JFK n’était pas le fils choisi pour devenir président des États-Unis. Son père voulait que ce soit son fils aîné, Joseph Jr. Mais le frère pressenti disparait lors d'une mission aérienne pendant la Seconde Guerre mondiale. Et c'est à John que revient l'écrasante charge d'assumer les ambitions paternelles. Lui qui songeait à une carrière dans les affaires se retrouve tout à coup propulsé dans l’arène politique avec un seul mot d'ordre : gagner.
Le mythe est en marche. Retour sur une vie légendaire avec Thomas Snégaroff, historien, spécialiste des questions géopolitiques et auteur d'une nouvelle biographie sur JFK.
La mémoire populaire ne retient que le côté glamour du personnage. Ainsi, 50 ans après, sa liaison avec Marilyn Monroe éclipse son combat, par exemple, contre la ségrégation raciale. De même, on oublie que son administration tenta à plusieurs reprises de faire assassiner Castro... Injustice de la postérité ?
Je crois au contraire que la postérité a plus été bienveillante pour lui. Bien sûr, régulièrement, des livres viennent écorner l’image de Jack Kennedy, mais les sondages, et notamment un très récent, en font l’un des présidents préférés des Américains, alors que son bilan n’est guère flatteur.
Il n’a présidé qu’environ 1000 jours et n’a pas connu d’avancées particulières en politique intérieure. Son intérêt pour la question raciale ne s’est affirmé que très tardivement, essentiellement après le discours de Martin Luther King à Washington (I Have a Dream) fin août 1963. Quant à Castro, il a échoué à le renverser ! Certes un homme a marché sur la Lune, mais peut-on mettre cela au crédit de Kennedy, même si c’est lui qui a fixé l’objectif.
C’est essentiellement Johnson, son successeur qui fera avancer les grandes questions sociales, que ce soit celle des soins pour les plus âgés (Medicare) pour les plus pauvres (Medicaid) ou encore la question raciale avec les lois sur les droits civiques et le Voting Right Act qui doit permettre à tous de voter.
Pour résumé, Kennedy a lancé des pistes, ouvert des voies, mais son bilan est maigre. La postérité en a fait un grand président… qu’il n’a pas eu le temps d’être.
On dit, et c'était une première à l'époque, qu'il avait un service cinéma à la maison blanche et disposait de cameramen à sa disposition pour filmer son quotidien. C'était un homme parfaitement conscient du pouvoir et de l'impact des images ?
Oui, c’est une évidence. Juste après la guerre, quand son père a décidé que Jack ferait la carrière politique prévue pour le grand frère, l’une des sœurs s’inquiète de la santé de Jack. Joe, le père lui répond alors : « Ce qui compte n’est pas ce qu’il est, mais ce que les autres pensent qu’il est ».
Jack a parfaitement intégré cela. Il maîtrise son image absolument. Son mariage doit être celui d’un couple parfait. Son corps doit être viril et fort… Il refuse par exemple d’être pris en photo avec des béquilles, avec des lunettes, ou en train de manger ! Et gare à ceux qui contreviendraient à ces règles : ils perdraient l’accès à la Maison-Blanche et les réseaux du papa sont tels que tout le monde craint les conséquences. Mais c’est aussi l’esprit du temps : la recherche de scoops dans la vie privée n’est pas encore à la mode…
JFK et ses problèmes de dos... Il existe très peu d'images de lui avec ses béquilles ?
Voilà, c’est l’une des expressions de la maîtrise des images. Une est cependant publiée en juin 1961. Pierre Salinger, le porte-parole de la Maison-Blanche, à qui l’on pose la question répond que c’est à la mode de marcher avec une canne ! Et l’on passe à une autre question, c’est dire !
Le père, JOE, a une très hautes ambitions pour ses enfants. On a le sentiment qu'il élève ses enfants comme le propriétaire d'une écurie, d'un haras, avec ses pur-sangs obéissant à un seul mot d'ordre : gagner à tout prix. Image juste ?
