Que reste-t-il de vraiment neuf à découvrir sur les Kennedy 50 ans après la tragédie ? On pensait avoir tout vu sur cette famille qui raffolait des images et mettait en scène ses péripéties politiques ou amoureuses avec une impudeur assumée . Avec « Dallas, une journée particulière » et « Il n’y a pas de Kennedy heureux », le réalisateur Patrick Jeudy relève le défi. Il nous offre une nouvelle vision sur l’assassinat du président américain et nous invite à une immersion totale dans l’ADN d'une sacrée tribu.
Une journée atroce Air Force One se pose à Dallas, le 22 novembre 1963. Kennedy descend la passerelle en compagnie de Jacky, sa femme. Elle est vêtue d’un tailleur rose. Dans quelques heures, il sera maculé de sang et l’avion repartira avec le cercueil du président. JFK pensait bien que ce périple au Texas pourrait n’être pas de tout repos. Avait-il un pressentiment ? En descendant de l’appareil, il confie à sa femme « Nous arrivons maintenant au pays des dingues ». Ce fut, en effet, une journée folle. Et atroce.
« Dallas, une journée particulière » mêle habilement reportages d’époque, films amateurs , dessins et photos. Nombre de documents sont inédits. L’efficacité du montage, nerveux et fluide, donne à voir un film haletant. Si l’on regrette certains bruitages, parfois un peu trop appuyés, le commentaire est sobre et n’entre jamais en rivalité avec la force des images. Patrick Jeudy nous prend par les yeux et ne nous lâche plus. “Outre les images de la fondation Kennedy et les reportages des chaines américaines, Il y a les films tournés en super 8 par une quinzaine d’amateurs que nous avons réunis et qui nous permettent de voir quasiment la demie-jeure complète qui précède l’assassinat et cela, c’est vraiment nouveau” précise le réalisateur.
Et c’est une réussite ! Nous sommes avec le couple sur le tarmac de l’aéroport, dans la limousine présidentielle, à l’hôpital parmi les médecins affolés et devant le cercueil présidentiel recouvert du drapeau étoilé. Le film révèle des détails troublants et pose les bonnes questions. Aucune précaution particulière n'avait été prise par la police de Dallas, ville pourtant réputée pour sa violence. Le trajet n’avait pas été sécurisé dans la ville et les gardes du corps du président n’étaient pas au mieux de leur forme. Et pour cause ! Ils avaient fait la fête jusqu'à 5 h du matin !
Extrait du film “Dallas, une journée particulière“ réalisé par Patrick Jeudy
Le temps est splendide. La voiture roule à 17 km/h. Kennedy est souriant, plutôt rassuré sur l’accueil qui lui est fait. Le film pose plusieurs questions troublantes et qui n'ont jamais eu de réponse : Qui est cet homme mystérieux qui ouvre tout à coup son parapluie ? Est-ce pour donner un signal ? Et ce cubain qui brandit le poing au passage du véhicule et qu’on ne retrouvera jamais ? Nombre de pistes ont été explorées et l'examen critique de celles-ci, faute de preuves irréfutables, ont alimenté les théories de la conspiration.
Quand le 1er coup de feu touche le président à la gorge, sa garde rapprochée pense à un pétard ou à la quinte bruyante d'un vieux moteur. Une deuxième balle touche le gouverneur Connally, assis à l’avant, à droite du chauffeur. Jackye s’écrie : « Mon Dieu, ils ont tué mon mari. ! ». Elle tente de récupérer un morceau du crâne de son mari tombé sur le coffre de la limousine mais le garde du corps, craignant d'autres coups de feu, repousse l'épouse du président sur le siège arrière.. Et dans le trajet qui emmène le couple à l’Hôpital de Parkland, elle dira avoir tenu dans ses mains la cervelle de son mari. La suite est hallucinante.
Il faut voir ce film qui nous dévoile ensuite les instants qui ont suivit l’annonce du décès. Il y a la solitude brutale de cette première dame des Etats-Unis, désormais veuve, et qui semble tout à coup encombrante dans le paysage où grouillent agents spéciaux et reporters fiévreux, il y a aussi le coup de force des services secrets pour récupérer la dépouille du président et qui, pour obtenir la docilité du personnel soignant, sortent leur arme de service et menacent les médecins texans qui refusent d’obtempérer, et puis encore la fébrilité suspecte de Lindon Johnson qui exige de prêter serment et s’empresse d’endosser ses nouveaux habits de président sans aucune décence pour la jeune veuve à ses côtées….. Et puis… »Dallas, une journée Particulière » s’apprécie comme une gourmandise historique . Et notre stupéfaction se renouvelle à chaque vision.
