Ce dimanche 17 février, le Kosovo célèbre ses cinq ans d'indépendance. Un anniversaire qui met encore en lumière les difficultés de ce jeune pays avec son voisin serbe, son économie exsangue et un taux de chômage record chez les jeunes. Certaines forces internationales venue en renfort il y a cinq ans sont parties en septembre dernier laissant le pays se (re)construire seul. État des lieux avec Jacques Rupnik, directeur de recherche à Science Po Paris.
Avec la dissolution en septembre dernier du Groupe d’orientation sur le Kosovo (voir notre encadré), le pays est-il prêt à devenir plus indépendant sans une certaine tutelle internationale ? Pour que cette indépendance prononcée depuis 2008 ait un contenu véritable, il était temps de simplifier la présence internationale. Le désengagement n’est qu’apparent et certainement pas total. Il prend une forme nouvelle. Ce n’est plus le dispositif des Nations Unies en tant que tel. Il y a maintenant un acteur international majeur au Kosovo : l’Union européenne. La présence européenne sur place, Eulex est essentiellement un dispositif censé favoriser la construction d’un État de droit, un des acquis indispensable pour une éventuelle intégration dans l’UE. Ça ne veut pas dire que tous les problèmes ont disparu mais plutôt qu’on ne compte pas seulement sur la présence internationale pour les résoudre. Il y a des troupes de l’OTAN qui restent sur place (la KFOR, voir notre encadré, ndlr) même si c’est un dispositif international réduit numériquement, sa présence est une garantie de sécurité qui pourrait augmenter si besoin était.
Quel rapport entretient aujourd’hui le Kosovo avec son voisin la Serbie ? Ce sont des relations paradoxales car d’un côté la Serbie ne reconnaît pas le Kosovo et de l’autre, il y a au moins deux types de relations directes : la Serbie entretient une relation privilégiée avec l’enclave nord de Mitrovica où vit une minorité serbe. Elle finance pas mal de ses institutions, son fonctionnement, son personnel administratif, médical ou scolaire, etc. L’autre relation repose sur la non-reconnaissance du Kosovo comme État. Des négociations sont en cours sous les auspices de l’Union européenne. C’est l’aspect le plus nouveau et le plus prometteur. Ces négociations sont focalisées sur des questions concrètes : la frontière, les douanes, la libre circulation des personnes, les droits des minorités, … Mais c’est tout un agenda bilatéral qui se développe et qui je crois est compris par les deux parties comme quelque chose d’incontournable si on prend au sérieux la perspective européenne. C’est depuis l’arrivée de la nouvelle coalition serbe (démocrate et les héritiers du parti radical nationaliste serbe, ndlr) au pouvoir, paradoxalement ce sont eux qui font avancer la négociation avec le gouvernement de Pristina. C’est quelque chose que l’on n’attendait pas. Les Serbes ont compris quelle était la bonne alternative.
La Russie n’est-elle pas derrière la Serbie dans les décisions prises quant au Kosovo ? La Russie pour l’instant se montre plus flexible que l’an passé. Elle était montée au créneau au moment de la déclaration d’indépendance. Elle a apporté son soutien à la Serbie aux Nations Unies lors du vote en récusant la sécession kosovar et en répétant que c’était un précédent pour d’autres situations. Elle a dit « Si vous avez des conflits gelés comme le Kosovo, nous, nous avons aussi des situations comme l’Abkhazie, l’Ossétie du sud en Géorgie. Là aussi de quel droit pourriez-vous critiquer la sécession de l’Ossétie du sud et approuver l’indépendance du Kosovo ? » Donc la Russie utilise le Kosovo comme un argument dont elle a besoin pour sa propre périphérie, dans les situations de conflits gelés au Caucase. Mais elle s’occupe de manière très modérée de la situation dans les Balkans. Moscou ne va pas être plus catholique que le Pape. Ils ne vont pas aller au-delà de ce que la Serbie souhaite. Ils ont monnayé tout cela en prenant pied dans le secteur énergétique de la Serbie mais cela n’est pas une obstruction majeure par rapport au processus engagé. Le Kosovo pourrait-il entrer dans l’UE ? Il peut prétendre à entrer dans l’UE à la condition qu’il résolve ses contentieux de frontière, de minorité avec la Serbie. Il ne peut pas apporter ces conflits dans l’union. C’est l’intérêt bien compris des Kosovars et de la Serbe de résoudre ce problème avant l’entrée d’où l’importance de ces négociations.
