Julian Assange a été arrêté, jeudi 11 avril, par la police britannique dans l'ambassade d'Equateur à Londres où il était réfugié depuis sept ans. Quelques heures après, il a été reconnu coupable d'avoir violé les conditions de sa liberté provisoire. Retour sur 12 ans d'activisme de l'organisation Wikileaks dont il est le fondateur.
"Julian Assange, 47 ans, a été arrêté aujourd'hui, jeudi 11 avril, par des agents du service de la police métropolitaine (MSP) à l'ambassade d'Equateur", a annoncé en milieu de journée Scotland Yard. Le fondateur de Wikileaks y avait trouvé refuge depuis sept ans.
Quand six policiers en civil l'ont extrait de l'ambassade, il est apparu vieilli et affaibli :
Récit : JL Eyguesier, montage : B. Martineau
La police britannique a procédé à son arrestation en vertu d'un mandat datant de juin 2012 délivré par un tribunal londonien, pour non présentation au tribunal ; et d'une demande d'extradition américaine pour "piratage informatique".
Après comparution devant la justice britannique, Julian Assange a été reconnu coupable d'avori violé les conditions de sa liberté provisoire. La sentence sera rendue plus tard.
"L'Equateur a décidé de manière souveraine de retirer l'asile diplomatique à Julian Assange pour avoir violé à plusieurs reprises les conventions internationales et le protocole de cohabitation", a écrit le président équatorien Lenin Moreno, rapidement critiqué par son prédécesseur Rafael Correa, exilé en Belgique. Il a commenté : "Cela met la vie d'Assange en danger et humilie l'Equateur. Jour de deuil mondial".
La question de son extradition vers les Etats-Unis va donc se poser.
Inculpé par la justice américaine
En novembre dernier, il avait été inculpé en secret par la justice américaine. L'affaire avait été révélée le 15 novembre par l'organisation Wikileaks elle-même, grâce à une fuite causée par une erreur de copier-coller dans une autre affaire.
La justice américaine risque d'arrêter Julian Assange sous peu : une page comportant des indications dans des documents judiciaires d'une autre affaire (
pdf en lien) a révélé que celui-ci était inculpé, pour des motifs qui devaient rester secrets, jusqu'à son arrestation, pour éviter qu'il ne puisse se préparer et éviter son extradition.
La plainte à l’appui et le mandat d’arrêt, ainsi que la présente requête et l’ordre proposé, devraient rester scellés jusqu’à l’arrestation d’Assange en lien avec l'accusation dans la plainte pénale, afin qu'il ne puisse plus éluder ou éviter une arrestation et une extradition dans cette affaire.Julian Assange, depuis plus de 6 ans, est au cœur d'un séisme politique, unique et planétaire, généré par l'organisation dont il est le fondateur et le porte-parole : Wikileaks.
> Lire notre article : "Assange : au delà de l'extradition, les vrais enjeux"Sans les révélations faites par ce groupe, de multiples secrets d'Etats, financiers, seraient encore inconnus du public, et le principe des lanceurs d'alerte, très certainement mis à l'écart des grands principes démocratiques. Retour sur la mystérieuse organisation Wikileaks, à l'origine des révélations parmi les plus gênantes que les Etats-Unis d'Amérique — en particulier — aient eu à faire face.
Une organisation quasi inconnue jusqu'à 2010
Oficiellement Wikileaks a été créée en 2006 et est considérée comme une ONG. La définition la plus simple et compréhensible de cette organisation est celle donnée par Wikipedia :
WikiLeaks est une organisation non-gouvernementale fondée par Julian Assange en 2006 dont l'objectif est de publier des documents pour partie confidentiels ainsi que des analyses politiques et sociales à l'échelle mondiale. Sa raison d'être est de donner une audience aux lanceurs d'alertes et aux fuites d'information, tout en protégeant ses sources. Plusieurs millions de documents relatifs à des scandales de corruption, d'espionnage et de violations de droits de l'Homme concernant des dizaines de pays à travers le monde ont été publiés sur le site internet depuis sa création.
