Elle n'a finalement pas bouté hors de France les Anglais qui l'ont brûlée à Rouen et n'ont quitté le continent que vingt-deux ans plus tard. Son temps d'activité n'a pas excédé dix-huit mois, il y a près de six siècles. Jeanne d'Arc, dont on commémore aujourd'hui la naissance, est pourtant devenue l'incarnation de l'un des mythes fondateurs de la construction française, d'ailleurs surtout développé à partir du XIXème siècle. Aujourd'hui encore, gauche, droite et extrême-droite se disputent son héritage, Nicolas Sarkozy et Marine le Pen sa célébration. Héroïne à retentissement universel, pourtant, Jeanne transcende les genres et dépasse largement les frontières de sa patrie.
Jeanne d'Arc à la bataille de Patay (fresque de la Basilique de Domrémy)
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Un mythe français tardif, disputé et de portée variable
06.01.2012
“Une construction romantique“
Chistian Amalvi, historien français
"Jeanne d'Arc est une construction romantique qui remonte au XIXe siècle. Après sa mort sur le bûcher, Jeanne d'Arc, femme et issue du peuple, n'est fêtée nulle part, sauf à Orléans qui, tous les 8 mai, commémore la levée du siège anglais. Puis à l'époque romantique, on la redécouvre. Pour la gauche et les laïcs, elle devient une héroïne. Mais pour éviter qu'elle ne tombe dans l'escarcelle des libres-penseurs, l’Église va la récupérer. En 1894 Rome entame la procédure en vue de canoniser Jeanne d'Arc, ce qui sera fait en 1920. Jeanne d'Arc est tombée dans le camp conservateur et catholique. En 1914 puis brièvement après la Première Guerre mondiale, l'extrême-droite de l'époque la célèbre à Paris, rue de Rivoli. Aujourd'hui le Front national a repris cette cérémonie mais Jeanne d'Arc n'appartient pas à l'extrême-droite. Tout le monde se retrouve en Jeanne d'Arc. Elle est populaire et cela montre qu'elle est plurielle. Elle est toujours un enjeu dans notre société. Du général Charles de Gaulle à la socialiste Ségolène Royal en passant par les Résistants durant la 2e guerre mondiale, tout le monde se revendique de Jeanne d'Arc. Avec Napoléon et Jésus, elle fait partie des personnages parmi les plus représentés au cinéma, qui s'y est intéressé dès ses débuts. Le culte de Jeanne d'Arc a été inventé pour faire des petits paysans bretons, normands, basques, etc., qui ne parlaient pas la langue de Molière, de bons Français. Jeanne d'Arc devenait la fédératrice des Français, Jeanne d'Arc unissait. A l'heure où la France n'a plus son rang, où elle fait face à une crise identitaire, se référer à Jeanne d'Arc permet de rester dans la course." Christian Amalvi est un historien français, auteur de "Les héros des Français. Controverse autour de la mémoire nationale" (2011, Editions Historique Larousse).
“Une femme en lutte contre la tyrannie“
Alexis Novikoff, professeur d'histoire américain
"Plusieurs raisons expliquent que Jeanne d'Arc soit célébrée dans le monde et en particulier chez nous. Aux États-Unis, elle représente la femme forte en lutte contre la tyrannie et l'oppression, la foi, la vérité, la fidélité, la ténacité, la pureté. En France elle reste un symbole national ainsi qu'un symbole contre l'Angleterre. Elle est née du besoin de la France d'avoir une héroïne. Ici c'est l'individu qui interpelle, voire l'individu contre l'Etat. D'ailleurs les réalisateurs américains qui se sont intéressés à Jeanne d'Arc et les biographies à son sujet mettent en valeur sa personnalité : celle d'une femme aussi puissante que le roi et qui a su le convaincre de la laisser mener la charge contre les Anglais. D'autres ouvrages publiées ces dernières années font ressortir sa position de femme à une époque où peu d'entre elles jouaient un rôle. D'ailleurs Depuis les années 70, le personnage a conquis les féministes, même si l'intérêt des Américains pour Jeanne d'Arc remonte à Marc Twain, qui au XIXe siècle a écrit un conte sur elle. Tout cela fait qu'elle est universelle. Elle couvre un champ large et de ce fait elle parle à beaucoup : elle représente la foi et la fidélité à Dieu pour certains, mais elle est intéressante aussi pour tous ceux que l'art de la guerre ou l'histoire passionnent par exemple. Il n'y a pas d'équivalent dans l'histoire des États-Unis. Les guerres américaines ont leurs héroïnes, mais elles sont à la marge. Aujourd'hui il y a des femmes dans l'armée mais elles n'ont pas le droit de combattre." De double culture franco-américaine, Alexis Novikoff enseigne l'histoire médiévale au Rhodes College de Memphis (Etats-Unis)
“Jeanne d'Arc ne signifie pas grand chose en Angleterre, où l'histoire est peu étudiée““
Theodore Zeldin, historien britannique
"Les Britanniques ont une connaissance assez mince de l'histoire de France, et inversement. J'ai rencontré peu de gens ici pour qui Jeanne d'Arc signifie quelque chose mais l'histoire est très peu étudiée en Angleterre. Ce que je peux vous dire c'est que chaque pays possède dans son histoire des personnages qui alimentent son orgueil. Si les États-Unis s'intéressent à Jeanne d'Arc, c'est en partie parce qu'en tant que nation récente ils manquent d'une longue histoire". Theodore Zeldin est l'auteur de l'"histoire des passions françaises"