la maire de Paris, aux allures d'oxymore : des jeux emprunts de « sobriété financière et écologique ». Hélas ! Outre que les membres du CIO (Comité international olympique) n’ont pas particulièrement montré, jusqu’à présent, qu’une telle valeur fût leur principal souci, les prévisions initiales en la matière se sont toujours vues sérieusement dépassées sinon … multipliées.

Réalités

Londres jo clôture
Clôture des Jeux de Londres en août 2012
(AP/Ben Curtis)

Lors de leur attribution, les JO de Londres (2012) avaient été prévus pour un budget de moins de cinq milliards d’euros. Ils en ont coûté plus de 11 milliards. La version officielle selon laquelle l’opération aura, malgré tout, été économiquement bénéfique au pays laisse beaucoup de Britanniques sceptiques car une grande part des dépenses publiques (en matière de sécurité, notamment) n’a pas été prise en compte. « Aurions-nous présenté notre candidature si nous avions su ce que nous savons? Sans doute pas », avouait la ministre chargée des jeux olympiques Tessa Jowell (1).  

Les jeux de Pékin avaient été initialement provisionnés pour 2,6 milliards d’euros. La facture finale atteint … 32 milliards. Quant à Athènes, on est passé d’une prévision de 5,3 milliards à une réalisation de 11, 1 milliards. En fait de bénéfices, les olympiades ont surtout contribué à l’endettement fabuleux du pays et à sa crise actuelle. Si les dépassements correspondent parfois à des investissements rentables ou fonctionnels à long terme (tel un troisième aéroport à Pékin), La capitale grecque, elle, s’est couverte d’éléphants blancs aussi fastueux qu’impossible à réutiliser ou revendre, et d’infrastructures disproportionnées tant à ses besoins qu’à ses moyens.

Promesses

Paris n’est pas Athènes et se trouve à l’inverse, il est vrai, déjà bien pourvue en infrastructures et équipements. Le coût final en sera certes amoindri mais aussi, du coup, l’impact tant vanté en terme de stimulation de l’activité. « Ça fera plein d'équipements avant, plein d'emplois, plein d'industries qui pourront se montrer », avait affirmé en décembre dernier un François Hollande en plein transport (et vraisemblablement pas étranger à la conversion d’Anne Hidalgo). 10 à 30 000 emplois publics seront générés, a t-il même été avancé dans l’euphorie de juin. Large fourchette et estimation peu étayée. Surtout, il ne s’agit pas d’emplois pérennes et nul ne précise ce que deviendront les jeunes agents d’accueil au lendemain de la cérémonie de clôture.

Serres d'Auteui
Les serres d'Auteuil
(photo D.R.)

Non moins promise, la notion de « Sobriété écologique » laisse aussi perplexe. La concentration de millions de personnes durant un mois d’été a peu de chance d’améliorer l’air de la capitale. Quant à son embellissement … Quelques jours seulement après les promesses du 23 juin, Manuel Valls (applaudi par Anne Hidalgo) confirmait l’extension du stade Roland Garros au détriment des serres d’Auteuil, patrimoine architectural et historique majeur. « Mépris total pour l’écologie et la démocratie locale » s’indignent les écologistes du Conseil de Paris … alliés des socialistes.

Plus sûrement, la dimension exceptionnelle de l’événement engendrera inévitablement les effets inhérents au genre. Chantiers multiples et leurs nuisances, éventuellement jour et nuit et dimanche inclus si des retards surviennent, comme c’est toujours le cas, assorti d’entorses à la législation ordinaire du travail ou l’exigence très en vogue de son « assouplissement ». Accentuation de déséquilibres territoriaux : « Est-il opportun de renforcer économiquement la capitale, relativement à la province, par les investissements liés aux JO, dans le contexte d’une économie nationale déjà très centrée sur Paris ? » , s’interroge une analyse du cabinet d’expertise économique Micrometrix.