Absolument ! Ce sont des bons petits soldats élevés pour être les meilleurs. Dans leur propriété de Hyannis Port à Cape Cod, on fait du sport du matin au soir et on veut toujours GAGNER !
Comment l’expliquer ? Peut-être doit chercher du côté de la psychologie des parents, Joe et Rose, descendant d’Irlandais qui, malgré une immense richesse, n’ont jamais été pleinement acceptés dans la haute société bostonienne. Se joue une forme de revanche sociale. Montrer au monde que les Kennedy sont les meilleurs !
JFK avait-il un réel talent politique ou a-t-il accepté de s'engager dans le combat pour obéir surtout au patriarche après le décès de son frère aîné (la vie de play-boy lui aurait tout aussi bien convenu...) ?
Rien ni personne ne peut dire que sans la mort de Joe Jr, Jack ne serait pas entré quand même en politique !
Mais on ne peut l’assurer pour autant… A l’adolescence, Jack est dilettante, moyen à l’école et d’une santé très fragile. Pas le meilleur profil pour nourrir les ambitions du père. Cependant, Jack songe à une carrière dans les affaires publiques. Pas nécessairement un mandat électif. D’ailleurs lors de sa première campagne, en 1946, il est très mauvais ! Il déteste saluer les gens qu’il ne connaît pas, n’aime pas toucher les inconnus. Bref, on est loin de l’animal politique qu’il allait devenir et que son grand frère avait déjà commencé d’être !
Il a répondu à l’injonction paternelle, c’est sûr. Dans un entretien donné juste avant la présidentielle de 1960, Jack dit : « C’était comme être choisi. Mon père voulait son fils aîné en politique. "Voulait" n’est pas le bon mot. Il l’exigeait plutôt. Vous connaissez mon père ».
Cette boulimie sexuelle, c'est une légende ?
Ah non, ce n’est pas une légende ! Dès l’adolescence, Jack enchaîne les conquêtes à un rythme vertigineux. Il n’est pas rare qu’il ait plusieurs maîtresses différentes en une journée.
Marié, cela ne changera rien. Il adore notamment passer quelques jours sur la côte d’Azur sur un yacht où il se livre à de véritables orgies.
Rosemarie, la soeur que l'on interne de force, c'est la grande sacrifiée de la famille ? Le grand tabou du clan ?
Oui, c’est certain. Je me permets de vous lire ici les lignes que je lui consacre dans mon livre : « Le 13 septembre 1918, alors que Rose s’apprête à donner naissance à son troisième enfant, Dr. Good est en retard. Un retard aux conséquences dramatiques. Le travail a commencé et la tête du bébé se présente, mais reste coincée dans le vagin de la mère. Pendant quelques longues minutes, le cerveau est privé d’oxygène. L’arrivée du docteur Good libère le bébé, mais les séquelles sont irréversibles. Comme souvent dans ces cas-là, les parents ne remarquent le retard de leur enfant qu’au moment de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Rosemary est un enfant joyeux, mais bien plus lent que ses frères et sœurs. Son retard mental est évident. Rose passe plus de temps avec elle qu’avec les autres. Les passants de Coolidge Corner voient presque tous les jours se promener la maman et sa petite fille, main dans la main. Souvent, elles se rendent ensemble dans le grand magasin du quartier. Rosemary adore les jolis vêtements. Elle les aimera jusqu’à la fin de sa vie.
