Journée internationale des peuples autochtones : "Ils n'ont jamais été aussi menacés"

Selon les Nations Unies, les peuples autochtones comptent quelque 370 millions de personnes sur la Terre, réparties dans 90 pays et plus de 5000 cultures différentes. L'ONU consacre chaque année le 9 août une "journée internationale" à ces peuples minoritaires et menacés. Un point sur leur situation avec Irène Bellier, anthropologue et directrice de recherche au CNRS. 
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Jeune fille de la Nation Lakota en habit traditionnel pour la journée nationale des autochtones, le 21 juin 2011 à  Winnipeg, Manitoba - Canada .  Le pays a reconnu 600 Premières Nations. 
(AP Photo/Kevin Frayer)
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TV5MONDE : Qu’est-ce qu’un peuple autochtone ? 

Irène Bellier : Il y a une définition de travail qui explique que ce sont les peuples présents sur un territoire avant que le colonisateur n'arrive. Par ailleurs, ils détiennent des institutions, des cultures et des langues propres, et sont déterminés à les transmettre à la prochaine génération. Cette définition permet de couvrir le cas de la colonisation par les Européens comme en Amérique, ou par des peuples plus puissants,  par exemple en Afrique ou en Asie.

La notion de "peuple autochtone" ne recouvre-t-elle pas des réalités sociales et économiques très différentes d'un pays à l'autre ?

Bien sûr. Il y a une très grande hétérogénéité. Les peuples autochtones occupent d'abord tous les écosystèmes possibles. Vous avez des peuples des forêts, des peuples du désert, des peuples de l'eau,  des montagnes… Ils sont pris dans des histoires coloniales différentes, des héritages coloniaux différents. Mais les Nations Unies ont réalisé un travail d'investigation tout à fait passionnant  pour arriver à identifier des situations communes de marginalisation et de discrimination.

Aujourd'hui, qu'est ce qui menace les peuples autochtones ?
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Irène Bellier, anthropologue


Les peuples autochtones se trouvent sur des territoires qui,  jusqu'à présent n’ont pas fait l'objet d'exploitation intense parce que justement ils ont été repoussés de territoires déjà exploités. Ainsi, par exemple, les peuples des plaines ont été repoussés dans les montagnes pour permettre la culture du riz par exemple. Ceux des forêts ont aussi été affectés par l'exploitation du bois qui a commencé au début du XXe siècle quand  les "bois précieux" étaient convoités par l'Occident.

Le problème auquel sont confrontés les peuples autochtones aujourd'hui,  c'est que de nouvelles terres sont l'objet de nouvelles exploitations. C’est le danger des industries extractives : mines, pétrole,... des menaces auxquelles il faut ajouter l'agro-industrie pour le soja, l’huile de palme, etc. En outre, ce sont des pratiques dangereuses car elles viennent remplacer de la biodiversité par de la monoculture qui va épuiser les terres.
 
On parle beaucoup du danger qui menace les peuples d'Amazonie, est-ce seulement une crise parmi d'autres ? 

D’une manière globale, on considère que les peuples autochtones n'ont jamais été aussi menacés aujourd'hui. C'est un paradoxe alors que les Nations Unies ont adopté une déclaration sur les droits des peuples autochtones en 2007, suivie d'une autre en 2014 pour les mettre en œuvre.

La menace est à l'échelle du globe. Prenez l’exploitation de l'or et l'orpaillage. C’est une plaie chez les Yanomami, les Wayampi, en Amazonie donc, mais le problème se retrouve aussi en Papouasie-Nouvelle-Guinée. La question du pétrole se manifeste en Alaska, en Amazonie équatorienne et au Pérou.

Aujourd’hui, vous avez des phénomènes de crise comme [l’élection du président brésilien] Bolsonaro. Sa première décision a été de supprimer les protections sur les territoires autochtones, ce qui veut dire mettre en coupe réglée la forêt amazonienne. Le problème est aggravé par l’accord entre l'Union européenne et le Mercosur [accord de libre-échange négocié entre les deux blocs, il doit encore être adopté par les différents Parlements NDLR]. Le Mercosur -et Bolsonaro- aura la possibilité d'exporter son soja et son bœuf. Soi-disant, il y aura des conditions de qualités, mais on sait que cela va être violé. La mondialisation des économies fait que la protection des droits des peuples autochtones n'est pas assurée. 
 
La France ne reconnaît pas les cultures amérindiennes de Guyane qui sont pourtant des cultures riches que l'on devrait mieux connaître.

Est-ce que vivre dans un Etat démocratique est une garantie pour le respect des droits des peuples autochtones ? 

Bien sûr, c’est mieux d'être dans un Etat démocratique que non-démocratique mais le respect des droits est un objet de lutte constant et jamais garanti. Par exemple, prenons le cas du Canada, un Etat qui se considère, (et est considéré), comme démocratique. Vous avez une enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées qui est sorti en juin 2019.

