La Catalogne convoque un référendum ... et défie Madrid

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La Catalogne convoque un référendum ... et défie Madrid
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Des centaines de milliers de Catalans ont célébré ce jeudi 11 septembre la « Diada », commémorant la perte de leurs libertés, il y a juste trois siècles.
"Ni la loi, ni Madrid, ni le Tribunal constitutionnel ne peuvent lutter contre la volonté du peuple", affirmait ce samedi une manifestante, Tanha Bueno, fonctionnaire de 34 ans, portant un T-shirt qui proclame "Ara és l'hora" (L'heure est venue). Quelques centaines de personnes s’étaient rassemblés en soutien à Arthur Mas, leur Président, devant le palais de la Generalitat (gouvernement régional catalan) de Barcelone. "Le président doit faire ce que lui demande le peuple: construire un pays nouveau... Si ce n'est pas prévu par la Constitution espagnole, la Constitution a un problème", ajoutait Josep Peña, un imprimeur de 59 ans.
Dans la matinée, Arthur Mas a officiellement et par décret convoqué pour le 9 novembre prochain un référendum qui devra décider -ou non- de l'indépendance de cette riche région. "La Catalogne veut s'exprimer, elle veut être écoutée, elle veut voter", a déclaré le dirigeant qui n'a cessé de demander au gouvernement et au Parlement espagnols d'autoriser cette "consultation populaire", comme Londres a autorisé le référendum du 18 septembre quand l'Ecosse a dit non à l'indépendance.
"Nous voulons voter", a-t-il répété, faisant écho au slogan des indépendantistes qui avaient manifesté par centaines de milliers à Barcelone le 11 septembre, jour de la Catalogne. « C'est comme ça que s'expriment les démocraties et que naissent les projets politiques, en votant. C'est la responsabilité de la démocratie de ne pas y faire obstacle", a-t-il proclamé après la signature dans la grande galerie du palais.

 
 
La Catalogne convoque un référendum ... et défie Madrid
Arthur Mas, Président du gouvernement régional catalan
- 'La Constitution espagnole a un problème' -

Mais ce referendum, même rebaptisé  « consultation », se heurte à un problème de taille : la Constitution espagnole, qui ne permet pas à une région de se prononcer sur son avenir quand il concerne l'ensemble de l'Espagne.
Aussi la réaction du gouvernement central, qui ne veut pas entendre parler d’indépendance, ne s’est pas faite attendre. "Ce référendum n'aura pas lieu parce qu'il est anticonstitutionnel", a immédiatement répliqué le numéro 2 du gouvernement, Soraya Saenz de Santamaria, lors d'une conférence de presse. "C'est à tous les Espagnols de décider ce qu'est l'Espagne et comment elle s'organise" et "personne n'est au dessus de la volonté souveraine du peuple espagnol".
Le gouvernement a immédiatement entamé la procédure pour faire appel devant le Tribunal constitutionnel, a annoncé la vice-présidente du gouvernement. Cet appel suspendra immédiatement le décret et la loi catalane votée cette semaine qui l'a autorisé, a-t-elle ajouté. "Nous regrettons profondément l'initiative du président de la Generalitat et nous considérons que c'est une erreur: elle fracture la société catalane, elle divise les Catalans et les éloigne de l'Europe". Selon toute vraisemblance, le Tribunal annulera le décret et la loi catalane qui l'a autorisé.
Organiser quand même la consultation serait pour la Catalogne sortir de la légalité, ce qu'Artur Mas s'est engagé à ne pas faire. Dans l'entourage d'Artur Mas, on évoque alors la convocation de nouvelles élections avec un programme ouvertement indépendantiste au cas où il faudrait renoncer.
Sur fond de crise économique, les aspirations à l'indépendance montent en Catalogne, dont les 7,5 millions d'habitants produisent 20% de la richesse de l'Espagne, depuis qu'elle a vu en 2010 son statut d'autonomie amendé par le Tribunal Constitutionnel, qui lui a retiré la reconnaissance de "nation". Quand Madrid a refusé en 2012 d'accorder à la Catalogne plus d'autonomie dans la perception et la gestion des impôts, Artur Mas s'est engagé à organiser cette consultation.
Après la victoire du non à l'indépendance, le Premier ministre britannique, David Cameron, a promis plus d'autonomie à l'Ecosse. Le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, s'est refusé jusqu'à présent à toute concession. L'opposition socialiste l'engage à réformer la Constitution pour satisfaire les aspirations catalanes mais s'oppose au référendum. "Nous sommes partisans d'une réforme de la Constitution (....) mais il faut d'abord la respecter", a déclaré samedi le porte-parole du parti socialiste (PSOE) Antonio Hernando.
 

Ara es l'hora ?

Ara es l'hora ?
 
11.09.2014par Pascal Priestley
C'est un gigantesque« V » humain de centaines de milliers de personnes qui s'étire sur les deux grandes avenues de Barcelone en une promesse de lendemains triomphants : « V » comme « voter » et « victoire ». Entendre : celle au référendum controversé prévu le 9 novembre prochain, supposé décider de l'indépendance de la Catalogne.

