Fil d'Ariane
Ce que veut avec passion Thierry Auzer, directeur de théâtre à Lyon et instigateur du projet, c'est faire sortir la langue française des cercles culturels lettrés, élitistes et institutionnels. Chaque année, l'Organisation internationale de la Francophonie choisit dix mots sur lesquels elle s'appuie pour promouvoir la langue à travers le monde. Thierry Auzer s'est saisi de cette opération pour aller sonder les gens de la rue sur leur pratique du français : "Il s'agit d'aller à la pêche au sens des mots au-delà de leur propre définition, afin de montrer la richesse et la diversité que tout être humain porte en lui," explique-t-il.
Sa Caravane rallie les artistes, enseignants et autres amoureux du français qui vont porter avec fraîcheur et dynamisme la voix des locuteurs de français, à travers des manifestations artistiques, dans les pays qui partagent cette langue. Des pays où le français peut être langue officielle (comme le Mali, la Suisse ou Madagascar), mais aussi langue étrangère, (comme la Pologne, l'Allemagne ou l’Argentine) ou un vecteur identitaire essentiel pour des communautés « en voie d’extinction », (comme au Canada ou en Afrique du Sud).
Au Village de la Francophonie, plusieurs artistes de la Caravane étaient présents. Ils nous ont parlé de leur expérience:
"L’Afrique du Sud est isolée par rapport à la francophonie, alors que dans chaque ville, il y a une communauté francophone. Or la francophonie résonne avec notre diversité culturelle, car elle véhicule la même idée que la nation arc-en-ciel de Mandela."
Philomène, artiste d'Afrique du Sud.
« On me disait que la francophonie était une utopie. Avec la Caravane, j’ai vu que ce n’était pas vrai. »
Patricia, artiste malgache.
« En exil, j’ai compris que le français permettait de communiquer avec des gens qui ne parlent pas la même langue maternelle que moi. »
Karim, Burkinabé qui vit en Côte-d’Ivoire.
"Combien de mondes différents se rencontrent en français ! Quand une Canadienne me dit « Ca va être le fun, » c’est aussi une forme d’évolution du français pour moi."
Riana, artiste comorienne.
Au Village de la Francophonie, nous avons aussi rencontré Thierry Auzer, fondateur de la Caravane. Entretien :
Pendant ces dix années, j’ai découvert ce que pouvait être la force d’une francophonie moderne, décomplexée, populaire et attirante. Une francophonie qui pourrait faire l’avenir de mes enfants. Aujourd'hui, ce que je voudrais avant tout, c’est convaincre la France d’entrer dans la francophonie. C’est ce que je viens de dire à notre secrétaire d’Etat André Vallini, ici, à Madagascar ; c’est aussi ce que j’ai déjà dit à notre président.
Convaincre la France d'entrer dans la francophonie.
Thierry Auzer
J’ai compris comment Léopold Sédar Senghor (l’un des pères fondateurs de la Francophonie, ndlr) avait pu imaginer un projet de société civile au nom de l’espace francophone. Or jusqu’à présent, ce qui a été réalisé m’apparaît davantage comme l’instrumentalisation politique et stratégique d’une francophonie institutionnelle. Le cap de la "francophonie pour tous" n’est pas franchi. Il s'agit maintenant de montrer que chaque locuteur de français vient enrichir la langue avec ce qu'il est lui-même.
► Lire aussi notre article : La Francophonie, c'est quoi
C'est ce que je fais sans complexe et ouvertement, ici à Tana, en tant qu’artiste et citoyen libre et francophone, c'est découvrir la basse ville, la haute ville, la moyenne ville, comme je l’ai fait lors de nos autres Forums à Kinshasa, Bucarest, Dakar ou Québec. Et ensuite construire mon discours en fonction de l’idée que je me suis fait.
Les politiques, eux, arrivent avec un discours préfabriqué, sans savoir de quoi ils parlent. Ils arrivent avec l’antidote avant qu’on ait trouvé le virus. C’est grave dans un monde multipolaire qui se fait de plus en plus sombre.
Par rapport au Commonwealth ou à l’espace hispanique, nous avons cette chance que rien, encore, n’a été construit. Mais au XXIème siècle, le centre névralgique du français va se déplacer sur le continent africain. Il faut préparer les Français à peut-être, un jour, réapprendre leur langue à travers un autre prisme, une autre lecture de l’aventure mondialisée qui fait peur à tout le monde mais qui, pour moi, est une chance.
Il s’agit de montrer que chaque locuteur de français vient enrichir la langue par ce qu’il est.
Thierry Auzer
Mes rapports à avec Michaëlle Jean sont extrêmement cordiaux, mais la question reste posée : comment faire pour que l’institution reconnaisse la société civile ? Mais peut-être la plus grande force de la Caravane est-elle de rester électron libre.
J’ai beaucoup de mal à faire comprendre aux politiques que la francophonie est un atout extraordinaire. Parce que les politiques jouent avec toutes les règles mises en place. Le choix du prochain pays d’accueil du Sommet, par exemple, sera un choix politique, mais pas du tout un choix stratégique sur ce qu’est l’essence de la francophonie. Songez que l’Algérie n’est même pas dans la Francophonie ! En Allemagne, il y a 12 millions de francophones : l’Allemagne est un pays francophone !
Pourquoi pas ? Si demain, le peuple français adhère à la francophonie et l'incarne, le monde politique français devra s’asseoir à la table de la Francophonie au lieu de la gérer. C’est cette volonté que je porte.
Il y a une région du monde qui est totalement oubliée par la Francophonie, alors qu’elle lui a beaucoup servie, c’est l’Asie. Il faudrait trouver un pays en Asie pour accueillir le prochain sommet, même si le Vietnam n’est pas candidat, pour le moment. Ou alors revenir sur le poumon africain...