Dans l’histoire des Jeux olympiques et paralympiques, ou des grands événements sportifs internationaux, il y a déjà eu des situations qui n’étaient pas simples à gérer. De manière générale, aucun événement sportif n’est facile à organiser.
De vraies promesses ont été faites de la part du Japon qui considérait que ces Jeux seraient la victoire de l’humanité sur la pandémie.
Carole Gomez, directrice de recherche à l’Iris en géopolitique du sport
Prenons l’exemple des boycotts en 1976, 1980 et 1984. Un tiers voire deux tiers des délégations n’ont pas fait le déplacement ou ont menacé de ne pas le faire. Dans ce genre de cas, il y a un très fort impact sur la tenue des compétitions, sur l’organisation et sur les résultats. Ajoutez à cela la pression diplomatique. Tout le monde se focalise sur ce genre de désagréments. Ils font entrer le politique directement dans l’arène sportive.
TV5MONDE : Contrairement aux dérapages et aux démissions, les clusters et la multiplication des cas eux étaient prévisibles. Au vu de l’évolution du virus au Japon, c'est à se demander si la tenue de ces Jeux olympiques était vraiment raisonnable. Quels sont les enjeux géopolitiques et diplomatiques derrière cette événement sportif global ?
Carole Gomez : Il y a plusieurs enjeux. Dans un premier temps, la réussite de ces Jeux serait directement bénéfique pour le Japon. Tokyo, et le Japon de manière générale, ont misé énormément de temps, d’argent et de moyens pour faire de ces Jeux une réussite et, si on se reporte à leur origine, faire que ces Jeux symbolisent "l’après Fukushima".
L’arrivée de la pandémie a ensuite transformé ces jeux de "l’après Fukushima" en "l’après Covid-19". De vraies promesses ont été faites de la part du Japon qui considérait que ces Jeux seraient la victoire de l’humanité sur la pandémie. C’est un enjeu majeur.
Ensuite, il y a des enjeux directement liés à des relations bilatérales extrêmement fortes. Elles sont propres à toutes les compétitions sportives internationales mais particulièrement aux Jeux olympiques et paralympiques où il y aura forcément des rencontres hautement politiques entre des pays qui sont en froid, en guerre, en conflit ou en opposition idéologique.
A ce titre, il est toujours intéressant de voir les différentes oppositions entre la Russie et les Etats-Unis, même si cela a un parfum un peu daté. Aujourd’hui il est très intéressant de voir des oppositions entre les Etats-Unis et la Chine sur un certain nombre de sujets. Ces oppositions peuvent être mises en scènes lors des JO lorsque, par exemple, la victoire d’un des deux pays est soulignée et mise ne valeur face à l’autre pays défait.
Si l’on s’intéresse à la zone asiatique, il y a aussi une relation bilatérale importante entre la Chine et le Japon qui est tout à fait particulière et parfois tendue. Il sera donc intéressant de voir comment ces deux États vont se rencontrer et quelles seront les conséquences de leur rencontre. Il existe une concurrence d’autant plus importante dans l’organisation de ces Jeux olympiques, que les prochains qui ne seront pas d’été mais d’hiver, auront lieu à Pékin en 2022. Nous savons à quel point la Chine accorde une importance extrêmement forte au sport d’une part, mais également au fait que les JO soient parfaitement organisés, parfaitement réussis et que ce soit les plus grands Jeux d’hiver jamais organisés. Il y aura donc forcément une comparaison induite avec l’organisation japonaise.
Pour les différents responsables politiques japonais, il en va aussi de leur prochain mandat et des prochaines élections
Carole Gomez, directrice de recherche à l’Iris en géopolitique du sport
Par ailleurs, nous savons également que, et le dernier Euro de football l’a démontré, l’actualité est souvent malicieuse et elle glisse souvent des occasions de parler politique dans des événements où elle n’était pas forcément attendue.
TV5MONDE : La tenue de ces Jeux olympiques est très impopulaire auprès d’une grande part de la population japonaise, qui redoute l’aggravation de la crise sanitaire dans le pays. On se doute donc qu’au niveau national, aussi, les enjeux autour de cette compétition sont majeurs pour le gouvernement japonais.
Carole Gomez : C’était d’abord un vrai enjeu pour le comité d’organisation dont le travail est de faire en sorte que les choses se passent bien mais il y a en effet un enjeu politique pour les différents responsables politiques japonais. Ces derniers considèrent, en effet, qu’il en va aussi de leur prochain mandat et des prochaines élections. Si ces Jeux ne se déroulent pas comme prévu, s’il y a des difficultés à organiser cette compétition, cela se "paiera" dans les urnes où la sanction se traduira par des votes pour le parti de l’opposition qui, lui, n’aura pas été aux commandes du pays.
Concernant l’impopularité, il y a effectivement beaucoup de remarques sur la nécessité de donner des fonds à des structures et instances qui en auraient besoin, comme les hôpitaux par exemple plutôt qu’aux Jeux. C’est quelque chose que l’on retrouve de façon régulière dans un certain nombre de grands événements sportifs internationaux. Cela a par exemple eu lieu lors de la Coupe des Fédérations brésiliennes en 2013, où des manifestations avaient eu lieu juste avant la compétition et pendant presque une année. Elles avaient ensuite donné un contexte social extrêmement compliqué et tendu pendant la Coupe du Monde masculine de football en 2014.
Cet aspect-là n’est pas spécifique à Tokyo mais il va en effet être regardé par les Tokyoïtes, par les Japonais mais aussi par les spectateurs étrangers.