JO de Tokyo : "Il y a une épée de Damoclès au-dessus de la tête des organisateurs"

Entretien. Après une première annulation, des mois d’incertitudes en raison de la pandémie de coronavirus et de nombreuses manifestations pour annuler l’événement, les Jeux olympiques de Tokyo sont de nouveaux dans la tourmente à J-1 avant la cérémonie d’ouverture. Le directeur artistique du spectacle d’ouverture vient d’être écarté, en raison d'une mauvaise blague sur l'Holocauste. Rien ne semble décidemment épargner les organisateurs de la compétition. Nous avons parlé des enjeux de ces Jeux Olympiques, avec Carole Gomez, directrice de recherche à l’Iris en géopolitique du sport. 
 
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JO de Tokyo : des Jeux perdus d'avance ?
Un volontaire devant les anneaux olympiques avant les Jeux olympiques de Tokyo, le jeudi 22 juillet 2021, à Tokyo au Japon
©AP Photo/Petros Giannakouris
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C’est un départ de plus qui vient ébranler les organisateurs des Jeux Olympiques de Tokyo. Après la démission du compositeur Keigo Oyamada, le responsable artistique des cérémonies Hiroshi Sasakiou encore celle du président de Tokyo-2020, Yoshiro Mori, c’est au tour de Kentaro Kobayashi, le directeur artistique du spectacle d’ouverture, d’être écarté. 
 
Déjà très impopulaires auprès d'une grande partie de la population japonaise, ces scandales éclipsent presque le sujet majeur de ces avants-JO : le coronavirus. Ce dernier est pourtant bien actif sur le terrain. Un cinquième cas de Covid-19 a par exemple été détecté dans le village olympique au sein de la délégation tchèque. 
 L'empereur japonais Naruhito a lui-même déclaré que l’organisation des Jeux Olympiques n'est "pas une tâche facile". Sont-ils perdus d’avance. Ces aléas en cascade sont-ils de mauvais augure pour la suite des Jeux Olympiques ? Quels en sont les enjeux ? Eléments de réponse avec Carole Gomez, directrice de recherche à l’Iris (Institut de Relations Internationales et Stratégiques) en géopolitique du sport. 

TV5MONDE : A un jour de la cérémonie d’ouverture des JO de Tokyo, les mauvaises nouvelles s’accumulent. Un nouveau départ dans l’organisation, des nouveaux cas de coronavirus parmi les sportifs. Cette situation est-elle, selon vous, de mauvais augure pour la suite des Jeux ? 
 
Carole Gomez, directrice de recherche à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) : Il est très compliqué d’arriver à d’ores et déjà déterminer si ces Jeux 
Photo Carole Gomez
Carole Gomez est directrice de recherche à l’IRIS, spécialisée sur l’impact du sport dans les relations internationales depuis 2013.
sont une réussite ou un échec, à la fois pour Tokyo et le Japon mais aussi pour l’Olympisme de manière générale. Il faut en attendre la fin pour en tirer les premières conclusions. 
 
Ce qui est certain en revanche, c’est qu’un certain nombre de nuages s’amoncèlent au-dessus de la tête des organisateurs. De façon logistique, les Jeux olympiques sont déjà très difficiles à gérer sans la pandémie. Le coronavirus a complexifié tout le processus. Aujourd’hui, c’est une vraie difficulté pour les organisateurs. 
 
Cependant, et l’on s’en rend compte lorsque l’on observe les grands événements sportifs internationaux, il peut y avoir toute une série de mauvaises nouvelles, de décisions qui viennent compromettre le bon déroulé de la compétition et à partir du moment où les Jeux se déroulent, s’il n’y a pas d’anicroche, si les résultats sont au rendez-vous, très rapidement on se détourne des enjeux organisationnels, logistiques, politiques ou géopolitiques, pour venir se recentrer davantage sur les résultats sportifs en tant que tels. 
 
Il va être essentiel d’analyser tout ce qui va se passer pendant et en dehors des cérémonies et des compétitions, pour pouvoir en tirer les conclusions.  
 
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TV5MONDE : Une situation si rocambolesque dans l’histoire des Jeux Olympiques et Paralympiques, c’est une première ?
 
Carole Gomez : Jamais nous n’avons connu une situation aussi dégradée. C’est inédit à bien des égards, à la fois parce que les Jeux olympiques et paralympiques ont d’abord été décalés d’un an mais aussi parce qu’il y a, malgré toutes les dispositions qui ont été prises, cette épée de Damoclès au-dessus de la tête des organisateurs. En début de semaine, l’un des membres de l’organisation a réitéré qu’il suivrait avec une grande attention l’évolution de la crise sanitaire, affirmant que les Jeux seraient interrompus si nécessaire. Tout le scénario des possibles est ouvert, il faut donc voir comment les choses vont évoluer. 
 

Dans l’histoire des Jeux olympiques et paralympiques, ou des grands événements sportifs internationaux, il y a déjà eu des situations qui n’étaient pas simples à gérer. De manière générale, aucun événement sportif n’est facile à organiser. 
 

De vraies promesses ont été faites de la part du Japon qui considérait que ces Jeux seraient la victoire de l’humanité sur la pandémie.