Il a fallu remuer ciel et terre pour que cette enquête relie les assassinats au problème du génocide culturel, de la « Loi sur les sauvages » de 1876, etc. Dans un Etat démocratique,  il a fallu des dizaines d'années pour que l'on commence à se poser la question de pourquoi ces femmes autochtones sont violées et assassinées.

Si on observe la France, elle ne reconnaît pas les cultures amérindiennes de Guyane qui sont pourtant des cultures riches que l'on devrait mieux connaître. La situation est un petit peu différente avec les Kanaks de Nouvelle-Calédonie. Ils ont obtenu un référendum et la possibilité d'opter pour ou contre l'indépendance, mais il y a quand même une vingtaine de langues parlées dans cette région et la France ne fait pas d'effort particulier pour entretenir ces langues qui sont des" mondes", qui reflètent des univers. Ainsi exprimer la différence, exprimer l'altérité est extrêmement compliqué en France également.

 
Au Canada, les Premières Nations ne disposent que de 5 % de leur territoire originel.
Revenons sur le Canada où l’Histoire est très lourde.  Est-ce que vous pensez qu’aujourd’hui, il y a une prise de conscience telle que les droits des Premières Nations sont respectés ? 

La prise de conscience est réelle et on va vers un plus grand respect des droits. Mais cela prend des formes très complexes. Aujourd'hui, le Grand Nord est en train de révéler d'énormes promesses. Des enjeux commerciaux et économiques sont en train de se développer. On n’a pas encore de beaucoup de recul sur les transformations des cultures autochtones amérindiennes qui sont en cours.

Les Amérindiens continuent à réclamer  l'extension de leur zone d'occupation sachant qu'aujourd'hui au Canada, les Premières Nations ne disposent que de 5 % de leur territoire originel.

Bref, la question de  l’exploitation du territoire est toujours là comme au premier temps de la colonisation. Mais disons que ça avance, le Canada discute et il a affaire à des organisations de défense puissantes. On n’est pas dans cette situation en Asie ou en Afrique où on a des peuples numériquement faibles et surtout moins dotés financièrement.


A lire :

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Est-ce que vous diriez que l'ONU joue son rôle aujourd'hui au-delà des déclarations de principe ? 

C'est à travers l'ONU que se produit ce mouvement international, toute une série de sommets, de déclarations,  de conférences  qui visent à saisir les enjeux de la planète dont le changement climatique,  les objectifs du développement durable...

Les Nations Unies, c'est un ensemble d'agences avec plus de 45 organisations attachées. Dans ces enceintes-là, les peuples autochtones doivent prendre pied pour défendre leurs  intérêts. Ce ne sont pas les Etats qui vont les défendre. 

Y-a t-il quand même des réussites, ou des raisons d'optimisme, concernant le futur des peuples autochtones ? 

Je dirais qu'il y a quelque chose de tout à fait intéressant aujourd'hui dans la reconnaissance de leurs savoirs. On a considéré que les autochtones n'étaient pas civilisés, qu'ils ne connaissaient rien... Maintenant, ils ont prouvé qu’ils pouvaient avoir des solutions pour le futur parce que ce sont des peuples résilients, des peuples qui ont traversé le temps et ont survécu. Ils savent s'adapter d'où la revalorisation des savoirs traditionnels. Des savoirs sur la biodiversité, la connaissance des animaux et des plantes tout d'un coup commencent à acquérir une valeur et viennent en discussions avec la science.

Je peux aussi citer le cas des Indiens Tupinamba au Brésil. Ils ont mis en place un système d’école qui va de la crèche jusque l'université, ouverte aux autochtones, et qui va inclure également les enfants des travailleurs pauvres. Ce modèle d'intégration par l'éducation est remarquable.

Donc, il y a des dynamiques qui vont dans le bon sens et on peut se dire qu'en défendant les droits des peuples autochtones, on peut non seulement protéger la diversité linguistique et culturelle du monde, mais aussi reconstruire des territoires qui ont été dévastés. 
 

A lire :

"Echelles de gouvernance et droits des peuples autochtones" Dir. I. Bellier et J. Hays, L'Harmattan, 2019

" Les Droits des peuples autochtones. Des Nations-Unies aux sociétés locales" par I. Bellier, L. Cloud et L. Lacroix, L'Harmattan , 2017

"Quelle éducation pour les peuples autochtones ?" I. Bellier et J. Hays (dir.), L'Harmattan, 2016

"Terres, territoires et ressources. Droits, politiques et pratiques des peuples autochtones", I. Bellier (dir.) , L'Harmattan, 2014


"Peuples autochtones dans le monde. Les enjeux de la reconnaissance", I. Bellier dir. L'Harmattan 2013

 
A voir : 

Interview de Fiore Longo, directrice de l'ONG Survival France sur la situation des Yanomami, diffusé sur TV5Monde le 18 juillet 2019.