Mikhaïl Kalachnikov, l'inventeur du fusil d'assaut soviétique AK-47 a passé l'arme à gauche ce lundi à l'âge de 94 ans. Depuis sa création, en 1947, plus de 100 millions d'exemplaires (copies comprises) ont été mis en circulation dans le monde. Au gré des révolutions et autres coups d'état, la Kalachnikov continue de traverser les soubresauts sanglants de l'Histoire. Retour sur l'existence mouvementée de son inventeur, surnommé "le poète de l'acier", et sur l'incroyable épopée d'une arme-légende.
LE BROWNING ET LA BLESSURE
Tout commence en 1935.
Mikhaïl Kalachnikov a 16 ans. L’adolescent se voit confier par un copain la garde d’un pistolet , un browning. Cadeau encombrant. Détenir une arme en URSS est strictement interdit. Mais Kalachnikov est émerveillé : « L’esthétique de ce pistolet exigeait qu’on le prenne dans sa main. Je voulais sentir comment il marche, étudier tous ses mécanismes ! ».
Le coup de foudre est vite contrarié.
On le dénonce. La milice l'arrête et exige qu’on lui remette le pistolet. Kalachnikov fait l’imbécile, dit n’importe quoi mais ne cède pas.
Malgré les menaces, il refuse de révéler l’endroit où le Browning est caché.
Mikhaïl Kalachnikov vient d’attraper le virus des armes. Il le ne quittera plus.
On le relâche.
Comme il se sait désormais sous surveillance, il préfère, à 17 ans, quitter sa famille et son village plutôt que de rendre l’arme.
Une trop belle histoire ? Peut être. Il faudra attendre le début des années 1980 pour connaitre un autre chapitre de sa vie, plus sombre.
A l'occasion de la publication de ses mémoires, Mikhaïl Kalachnikov évoquera au fil des pages une blessure jamais fermée : la déportation en 1930 de toute sa famille en Sibérie dans la région de Tomsk. Son père, un agriculteur, était jugé trop riche et donc présumé hostile aux doctrines de Staline qui collectivise alors les terres du pays. Le futur ingénieur y perdra dix sœurs et frères, victimes de malnutrition ou de fièvres.
UNE MITRAILLETTE ASSEZ SIMPLE
On le retrouve au Kazakhstan dans un dépôt de chemin de fer, puis en Ukraine où, sous les drapeaux, le jeune inventeur se distingue en mettant au point un compteur de kilométrage et de consommation pour les chars de combat. En 1941, le voici sergent chef dans une unité de chars où il est grièvement blessé. Pour lui, la guerre est fini. « A l’hôpital, expliquera-t-il, j’entendais les blessés se plaindre. Les Allemands ont tous des mitraillettes. Pourquoi pas nous ? »
Il réfléchit. « Comment créer pour des soldats une mitraillette assez simple qu’on pourrait fabriquer dans n’importe quel atelier artisanal ? »
UNE USINE DE POÊLES A FRIRE
Avec quelques camarades, il bricole un premier prototype.
L'idée est de concevoir un fusil mitrailleur comparable au redoutable "Sturmgewehr" allemand. Il songe à un fusil qui ne tirerait pas au coup par coup, mais par rafales, une sorte d’intermédiaire, en plus léger, entre la mitraillette et le fusil-mitrailleur.
Il rencontre Ekaterina, une jeune technicienne qui deviendra son épouse. C’est elle, plus douée que lui pour le dessin, qui dresse les plans de l’arme à partir desquels l’autorité militaire est invitée à se prononcer.
Fin 1946, l’arme est née. Son principal mérite est d'utiliser une munition inédite de calibre 7,62 mm qui permet de tirer loin et à un rythme soutenu. Mais l’armée, dans un premier temps, la refuse. L’invention de ce petit sergent-chef est certes prometteuse, mais est-ce que l’utilisation de cette nouvelle arme, baptisée AK 47, ne va pas gaspiller trop de munitions ? La hiérarchie militaire se décide malgré tout à lancer la production. L’usine d’Ijevsk, dans l’Oural, est choisie. Autrefois, elle fabriquait des poêles à frire et des ustensiles de cuisine. Eh bien, l'usine s’adaptera ! Kalachnikov reçoit le prix Staline et en 1949, les soldats de l’armée rouge reçoivent les premiers exemplaires de l’AK 47.
LE BAPTÊME DU FEU
Kalachnikov en est convaincu : si chaque fantassin était équipé de son arme, il disposerait d’une puissance de feu sans pareille. En attendant, la carabine Simonov reste l’arme préférée lors des parades militaires sur la place Rouge. Kalachnikov ronge son frein. Il sait l’efficacité de son arme.
En 1952, L’AK 47 est encore utilisée lors d’entrainements et, pour préserver le secret sur ses munitions, il est demandé à chaque soldat de récupérer les douilles.
Octobre 1956.
L’AK47 connait le véritable baptême du feu à Budapest, lors du mouvement insurrectionnel.