"Il n’y a pas de Kennedy heureux » Approche radicalement différente pour le second film. Cette fois, l’auteur à choisi de nous dévoiler ce que fut vraiment la famille Kennedy. Il nous explique pourquoi il n’y a pas de « malédiction » particulière et remonte le fil de cette destinée depuis l’ascension de Joseph, le patriarche de la tribu. Une voix off, celle d’une gouvernante imaginaire, nous fait découvrir l’âme de cette famille, et quelle famille ! Affamée de pouvoir et corsetée dans un égoïsme criminel.. Patrick Jeudy, le réalisateur affirme : “Les enfants, ce sont vraiment les victimes de la famille Kennedy. Ce sont les sacrifiés. Parmi eux, très peu ont fait quelque chose de leur vie. Ils se sont perdus dans la drogue, dans l’alcool…”
Le psychanaliste Gerard Miller signe ici le texte lu par cette voix. Et ses mots parviennent à réussir une introspection surprenante. Tout s’éclaire soudain. Devant tant d’intelligence et de finesse on ne peut que s’incliner. La communion des mots avec les séquences produit un effet saisissant. Les Kennedy dans les années soixante, c’était l’image de la richesse, du bonnheur et le clan personnifiait à lui tout seul le rêve américain. « l'important est que les Kennedy ressemble à l'image que les américains se faisaient d’eux » analyse pertinemment le film.
Extrait du film “Il n'y a pas de Kennedy heureux“
D’origine irlandaise, le père, Joseph Kennedy, dit « Jo » est l’architecte de cette réussite. Manipulateur sans scrupule, ses fils sont ses pur-sang. Et il est le maitre d'un haras qui compte neuf enfants. Ce grand boursicoteur, pro nazi, ex ambassadeur des Etats Unis à Londres (en 1938) est immensément riche. Il échafaude une stratégie pour que son fils ainé, Joseph Patrick Kennedy Jr accède au pouvoir suprême. Mais la mort emporte le jeune soldat au cours d'une opération aérienne lors de la seconde guerre mondiale. Le patriarche reporte alors ses espoirs sur John, le second. C'est lui qui réalisera ses rêves de puissance. Une stratégie, certes gagnante mais à quel prix ? « Les petits Kennedy ont passé leur enfance à enterrer les leurs. et à célébrer leur mort dans des cérémonies à répétition » appuie Claude Miller. Le grand mérite du film de Patrick Jeudy est de nous présenter et représenter la solitude des enfants de John et de Bob, l’autre frère et cette solitude fut immense. Comme le dit le commentaire : « Les Kennedy ont élevé leurs enfants sur des tombes sans jamais répondre aux questions que ces tombes leur posait »
Gouvernantes et gardes du corps se succédaient au chevet des bambins. Pendant que le monde enviait ces gosses dans les jambes de leur père au sein du bureau ovale, les jolies petites têtes blonde, elles, auraient tout donné pour avoir plus d’attention et un supplément de câlins. Enfants sacrifiés sur l’autel du pourvoir. Comme ils étaient malheureux de ne pas comprendre ce que signifiait ces cortèges de limousines noires, cette nuée d’agents toujours nerveux, toujours inquiets et qui vibrionnaient autour d’eux. Mais On ne leur parlait pas. On ne leur disait rien sinon de bien sourire à la caméra des actualités. Le film affirme que Caroline et John John furent, à cette époque, les enfants les plus photographiés du monde. Ils furent surtout parmi les plus seuls. Atrocement. Des gosses de riche perdus dans un incessant ballet de gouvernantes et de cousins. Enfants que l'on tient prudemment à l’abri des frasques de leur père. “Sa mort a peut être empêché le discrédit pronostique Patrick Jeudy. Il y avait en effet beaucoup d’affaires (ses liens avec le milieu, ses histoires avec les femmes etc.) qui éclataient au moment où il est mort.” La brèche du silence se fissurait. Et le réalisateur de rappeler un épisode épouvantable concernant Philip Graham, directeur du Washington Post et Président du conseil de Newsweek :” Ce soutien important des Kennedy et ami intime du vice-président Johnson est un jour monté à moitié ivre sur une scène lors d’un meeting. Il s’est mis à déballer toutes les histoires glauques sur Kennedy. On est venu le chercher. Dans la nuit, il était dans un avion en provenance de Washington. Il s’est retrouvé interné immédiatement. Et il s’est suicidé quelques temps après. La raison d’état, chez les Kennedy, à peut-être poussé cet homme au suicide…” Après le drame à Dallas, le film nous apprend que ce fut la gouvernante qui fut obliger d’annoncer aux enfants, la mort dans l’âme, le décès de leur père. Et le lendemain de l’enterrement , la famille fêtera les anniversaires de Caroline et de John John comme si de rien n’était. Ou presque. A la maison, défense est faite, désormais, d’évoquer ce papa qui ne reviendra plus.