Si le nom de domaine wikileaks.org a été enregistré cette année là, il faut attendre l'année 2010 pour que cette organisation se fasse vraiment connaître. Plus précisément, le 5 avril 2010, avec la diffusion d'une vidéo :
Collateral Murder : la vidéo qui embarrasse Washington
Le 5 avril 2010, Wikileaks diffuse mondialement cette vidéo qui montre des militaires américains assassinant des civils irakiens depuis un hélicoptère. Wikileaks devient mondialement célèbre.
Cette vidéo, classifiée à l'origine par l'armée américaine est toujours sur Youtube, elle montre un hélicoptère Apache américain qui ouvre le feu au à la mitrailleuse sur un groupe de civils dont deux reporters de l'agence Reuters. 18 personnes ont été tuées lors de ce raid, plusieurs enfants blessés gravement.
C'est cette même année, en novembre que Wikileaks diffuse les fameux
CableGate qui vont faire de Julian Assange la bête noire de l'administration américaine.
Les "leaks" : des données sensibles publiées en vrac, puis à la presse
Le terme leaks signifie "fuites" en anglais : ce sont donc des documents confidentiels ne pas censés être diffusés qui sont "donnés" à Wikileaks par des personnes à l'intérieur de structures administratives publiques ou privées, ou encore grâce à des piratages.
Collateral Murder est une vidéo transmise par un jeune soldat, Bradley Manning, (devenu Chelsea Manning après avoir changé de genre). Le soldat Manning choqué par les exactions de sa propre armée a aussi transmis à l'époque les "
War Logs", des rapports internes sur la guerre d'Afghanistant débutée en 2001.
La fuite la plus importante reste celle
des CableGate : plus de 250 000 télégrammes diplomatiques dont 15 000 classés "secrets" : entre novembre 2010 et septembre 2011 ces câbles adressés au Département d'Etat à Wahington sont transmis par Wikileaks à cinq grands journaux, qui décident alors lesquels publier et sous quelle forme. Au final, Wikileaks publie l'intégralité des télégrammes diplomatiques sur son site en septembre 2011.
Julian Assange enfermé dans 20 mètres carrés : Wikileaks résiste toujours
A la suite des révélations de 2010, Assange est accusé de viols par deux femmes suédoises avec lesquelles il a eu des relations sexuelles. C'est cette plainte qui finit par forcer le porte-parole de Wikileaks à se réfugier dans l'ambassage d'Equateur à Londre en juin 2012, dans une pièce de 20 mètres carré. L'affaire est rocambolesque et les poursuites sont abandonnées en 2017 : tout ne tenait que par l'affirmation des plaignantes qui reconnaissaient bien chacune une relation initialement consentie, mais accusait Assange d'avoir retiré son préservatif sans qu'elles l'y aient autorisé.
De nouvelles fuites vont se succéder par le biais de Wikileaks entre 2011 et aujourd'hui. Parmi les plus retentissants : les
Syria Files, Kissinger Cables, l'espionnage des 3 présidents français Chirac, Sarkozy et Hollande,
les documents sur Guantanamo, sur la centrale nucléaire de Fukushima, les courriers électroniques du Parti démocrate américain, les Spy Files russes… Toutes ces fuites de Wikileaks sont accessibles sur leur site
: https://wikileaks.org/-Leaks-.htmlDepuis le 11 janvier 2018, l'Équateur avait délivré à Julian Assange la nationalité équatorienne, mais lui avait retiré tous ses moyens de communications deux mois après. L'erreur d'impression qui indique une inculpation déjà prête aux Etats-Unis signifiait donc une arrestation imminente du porte-parole de Wikileaks. Ses avocats ne semblaient pas encore savoir sur quel pied danser à ce moment là. Un indice pouvait faire penser à une arrestation imminente dès la fin de l'année 2018 : le procureur spécial Robert Mueller, chargé de faire la lumière sur une possible collusion entre la Russie et Donald Trump lors de la campagne présidentielle de 2016, affirmait que les courriers électroniques du Parti démocrate piratés ont été fournis à Wikileaks par un agent russe. Après 2 487 jours dans l’ambassade d’Equateur à Londres, le fondateur de WikiLeaks Julian Assange a donc finalement été arrêté ce jeudi 11 avril 2019 par Scotland Yard.