En cinq ans d’indépendance, la politique et l’économie kosovares se sont-elles finalement assainies ? Il existe des faiblesses structurelles : droit de propriété, corruption… Tant qu’il y a des contentieux sur les frontières et qu’il y a des moyens de les contourner, le crime organisé s’installe. Les progrès sont lents. Il y a peu d’investissements directs au Kosovo. Tout ce qu’apportait la présence internationale se réduit progressivement. Le chômage est très élevé (45%, ndlr, voir notre encadré), c’est un pays avec une population très jeune, une moyenne d’âge de 25 ans. Le Kosovo était, fût et reste la région la plus pauvre de l’ancienne Yougoslavie. Cela n’a pas changé. Les problèmes économiques et sociaux comme tous les Balkans sont dans une situation critique rendue encore plus difficile par la crise.
Cette économie ne repartira pas s’il n’y a pas une résolution dont on a parlé plus tôt (la frontière avec la Serbie, ndlr). C’est un cercle vicieux. Il est difficile de faire repartir l’économie quand un investissement extérieur requiert des garanties, des institutions qui fonctionnent, des infrastructures et une clarification de la situation juridique sur la question de la propriété. Là, la relation avec la Serbie a une importance car évidemment on est dans des contentieux juridiques sur la propriété de biens ou d’entreprises. Est-ce le droit yougoslave ancien qui s’applique ? Le droit de la communauté internationale ou le droit voté par l’assemblée du Kosovo aujourd’hui ? Il y a plusieurs systèmes juridiques qui se mélangent. Vous avez un long héritage, des faiblesses structurelles de l’État non seulement parce qu’il est récent mais parce qu’auparavant l’État au Kosovo était considéré comme étranger. C’était une structure serbe dans le contexte d’une société à 90% kosovare. Cela a créé sur le long terme une défiance vis à vis de l’État, des moyens de le contourner. C’étaient des choses sûrement utiles dans la phase de résistance à la domination serbe surtout lors de la période sous Milosevic mais qui s’avèrent être des faiblesses dans la phase actuelle.
L’heure est donc à la reconstruction ? Il y a à la fois un besoin de désengagement de structures internationales superflues. Par contre la structure européenne Eulex est importante. Le pays doit recréer ses propres institutions, ses structures d’État qui fonctionnent. S’il y arrive, si cette sécurité se développe alors les investisseurs pourront venir et l’économie se développer. C’est un pays qui pour l’instant vit beaucoup soit de l’aide internationale, soit de ce qu’envoient les Kosovars à l’étranger. Il y a peu de ressources intéressantes au Kosovo. Ce n’est pas l’Irak. Il n’y a pas de pétrole, pas de richesses, il n’y a rien. Donc c’est un pays très pauvre et qui le restera relativement mais qui pourra s’en sortir, se développer s’il surmonte un certain nombre d’obstacles dont le plus complexe est sa relation avec la Serbie. Quel est aujourd’hui l’état d’esprit des Kosovars après la liesse soulevée par la proclamation de l’indépendance en 2008 ? L’enthousiasme est passé. C’est une chose d’agiter le drapeau et de proclamer l’indépendance, c’en est une autre d’être confrontés aux difficultés sociales et économiques du pays qui restent entières. Il y a un décalage entre les deux. C’est pour ça qu’il faut que le processus européen avance. C’est la seule perspective plausible.
Géofiche du Kosovo
- Forme de l'État : République - Déclaration d'indépendance : 17 février 2008 - Hymne national : Europe - Capitale : Pristina - Langue officielle : Albanais - Gentilé : Kosovar, Kosovare - Monnaie : Euro (EUR) - Superficie : 10 887 km2 - Population : 1 804 838 hab.(2009)
Les forces internationales encore en place
Le 10 septembre 2012, le
Groupe d’orientation sur le Kosovo (International Steering Group, ISG) a annoncé son autodissolution. L'ISG qui représentait les vingt-cinq États reconnaissant l'indépendance du Kosovo, supervisait le pays. Son « bras armé » était le Bureau civil international (ICO), également dissous en septembre 2012. D'autres forces internationales sont toujours en place sur le sol kosovar : -
Eulex : regroupant des représentants des pays membres de l'UE, cette mission civile européenne a pour but de promouvoir l'État de droit au Kosovo. -
OSCE : Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. -
KFOR : force militaire de l'OTAN renforcée dans le nord du pays. -
Minuk : organisation militaire de l'ONU qui a pour mandat de promouvoir la sécurité, la stabilité et le respect des droits de l'homme au Kosovo.