Toutes vos oeuvres parlent de la Corée. Pourquoi ? C'est faux de dire que tout mon travail ne parle que de la Corée. C'est comme si on disait que François Truffaut ne parle que de la France, juste parce que tous ses films se déroulent dans son pays.
Sous la peau du loup est composé de récits de rêves. Même s'il y a quelques évocations allégoriques de l'histoire de Corée sur un épisode, il ne s'agissait pas d'afficher ma nationalité. Au contraire, les lieux ne sont pas précis. Je voulais que cette histoire soit universelle. Dans
Halmé, je raconte l'histoire de ma grand-mère, sa vie et sa mort, et le regard d'une enfant sur cette aïeule. En abordant sa vie, naturellement je parle de l'histoire de ma famille, de son époque et évidemment de l'histoire de Corée mais ce n'est pas mon sujet principal, plutôt un contexte historique. Dans le Hors Série du Monde Diplomatique, c'était la première fois que je parlais fondamentalement de la Corée, même si ce n'était que sur huit pages. J'étais vraiment heureuse d'avoir cet espace car depuis l'arrivée des conservateurs au pouvoir, l'actualité de la Corée m'a beaucoup préoccupée et j'étais vraiment ravie de partager ça avec les gens du pays où je vis maintenant (la France, NDLR).
Vous renvoyez dos à dos les deux pays, et insistez même sur la responsabilité de la Corée du Sud dans les malheurs et les verrouillages de celle du Nord. N’est-ce pas injuste ? Non, les deux Corée se sont construites en miroir. Le gouvernement Lee (le chef d'Etat actuel, NDLR) a tout fait pour briser les fruits des dix ans de « Sunshine policy ». A l'époque, il y avait un ministère qui s'occupait du rapprochement. Lee a voulu le fermer, il n'y est pas arrivé, mais ce ministère est aujourd'hui moribond. Il a aussi fait inutilement monter la tension et a interrompu les échanges économiques et touristiques avec le Nord. La Corée a subi 35 ans de colonisation japonaise et quand le pays a été libéré, en 1945 après la fin de la Seconde guerre mondiale, l'Union Soviétique et les États-Unis ont partagé en deux la Corée. La division n'a pas été la volonté du peuple coréen mais des grandes puissance extérieures. En plus la Corée du Sud a conservé les collabos pro-japonais au pouvoir, qui ont continué à réprimer les démocrates et les anciens résistants indépendantistes. C'est ça l'injustice. C'est comme si vous aviez gardé Pétain au pouvoir une fois la France libérée des nazis. Mais le maintien de la tension est vital pour la droite, ça permet de limiter voire d'empêcher la liberté d'expression, de rester dépendant des États-Unis, ce qui empêche le pays d'être une vraie démocratie et de camoufler leurs abus et leur incompétence. Et puis surtout, la Corée du sud s'estime supérieure au Nord, au lieu de l'aider à s'ouvrir. La société sud-coréenne est contradictoire, le fantôme du passé peut toujours revenir pour hanter le présent. La Corée du Nord est sans doute un pays étrange et très fermé, mais cette étrangeté est renforcée par les médias occidentaux. En plus je ne pense pas qu'une guerre puisse aider un pays à se démocratiser, il suffit de voir ce qui s'est passé en Irak.
La jeunesse a-t-elle la possibilité de faire évoluer la société sud-coréenne, mais aussi de changer la donne dans le conflit ? En juin 2008, quand il y a eu
des manifestations contre la levée de l'embargo sur la viande de vache folle américaine, j'ai vu beaucoup de jeunes dans les rues, notamment des lycéens. La jeune génération n'a pas connu le régime dictatorial autoritaire d'avant 1987, et s'informe à travers diverses sources, en particulier Internet, moins contrôlé que dans la presse traditionnelle, majoritairement de droite. C'est une nette différence avec les gens plus âgés, qui sont les principaux lecteurs de cette presse conservatrice.
Dans votre BD pour le Monde diplomatique, vous parlez d'Internet : tient-il une place importante dans votre vie ? Oui, Internet est un outil important pour moi, comme pour beaucoup de personnes aujourd'hui. J'utilise beaucoup les mails dans mon travail, je m'informe sur les sites d'info. Je me suis aussi inscrite sur Twitter pour me tenir au courant des choses qui se passent, pour suivre des fils d'actualité sur la Corée du Sud. Internet est très répandu en Corée : à chaque fois que j'y retourne, je vois les gens équipés de téléphones portables ultra-performants hyper high-tech. C'est aussi grâce à cette avancée technologique que le Président Roh Moohyun a pu être élu. Lui qui était hargneusement critiqué dans les médias traditionnels a mené sa campagne principalement sur Internet.
Allez-vous un jour repartir vous installer en Corée du Sud ? Pour l'instant non. J'y ai passé un tiers de ma vie. Ma vie d'adulte, je la construis en France, où je suis en train de m'installer. Mais si j'ai l'occasion d'aller vivre en Corée, pour le travail ou pour des raisons familiales, pourquoi pas ? Pour le moment, y retourner tous les trois ans me suffit.
Sur quoi travaillez-vous actuellement ? Cette année, je me suis consacrée à la création de spectacles en théâtre d'ombre. Au printemps, j'ai réalisé une pièce,
Daldal, créée à Bruxelles. Je suis en train de préparer une pièce de théâtre d'ombre sur la sexualité avec d'autres artistes. En 2012, je vais sortir un nouveau livre,
Le verger de mon père.