Spéculations

Aux Parisiens perplexes, les promoteurs des JO à Paris font miroiter la reconversion du village olympique (1,7 milliard d’euros d’investissement public) en logements. Ceux-ci, pourtant, auraient pu être construits sans passer par la case olympique, et sans coûts de reconversion. En attendant leur mise sur le marché brutale (après 2024, par définition) on assistera bien à une tension et une hausse probable des loyers dans la capitale – déjà à un niveau stratosphérique - stimulée par la demande « JO », courte dans le temps mais hautement spéculative. Alors que les autorités – mairie notamment – peinent à contenir le phénomène AirBnB – détournement de milliers de logements par leurs propriétaires pour un usage touristique fructueux et ponctuel, désertification de quartiers entiers de Paris -, les jeux ne contribueront guère à rendre la capitale à ses habitants.

Reste, bien sûr, la manne commerciale directe, drainée mécaniquement par les olympiades : des centaines de milliers de visiteurs venus pour l'événement sportif, autant de clients pour le commerce, l’hôtellerie et la restauration. Mais Paris, ville la plus visitée du monde, en a t-elle besoin ? « Le secteur du tourisme pourrait directement bénéficier de l’organisation des JO en profitant de l’effet de vitrine offert à la ville ainsi que de l’afflux d’amateurs de sports, estime Micrometrix. En pratique, les quelques estimations fiables démontrent que cet effet est limité, notamment du fait de l’éviction du tourisme « traditionnel » par le tourisme sportif. Les touristes attirés par les JO se substituent aux autres personnes décidant de ne pas se rendre dans la ville pour cause de JO. Ceci est d’autant plus le cas dans les villes touristiques comme Paris ou Londres ».

Des risques inégaux

Candidature Paris
Campagne pour la candidature de Paris

Le plus souvent et mieux qu’aucune autre opération, les jeux olympiques ont surtout dans le passé montré leur capacité à mettre en œuvre la formule favorite de l’économie libérale : investissements publics, profits privés. Principal syndicat patronal français, le MEDEF s’est engagé dans le soutien à la candidature de Paris disant y voir « une formidable opportunité pour le monde économique ». L’ardoise éventuelle est pourtant bien réglée, in fine, par le contribuable. Bien avant la désormais célèbre catastrophe grecque, les Québécois ont mis trente ans à solder, par des taxes spécifiques, leur facture des jeux de Montréal (1976).

Or, sans être pauvre, Paris est une ville endettée à hauteur de près de 4 milliards d’euros (trois fois plus qu’en 2001, lorsque la gauche a conquis l’hôtel de ville). La pression fiscale s’y est sensiblement accrue au cours des dernières années. Après avoir promis, lors de sa campagne électorale qu’elle ne l’alourdirait pas, Anne Hidalgo a inauguré son mandat par, entre autres, un triplement de la redevance de stationnement résidentiel, taxe de fait, faisant au passage de la capitale française l’une des villes les plus chères du monde en la matière. Présentée (aussi) comme écologique, la mesure a surtout permis de boucler un budget 2016 problématique.

Avec la perspective des JO, et même si elle n’est pas seule contributrice, Paris s’engage pour les neuf années à venir et au delà, sur un chemin ardu et hautement risqué. « Les candidatures aux JO mettent en avant les multiples retombées économiques pour justifier leur coût financier, relève Micrometrix. Il est malheureusement rarement vérifié si ces promesses mirobolantes se concrétisent. En effet les organisateurs n’ont pas vraiment intérêt à réaliser des études dont les résultats pourraient souligner leur manque de réalisme économique lors de la candidature ». « Vous savez, les Jeux c’est très joli, mais il n’y a pas une ville qui s’y soit retrouvée sur le plan financier », avait averti … Anne Hidalgo. Mais c’était avant (2).

Encore faut-il, bien évidemment, que Paris soit choisie (en 2017) contre ses sérieuses rivales que sont Rome, Boston, Hambourg. Si elle ne l’est pas, la seule campagne de candidature aura coûté une soixantaine de millions. Le prix d’un rêve qui deviendrait alors pour ses promoteurs, après le dernier échec face à Londres, un cauchemar politique.

                                                                         ♦

(1) (Sports Business Daily, 2008, citation d’un article du London Telegraph reprise par l’économiste Andrew Zimbalist dans une publication du FMI)

(2) BFM 10 février 2015