L'édito de Slimane Zeghidour

Jordanie, le baptême de l’eau

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Jordanie drapeaux

Les drapeaux jordanien et israélien flottent de part et d'autre du Jourdain, 20 juin 2006.

AP Photo/Oded Balilty

Jordanie. C’est le seul et unique pays à porter le nom d’un fleuve. Et quel fleuve ! Le Jourdain est l’un des quatre cours d’eau mythiques, avec l'Euphrate, le Tigre et le Nil, hauts lieux de la Bible, de l’histoire et de la géopolitique. C’est dans ses eaux, selon l’Évangile, que Jean-Baptiste immerge et que Jésus reçoit le baptême. Aux yeux de deux milliards et demi de chrétiens, il est la source de leur foi. S’y rendre c’est y revenir, y replonger dans le mystère et le destin du Christ.

Pour les juifs, le Jourdain marque l’entrée en Terre promise que Moïse n’a pu fouler. Les musulmans, eux, y célèbrent son principal affluent, le Yarmouk, nom qui évoque la victoire des Arabes sur les Byzantins qui leur a ouvert les portes de la Syrie-Palestine.

Jourdain carte

Pour les Palestiniens, les Israéliens, les Syriens et les Jordaniens, le fleuve sacré est d’abord une plaie ouverte dont chaque rive est une frontière de guerre ou de traité de paix, tel celui qui lie, depuis 1994, Israël et la Jordanie. S’il divise la terre, et ce depuis la création de l’État juif en 1948, il oppose tout autant les hommes qui vivent dans des pays alentour où le sol, aride, à soif d’eau, cet or bleu à partir duquel « toutes choses furent crées » dixit le Coran.

Ce fleuve nourricier qui coule depuis le mont Hermon, Djebel el-Cheikh, le « mont du Vieux » en arabe, ce véritable château d’eau posé au point de contact de la Syrie du Liban et d’Israël aurait dû et pu servir de trait d’union, d’abreuvoir ouvert aux trois pays. Las. Il n’est qu’une source de conflits, de sourdes rivalités, un front, au mieux une ligne de cessez-le-feu, entre Israël, Palestine et Jordanie du moins.

jourdain frontière

L’eau restant le nerf de la guerre est aussi la clé de la paix, pour peu que l’accès en reste disponible à chaque peuple qui s’y agglutine d’une rive à l’autre. Jourdain dérive de la racine « yrd » qui veut dire « couler de haut vers le bas », « descendre », d’où son nom arabe « ourdoun » et hébreu « yarden ». Fort de ses affluents libanais, syrien et israélien, le fleuve s’écoule depuis le plateau du Golan, à 1 000 m d’altitude, puis se précipite dans le lac de Tibériade, d’où il rebondit pour repartir, à travers un parcours sinueux de 334 km, jusqu’à la mer Morte, à 421 m au-dessous du niveau de la mer.

Le lac de Tibériade que l’on aperçoit à l’œil nu depuis le col d’Oum Qaïs en Jordanie n’est plus le bassin de passage de l’eau s’écoulant du Golan jusqu’à la mer Morte, il est devenu une citerne grandeur nature, la réserve stratégique d’Israël qui y retient l’essentiel pour son propre usage national. Un grand canal souterrain, l’Aqueduc national d’Israël, y prend source, oblique vers l’ouest jusqu’au littoral avant de bifurquer net pour se diriger vers le sud du pays, dans le désert du Néguev gourmand en liquide précieux.

Le tronçon final du Jourdain qui en dérive évoque plutôt un ruisseau qu’un fleuve, avec son cours tortueux, son débit étriqué, verdâtre et, ici et là, bourbeux. Sur son itinéraire il creuse tour à tour la frontière entre Israël et la Jordanie avant de séparer la Jordanie de la Cisjordanie occupée par l’État juif. Aux abords de Jéricho, l’oasis millénaire, berceau de l’agriculture, le pont Allenby ou Cheikh Hussein, enjambe le ruisseau, reliant ainsi l’une et l’autre rives. C’est l’unique point de passage ouvert aux Palestiniens pour quitter leur pays ou y rentrer.

Pont Allenby 1967

Photo d'archive. Des réfugiés arabes traversent le Pont Allenby endommagé pour quitter la Cisjordanie occupée, 15 juin 1967. 

AP Photo/Berez

Ce tronçon du cours d’eau est névralgique entre tous. Il est miné et surveillé par des moyens d’avant-garde technologique. La rive ouest étant placée sous le régime d’occupation israélien, la Jordanie se retrouve à traiter avec Israël en tant qu’État voisin et riverain sur une berge qui relève donc de l’État de Palestine, une nation qu’elle reconnaît pleinement pourtant, à l’instar de 134 autres pays. 

Il n’empêche, alors que le religieux infecte le politique au Proche-Orient, tous cultes confondus, la Jordanie a tôt voulu conjurer la politique par la… religion, en tablant à fond sur le volet spirituel du Jourdain pour promouvoir ce site majeur de l’Évangile en but de pèlerinage chrétien, aussi international qu’oecuménique. Nul paradoxe donc à ce qu’un royaume musulman, qui plus est dirigé par un roi issu de la lignée de Mahomet, se flatte de passer pour un « berceau du christianisme ».

JOurdain Jean-Paul II

Début 2 000, an du Jubilé de la naissance du Christ, des archéologues repèrent, en croisant textes de l’Évangile, récits de voyages et apports archéologiques, la courbe du Jourdain où le prophète Jean-Baptiste aurait baptisé Jésus. Ce site du baptême, El-Maghtas en arabe, identifié à la Béthanie biblique, est depuis lors aménagé en un véritable complexe cultuel, avec une floraison d’églises et auquel on accède par un chemin sinueux et bien ombragé.

Jourdain ruisseau

Le choix du site El-Maghtas reçoit la caution de Rome, lorsque Jean Paul II s’y recueille en l’an 2 000 lors d’un voyage en Terre sainte qui l’aura conduit de l’Égypte à Israël en passant par la Jordanie, la Palestine et Israël. Une fresque érigée sur place montre le souverain pontife, aux côtes du roi Abdallah et son épouse, la reine Rania. Il y sera suivi par le pape Benoît XVI en mai 2009 puis par François au printemps 2014. Aux yeux de la ministre du Tourisme, Lina Mazhar Annab, elle-même chrétienne, ces haltes intègrent la Jordanie dans une définition plus inclusive du concept biblique de Terre sainte, lequel englobe ainsi, l’Égypte, Israël, la Palestine et la Jordanie.

Slimane Zeghidour est écrivain, chercheur et spécialiste du monde arabe dans l'émission Maghreb Orient Express.

Le point hebdomadaire sur l'actualité internationale avec Slimane Zeghidour

Slimane Zeghidour est écrivain, chercheur et spécialiste du monde arabe dans l'émission Maghreb Orient Express.