Son handicap lui permet cependant une certaine autonomie et même davantage. Ainsi, elle peut, par exemple, s’occuper de ses petits frères et sœurs à la plage. Cependant, manifestement, cet enfant devenu jeune fille ne cadre pas avec l’excellence que Joe et Rose imaginent pour chacun des membres de leur famille. En 1941, le couple se décide à tenter le tout pour le tout pour « guérir » Rosemary. Le risque est énorme. À 23 ans, la jeune fille est confiée à deux figures majeures de la neurochirurgie de l’époque, Walter Freeman et James Watts, pour être lobotomisée. Le résultat est catastrophique. Rosemary a désormais l’âge mental d’un enfant de trois ans. Elle passera soixante ans au couvent Saint-Coletta, un institut catholique pour personnes attardées, bien à l’abri des regards extérieurs. Tous les Kennedy ne peuvent être des vainqueurs, mais aux yeux du monde, ils doivent l’être. »
Avec le recul, on a un peu le sentiment d'une famille férocement égoïste, allant jusqu'à sacrifier ses enfants (éducation, délinquance, suicide, problème de drogue, etc) pour parvenir à ses fins...
Difficile à affirmer, n’étant pas psychologue. Il est certain qu’il a dû être difficile d’être un enfant Kennedy. De devoir toujours être à la hauteur !
Mais, je crois que contrairement à ce qu’on dit souvent, Joe et Rose ont aimé leurs enfants. Peut-être n’ont-ils pas toujours été adroits dans leur éducation…
Beaucoup remettent en question l'obtention de sa décoration militaire, la "Purple Heart", comme beaucoup discutent l'attribution de son prix Pulitzer... Était-ce le père, une fois encore, derrière ces distinctions ?
C’est clair que l’héroïsme dans le Pacifique et le Prix Pulitzer sont sujets à caution.
Pour le premier, c’est d’abord l’armée américaine, et non Joe, qui a monté en épingle le sauvetage de son équipage par le lieutenent Kennedy dans le Pacifique. L’armée avait besoin de héros pour l’opinion publique US et ses dollars. En revanche, la patte du papa est évidente pour les récompenses. James Forrestal, le ministre de la Marine, qui lui remet ses médailles, est un grand ami de la famille. Cela servira la carrière politique de Jack qui, lors de chaque campagne, fera envoyer à ses électeurs le récit de sa bravoure dans le Pacifique.
Quant au Pulitzer, c’est encore plus évident. Le livre « Profiles in Courage » n’est même pas écrit par Jack, mais par son fidèle conseiller Ted Sorensen. Peu importe. Joe veut en faire un best-seller et en achète des milliers d’exemplaires lui-même (son cousin Joe Kane idem). Puis il appelle son vieil ami Arthur Krock, du NYT, et surtout membre du Conseil d’Administration du prix Pulitzer. Un prix qui a d’abord échappé à Jack mais après l’intervention de Krock, on revient sur la décision et on l’accorde à Jack !
Bref, un prix qu’il n’a pas eu pour un livre qu’il n’a pas écrit. Cela se passe comme ça chez les Kennedy. Il suffit de vouloir pour avoir.
Le rôle réel de la Mafia dans la campagne Kennedy ? Dans son assassinat ?
Très difficile… C’est une question que j’aborde peu dans mon livre parce que ce ne sont que des conjectures. Rôle réel ? On n’en sait rien, à vrai dire.
Jackie, admirable de courage pendant la journée tragique, a, semble-t-il, ruiné son "capital amour" auprès des américains suite à sa liaison avec Onassis...
Non, les Américains ont toujours adoré Jackie, sauf peut-être lors de sa virée sur le yacht d’Onassis durant l’été 1963. Des photos sont même sorties dans la presse où elle paraît légèrement flirter avec l’armateur grec…
Mais tout rentre dans l’ordre à son retour, et la magie Jackie semble opérer à nouveau le 21 et le 22 novembre 1963 au Texas…
En 2017, on pourra accéder à l'intégralité des archives. Qu'est ce qui pourrait être révélé ? La vérité sur sa mort ? Le rôle de la CIA ?
Ne nous faisons pas d’illusion. Il reste très peu d’archives à découvrir et il est fort à parier que rien d’extraordinaire ne sortira.
Malheureusement pour nous, l’enquête personnelle de Bobby – probablement très précieuse - a été brûlée par Jackie après la mort de Bobby…
Thomas Snégaroff vient de publier "Kennedy: Une vie en clair-obscur" (Édition Armand Colin)