Journée des migrants : "Je suis plus utile dans cette manifestation qu'à regarder le match de foot"

La finale de la Coupe du monde de football coïncide cette année avec la journée internationale des migrants. Alors que la compétition a été critiquée pour le sort des travailleurs migrants au Qatar, des manifestants se sont rassemblés à Paris et ailleurs pour défendre les droits des exilés et des sans-papiers. Reportage.
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Coupe du monde manif
Au sujet de la Coupe du monde au Qatar comme des Jeux Olympiques à Paris, les militants alertent sur les conditions de vie et de travail des sans-papiers employés sur les chantiers. 
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Dans une atmosphère médiatique et politique saturée par le football, la Marche des solidarités appelait en France, à contre-courant de ce jour de finale pour les supporters français et argentins, à rendre « hommage aux milliers de travailleur·se·s migrant·e·s mort·e·s sur les chantiers de la coupe du monde au Qatar. » De Porte de la Chapelle à République, quelques milliers de personnes ont défilé ce dimanche 18 décembre dans la capitale française pour attirer l’attention plus globalement sur les droits des migrants et des sans-papiers. L’appel a été signé par plus de deux cents collectifs, associations, syndicats comme la CGT, et partis tels qu’Europe Écologie Les Verts (EELV). 
 
Sur place, les représentants de collectifs de sans-papiers ne manquent pas de revendications urgentes : demander des régularisations, ou s’opposer à la nouvelle loi sur l’immigration portée par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Même si les droits des migrants dans les pays du Golfe peuvent sembler lointain, Diakité, du Collectif des sans-papiers du 17ème arrondissement, souligne toutefois que le rassemblement donne l’occasion de manifester leur solidarité « avec tous les migrants, du Qatar à la France ». 
 
Au nom du sport, on est prêt à massacrer des gens, sans même parler du climat.Simon, manifestant à la Marche des solidarités

Un « paradoxe » douloureux pour les manifestants

Dans les rangs de la manifestation, parmi les militants syndicaux, politiques, ou les membres d’associations, beaucoup sont sensibles à la coïncidence du calendrier qui juxtapose cette journée internationale à la finale France-Argentine. Cathy, à la direction du NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste), décrit : « C’est un paradoxe, la journée des migrants tombe le jour où tous les regards sont tournés vers le Qatar, un des principaux pays qui utilise de façon massive une main d’œuvre migrante et les traite de manière particulièrement inhumaine. De fait, ça devient symbolique. »
 
Simon, 22 ans, regrette l’indifférence vis-à-vis de ces enjeux, au profit du suivi de la compétition. « Moi, j’ai espéré que ce soit boycotté, parce qu’au début, beaucoup de gens parlaient de le faire. Mais finalement, on voit que la Coupe n’a jamais été aussi suivie. » TF1 enchaîne en effet les records d’audience pour sa diffusion des matchs, avec par exemple 20,69 millions de téléspectateurs réunis devant la demi-finale France-Maroc, mercredi 14 décembre. Le militant poursuit : « On parle quand même de gens qui sont morts. Au nom du sport, on est prêt à massacrer des gens, sans même parler du climat. Malgré ça, on continue à soutenir, à regarder, à acheter des produits sponsorisés. Ça me dépasse complétement. »

(Re)voir : Coupe du monde au Qatar : le rêve brisé des ouvriers bangladais
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Il colle donc des stickers « De la Coupe du monde aux Jeux Olympiques, Stop à l’exploitation des migrants » tout au long du parcours de la manifestation. Il tente d’en apposer un sur une publicité d’un partenaire des Bleus, devant un restaurant. Un employé l’apostrophe : « Pas là, s’il vous plaît ! ». « Si, justement », insiste le jeune homme. Désabusé, il aurait aimé un « petit effort, un signe, n’importe lequel », de la part des joueurs en photo sur l’affiche, pour montrer qu’ils n’en avaient « pas rien à faire ». 
 