Les Occidentaux réalisent alors l'avance pris par les soviétiques avec l'AK47. C’est un véritable choc pour les Américains. Ils pensaient mordicus que l’équipement de l'armée russe était obsolète !
Succès oblige, la Kalachnikov échappe bientôt aux mains de son créateur.
Et même, de nombreux pays rivalisent d’imagination pour customiser l’arme : l’Allemagne de l’Est sort un modèle à crosse pliable, la Roumanie et la Hongrie un autre avec une deuxième poignée. La Pologne propose carrément un modèle encore capable de lancer une grenade !
NASSER, CLIENT DES RUSSES
L’Égypte est également équipée du fusil mitrailleur. Le Président Nasser, en désaccord avec l’occident sur la politique à mener dans la région, souhaite des armes pour libérer la Palestine. Comme il ne peut s’en procurer auprès des occidentaux, le Rais se tourne vers l’URSS... qui, de fait, n'est pas bien loin : des instructeurs soviétiques sont déjà dans le cercle du pouvoir égyptien ! « L’Union Soviétique était considérée comme un fournisseur d’armements et non comme une idéologie à suivre. D’ailleurs, du temps de Nasser, on jetait beaucoup de communistes en prison, » précisera le Général SADD Chazli, fondateur des troupes aéroportées égyptiennes.
L’ÉMOTION MONDIALE
Le 17 août 1962, Peter Fechter, un maçon de 18 ans à Berlin-Est, est abattu par les gardes-frontières de RDA alors qu’il essayait de franchir le mur pour gagner Berlin-Ouest. Grièvement blessé, il restera au sol, agonisant au pied du mur, sans secours. La police de Berlin-Ouest n’avait pas le droit d’intervenir et les gardes-frontières des alliés de Checkpoint Charlie n’intervinrent pas non plus.
Les gardes-frontières étaient équipés d’une Kalachnikov. L’émotion mondiale qui s’ensuivra fera une immense publicité à cette arme qualifiée de « rouge » en référence à son pays producteur et à l’idéologie qu’elle est censée défendre. L’AK 47 est devenue le symbole de la séparation entre deux mondes. Désormais, les armées du bloc de l’Est sont toutes équipées de Kalachnikov.
L'HONNEUR DES PALESTINIENS
Rien ne semble alors pouvoir arrêter la progression de cette arme dans les conflits en cours. Au Vietnam, elle rentre dans la légende quand apparaissent les premières Kalachnikov de fabrication chinoise aux mains des soldats du Viêt-cong. En 1967, après la guerre des six jours, l'occupation par Israël de la Cisjordanie offre à l'OLP de nouvelles perspectives de lutte ; la Chine fait passer à Arafat de nouvelles armes et quand le leader palestinien, évoquera la Kalachnikov, il la définira comme « l'honneur des Palestiniens ».
300 DOLLARS LA "KALACH"
Dans les années qui suivent, les groupes terroristes allemands et italiens anti-impérialistes se déchaînent et prennent la Kalachnikov pour symbole de leur lutte.
En 1978, au Liban, toutes les factions possèdent une Kalachnikov. A cette époque, 15 pays la fabriquent, dont la Libye.
En 1984, en Afghanistan, la guerre fait des ravages du côté des Soviétiques. La RDA envoie les Kalachnikovs qu'elle fabrique partout où de l'argent est à prendre. La Chine prend la maîtrise du trafic mondial. Aux USA, c'est l'arme la moins chère. A 300 euros pièce, ces fusils-mitrailleurs sont bon marché.
Le succès jamais démenti de la Kalachnikov continue d’assurer la bonne fortune des exportateurs d’armes en Russie. Alekseï Sorokine, directeur général du groupe d'armuriers confiait à la Voix de la Russie :
« L'acheteur occidental a une idée toute faite de l'arme russe. Selon lui, elle est simple et bon marché (…) en règle générale, elle est très fiable. Telle est l'idée des Occidentaux. Cette arme occupe sa niche spécifique de produit à bas coût.”
Simplicité, légèreté, rusticité : trois mots clé pour définir le succès mondial de la Kalachnikov. Elle aurait été produite à plus de cent millions d'unités, copies comprises. En deux ans, la société Ijmach, qui fabrique la célèbre arme, a multiplié par douze son volume à l'exportation, qui atteint aujourd'hui 12 millions d'euros.
Et l’inventeur, Mikhaïl Kalachnikov ? S’est-il au moins enrichi avec son arme ? Que nenni ! Il n'a jamais touché d'argent sur la vente des millions de fusils portant son nom, la propriété intellectuelle étant collective en droit soviétique. Et à ceux qui lui demandait s’il songeait parfois à tous les morts que son invention avait fait, le petit sergent devenu lieutenant général déclarait le plus sérieusement du monde : « Mes armes ne devraient servir qu’à garder des frontières. Pour servir la paix, et non la guerre ».
Raté.