Dès le matin, des centaines de milliers de manifestants avaient convergé vers le centre-ville, galvanisés par le référendum écossais sur l'indépendance. Une foule bariolée portant des T-shirts jaunes ou rouges, barrés du slogan « Ara es l'hora » ("L'heure est venue", en catalan), ou brandissant la bannière indépendantiste, souvent en famille et au son des grallas, hautbois traditionnels au son grêle.
 

Rêve resurgi

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Le 11 septembre 2012 à Barcelone, près d'un million de personnes dans les rues de Barcelone.

Commémorant la prise de Barcelone par des troupes franco-espagnoles lors de la Guerre de succession de 1714, et avec elle la fin de leur autonomie, la « Diada » (« journée nationale ») du 11 septembre a pris ces dernières années un sens nouveau au point de devenir une sorte de « marche de la fierté » des Catalans. Et c'est lors d'une précédente édition que s'est mis en marche le processus actuel qui pourrait aboutir à leur séparation du royaume.

Plus d'un million d'entre eux étaient descendus dans la rue en 2012. Parmi les ferments de mobilisation, la défense de l'identité culturelle et de la langue, voire pour une partie de l'opinion, un désir d'indépendance, mais aussi une remise en cause croissante du système fiscal espagnol qui prélève sur la Catalogne, en tant que région riche, plus qu'elle ne reçoit. Affaibli par un mauvais résultat aux précédentes élections régionales, le président nationaliste et conservateur de la Généralité, Artur Mas, s'était alors lancé dans l'aventure du référendum en contrepartie du soutien de la gauche indépendantiste de l'ERC (Esquerra Republicana de Catalunya).

Le début d'une épreuve de force à la fois politique et juridique. Car contrairement à Londres qui s'est résignée au référendum écossais, Madrid s'oppose totalement à celui des Catalans et rappelle que la Constitution de 1978, tout en accordant une large autonomie à ses dix-sept régions, définit le caractère indivisible de l’État espagnol.
 

Imbroglio

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Contre-manifestation anti-indépendantiste le 11 sept 2014 à Barcelone

Tel qu'il est, le projet de scrutin porté par Barcelone prévoit deux questions : « voulez vous que la Catalogne devienne un État ? Voulez vous que cet État soit indépendant ? ».

En mars dernier, le Tribunal constitutionnel avait annulé partiellement une déclaration de souveraineté votée par le Parlement catalan en janvier 2013, qui servait de base à la consultation, dans un arrêt assez ambigu pour laisser place aux interprétations des deux camps.

Celui-ci déclarait « nul et inconstitutionnel » le principe selon lequel « le peuple de Catalogne » détient par légitimité démocratique « un caractère de sujet politique et juridique souverain ». Son « droit à décider » est, certes, reconnu tant qu'il s'exerce … dans le cadre de la Constitution. Une latitude de débattre, en somme, mais non de prononcer une séparation ni même d'organiser un référendum.

Le jugement renforce Madrid. Cette consultation « ne peut pas avoir lieu et n'aura pas lieu », a réaffirmé en juillet le chef du gouvernement conservateur Mariano Rajoy après sa dernière rencontre avec Artur Mas. Réplique équivoque de ce dernier : « Si la population catalane veut voter sur son avenir, c'est pratiquement impossible d'arrêter ça pour toujours ».

En fait, Mas doit choisir d'ici le 9 novembre entre défier Madrid et risquer une scission avec l'aile modérée de son parti, ou renoncer au référendum et se couper de son aile dure et de ses incommodes alliés de l'ERC ... qui l'ont battu aux dernières élections européennes.
 

Environnement

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Artur Mas célébrant la Diada à Barcelone le 11 septembre 2014 (AFP)

Tout comme les autres régions tentées par la sécession, la Catalogne ne peut non plus ignorer le contexte international. Bruxelles a averti que, selon les Traités, un État qui naîtrait d'une scission avec un État membre sortirait automatiquement de l'Union européenne et devrait entamer un long processus d'adhésion.

« Ce n'est pas pragmatique de traiter ces questions politiques seulement du point de vue strictement légal », estime Artur Mas. Or, selon lui, l'UE a toujours su se montrer pragmatique. A cet égard, estime t-il, la Catalogne profiterait d'un vote de l’Écosse pour son indépendance le 18 septembre : « Si le « yes » gagne, il y aura, j'en suis absolument sûr, des négociations très rapides, mêmes immédiates pour essayer de retenir l’Écosse dans l'Union européenne », a-t-il déclaré mercredi à l'AFP. « Je suis absolument sûr que la réaction des leaders politiques européens, y compris les Français, va être de respecter le résultat en Écosse. C'est très important pour la Catalogne parce que ça veut dire que si une nation comme l’Écosse a le droit de décider de son avenir, pourquoi pas la Catalogne ? ». « Notre but est de voter et de l'emporter le 9 novembre et nous voulons que ce 11 septembre soit le tournant décisif », insistait pour sa part Carme Forcadell, présidente de l'Assemblée nationale catalane, la principale association indépendantiste.
« Remplir les rues pour remplir les urnes », promettaient les organisateurs à la veille de la manifestation.
La première partie est tenue. La seconde reste incertaine.
 
 
La Catalogne convoque un référendum ... et défie Madrid
Avec 7,5 millions d'habitants, la Catalogne pèse 19 % du PIB espagnol et représente 25 % de ses exportations. Région la plus riche d’Espagne, elle est le moteur industriel du pays.