Cette manifestation est d’autant plus importante aujourd’hui, quand on voit la Coupe du monde au Qatar, où 6 5000 travailleurs esclavagisés sont morts.Danielle Simonnet, députée La France Insoumise

« Un scandale à la face du monde »

Croisé parmi les manifestants, Ronan, 54 ans, fait partie des Français qui ont choisi le boycott. « Je trouve que je suis plus utile dans cette manifestation pour défendre les sans-papiers, pour améliorer l’intégration de chacun, qu’à regarder le match de foot », souffle-t-il. Il évoque pour lui un « rêve cassé du football », incarné par cette Coupe du Monde, après avoir regardé les matchs pendant des années. 
 
Écharpe tricolore à l’épaule, Danielle Simonnet, députée de la France Insoumise et conseillère municipale à Paris, suit le rassemblement. « Je viens tous les ans à cette manifestation. Elle est d’autant plus importante aujourd’hui quand on voit la Coupe du monde au Qatar, où 6 5000 travailleurs esclavagisés sont morts ». 

On a été ravis de voir qu’enfin, face à une telle horreur, il y avait une indignation.Mathieu, participant à l'organisation de la Marche des solidarités 
Alors qu’Emmanuel Macron s’est rendu à Doha pour les deux derniers matchs de la France, elle rappelle que son parti avait demandé, a minima, un boycott diplomatique. « C’est une vraie honte, un scandale à la face du monde », insiste-t-elle, citant à la fois l’exploitation des travailleurs, l’absence de droits pour les personnes LGBT+ au Qatar et l’enjeu écologique. 
 
Cathy, au NPA, abonde : « Entre les joueurs qui ont refusé d’assumer quoi que ce soit en termes de prises de position, et Macron qui prétendait ne pas faire de politique tout en essayant de récupérer au maximum, on a tout faux, à tous les niveaux ». Simon aussi interroge ironiquement : « Si ce n’est pas politique, alors dans ce cas, pourquoi la Russie a été exclue ? ».

Qatar 2022, Paris 2024, même combat ? 

Mathieu participe à l’organisation de la marche. Il estime que les mobilisations, bien qu’insuffisantes, ont permis de sensibiliser un peu aux conditions de vie et aux dangers que courent les migrants. « Ça aurait pu passer inaperçu, on oublie par exemple les morts dans la Méditerranée, dans la Manche ou à Melilla. Mais là, des médias, des collectifs, des personnalités, s’emparent du sujet et se positionnent dessus. On a été ravis de voir qu’enfin, face à une telle horreur, il y avait une indignation. »
 
Il fait le lien avec l’organisation des Jeux Olympiques à Paris pour 2024. « Il y a des milliards qui sont envoyés dans les JO, mais on nous dit qu’on n’a pas les moyens d’accueillir "toute la misère du monde". » Plusieurs articles ont récemment mis en lumière les conditions des travailleurs sans-papiers, employés sur les chantiers sans droits ni sécurité. 
 
(Re)voir : Mondial 2022 au Qatar : des footballeurs dénoncent l'exploitation de travailleurs migrants
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« Même si le niveau d’horreur n’est heureusement pas le même qu’au Qatar, on aimerait qu’il y ait la même indignation vis-à-vis de ce qui se passe sur ces chantiers, et de manière générale vis-à-vis des centaines de milliers de sans-papiers qui vivent ici, qui participent à cette société et à qui on refuse leurs droits. » Mathieu explique ne plus attendre grand-chose de la part du gouvernement français, mais placer son espoir dans l’opposition à ces politiques. 
 
Samedi 10 décembre, le collectif organisateur de la marche avait proposé un match de solidarité, « pour un football populaire et sans frontières ». « On veut montrer qu’un autre foot est possible, et une autre société, que c’est à notre portée, et qu’on a les moyens de le faire », conclut Mathieu, « en contre-pied » de la compétition internationale.