Carole Gomez, directrice de recherche à l’Iris en géopolitique du sport 

Prenons l’exemple des boycotts en 1976, 1980 et 1984. Un tiers voire deux tiers des délégations n’ont pas fait le déplacement ou ont menacé de ne pas le faire. Dans ce genre de cas, il y a un très fort impact sur la tenue des compétitions, sur l’organisation et sur les résultats. Ajoutez à cela la pression diplomatique. Tout le monde se focalise sur ce genre de désagréments. Ils font entrer le politique directement dans l’arène sportive. 
 
TV5MONDE : Contrairement aux dérapages et aux démissions, les clusters et la multiplication des cas eux étaient prévisibles. Au vu de l’évolution du virus au Japon, c'est à se demander si la tenue de ces Jeux olympiques était vraiment raisonnable. Quels sont les enjeux géopolitiques et diplomatiques derrière cette événement sportif global ?
 
Carole Gomez : Il y a plusieurs enjeux. Dans un premier temps, la réussite de ces Jeux serait directement bénéfique pour le Japon. Tokyo, et le Japon de manière générale, ont misé énormément de temps, d’argent et de moyens pour faire de ces Jeux une réussite et, si on se reporte à leur origine, faire que ces Jeux symbolisent "l’après Fukushima"
 
L’arrivée de la pandémie a ensuite transformé ces jeux de "l’après Fukushima" en "l’après Covid-19". De vraies promesses ont été faites de la part du Japon qui considérait que ces Jeux seraient la victoire de l’humanité sur la pandémie. C’est un enjeu majeur. 
 
Ensuite, il y a des enjeux directement liés à des relations bilatérales extrêmement fortes. Elles sont propres à toutes les compétitions sportives internationales mais particulièrement aux Jeux olympiques et paralympiques où il y aura forcément des rencontres hautement politiques entre des pays qui sont en froid, en guerre, en conflit ou en opposition idéologique.

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A ce titre, il est toujours intéressant de voir les différentes oppositions entre la Russie et les Etats-Unis, même si cela a un parfum un peu daté. Aujourd’hui il est très intéressant de voir des oppositions entre les Etats-Unis et la Chine sur un certain nombre de sujets. Ces oppositions peuvent être mises en scènes lors des JO lorsque, par exemple, la victoire d’un des deux pays est soulignée et mise ne valeur face à l’autre pays défait. 
 
Si l’on s’intéresse à la zone asiatique, il y a aussi une relation bilatérale importante entre la Chine et le Japon qui est tout à fait particulière et parfois tendue. Il sera donc intéressant de voir comment ces deux États vont se rencontrer et quelles seront les conséquences de leur rencontre. Il existe une concurrence d’autant plus importante dans l’organisation de ces Jeux olympiques, que les prochains qui ne seront pas d’été mais d’hiver, auront lieu à Pékin en 2022. Nous savons à quel point la Chine accorde une importance extrêmement forte au sport d’une part, mais également au fait que les JO soient parfaitement organisés, parfaitement réussis et que ce soit les plus grands Jeux d’hiver jamais organisés. Il y aura donc forcément une comparaison induite avec l’organisation japonaise. 
 


Pour les différents responsables politiques japonais, il en va aussi de leur prochain mandat et des prochaines élections

Carole Gomez, directrice de recherche à l’Iris en géopolitique du sport 

Par ailleurs, nous savons également que, et le dernier Euro de football l’a démontré, l’actualité est souvent malicieuse et elle glisse souvent des occasions de parler politique dans des événements où elle n’était pas forcément attendue. 
 
TV5MONDE : La tenue de ces Jeux olympiques est très impopulaire auprès d’une grande part de la population japonaise, qui redoute l’aggravation de la crise sanitaire dans le pays. On se doute donc qu’au niveau national, aussi, les enjeux autour de cette compétition sont majeurs pour le gouvernement japonais. 
 
Carole Gomez : C’était d’abord un vrai enjeu pour le comité d’organisation dont le travail est de faire en sorte que les choses se passent bien mais il y a en effet un enjeu politique pour les différents responsables politiques japonais. Ces derniers considèrent, en effet, qu’il en va aussi de leur prochain mandat et des prochaines élections. Si ces Jeux ne se déroulent pas comme prévu, s’il y a des difficultés à organiser cette compétition, cela se "paiera" dans les urnes où la sanction se traduira par des votes pour le parti de l’opposition qui, lui, n’aura pas été aux commandes du pays.
 
Concernant l’impopularité, il y a effectivement beaucoup de remarques sur la nécessité de donner des fonds à des structures et instances qui en auraient besoin, comme les hôpitaux par exemple plutôt qu’aux Jeux. C’est quelque chose que l’on retrouve de façon régulière dans un certain nombre de grands événements sportifs internationaux. Cela a par exemple eu lieu lors de la Coupe des Fédérations brésiliennes en 2013, où des manifestations avaient eu lieu juste avant la compétition et pendant presque une année.  Elles avaient ensuite donné un contexte social extrêmement compliqué et tendu pendant la Coupe du Monde masculine de football en 2014. 
 
Cet aspect-là n’est pas spécifique à Tokyo mais il va en effet être regardé par les Tokyoïtes, par les Japonais mais aussi par les spectateurs étrangers.