Fil d'Ariane
« Est-ce qu’on aurait pu ne pas impacter autant nos jardins ? » se questionne Manuela, 47 ans, dans sa parcelle des Jardins des Vertus d’Aubervilliers, menacés de destruction par la construction d’une piscine olympique et de son solarium. « Ses jardins font partie de notre patrimoine. Moi, j'aimerais transmettre cela à mon fils […]. Mais j’ai l’impression que l’histoire se répète partout, on détruit de l’herbe pour du béton. ».
Ce n'est pas la première fois que la surface des Jardins va être empiétée. En 1979, elle était déjà passé de 6 à 2,25 hectares pour la construction d'un parking. Aujourd'hui ce sont 4000m² de ces terres maraîchères qui seront bientôt engloutis par un solarium, annexé à la piscine olympique spécialement créée pour 2024. Tout cela formant un super centre aquatique. "On lutte contre le centre aquatique mais on est pour la piscine. Les enfants doivent apprendre à nager. " précise Elise, jardinière aux Jardins des Vertus et membre du collectif "Sauvons les jardins ouvriers d'Aubervilliers" qui lutte contre la desutrction des parcelles. "Mais si il n'y avait pas de solarium et de spa, la piscine tenait sur le parking. [...]".
Sur les 19 parcelles détruites (sur 85 au total), la majorité des jardiniers seront relogés d'abord dans des jardins voisins, puis dans autre site, "un terrain de foot qui est en friche sur lequel on propose de reconstituer les jardins", explique Camille Vienne-Thery, directrice de projet à Grand Paris Aménagement, qui loue le terrain à l'association des jardins ouvriers.
"Les cerises derrière moi seront mûres dans un mois. Il y aura de quoi en donner dans tout le jardin. Et tout ça risque d'être coupé dans une semaine quand ils vont arriver avec les tronçonneuses. Il a fallu 30 ans pour faire pousser cet arbre. Comment compenser cela? Je ne vais pas déplacer la terre avec moi." déplore Elise, qui se retrouvera dans une parcelle bien plus petite que celle qu'elle a actuellement.
Karine Franclet, la maire d'Aubervilliers, se défend, elle, d'avoir hérité d'un "dossier compliqué" initié par sa prédécesseure et estime que les réclamations arrivent "trop tard", pour un marché public dont l'annulation entraînerait "4,7 millions d'euros" de pénalités.
À Aubervilliers, près d'un habitant sur deux vit sous le seuil de pauvreté. Implantés dans un quartier très urbanisé populaire, où les tours d'immeuble sont par dizaines, les jardins ouvriers apportent une dose de nature et de fraîcheur lorsque la température bat des records en été, mais permet aussi à certaines familles de se fournir en fruits et légumes à moindre coût.
Michel a 64 ans et sans activité. Il a toujours vécu à Aubervilliers. Il vient tous les jours entretenir sa parcelle où poussent toutes sortes de fruits et légumes. Il en a d'ailleurs cédé une partie à un des jardiniers qui verra sa parcelle détruite. "Il y a plus de 150 arbres fruitiers ici. Si on détruit cela, ce sera finit. Et puis ce ne sont pas les jardiniers qui vont aller dans cette future piscine. Ils préfèrent s'occuper de la terre". Michel connaît tout de la flore et la faune qui habitent les lieux : "Parfois il y a des perruches vertes qui viennent. On a des hérissons et même des renards le soir."
La construction d'un gare de la future ligne 15 du Grand Paris Express, le futur réseau de transport public de la région parisienne , et d'un éco-quartier de centaines de logements et de bureaux, pourraient amputer jusqu'à 10 000m² de parcelles au total. Pour Elise, tous ces projets mettent en péril l'avenir du lieu :" Si on s'arrête pas tout de suite, dans 10 ans, il n'y aura sans doute plus de jardin du tout."