Car sur le plan culturel aussi, la Chine prétend être un acteur de poids. Ils sont ravis d'avoir eu un prix Nobel et attendent un Oscar dans les prochaines années... D'où leur attitude ambivalente envers des cinéastes reconnus internationalement, comme Jia Zhangke, réalisateur de
Touch of Sin. L'initiative de Pékin vise surtout à défendre une spécificité culturelle chinoise, un peu à l'image de l'"exception culturelle française". Le gouvernement chinois aurait donc mal présenté les choses ? Bien sûr, c'est là toute la maladresse des dirigeants chinois actuels, qui agissent encore à l'ancienne. Ils ont du mal à entrer dans une logique de manipulation des foules modernes. Ils présentent les choses de façon que ceux qui ne cherchent pas très loin crient au retour du maoïsme. D'autant plus que leurs rapports aux milieux artistiques restent compliqués... Vous pensez à Ai Weiwei ? C'est un personnage très ambigu. A Pékin, on le voit emmener son fils dans les écoles américaines en grosse voiture. De temps à autre, il a quelques ennuis, mais il les cherche un peu. Il est à la fois
gênant et inoffensif. Les gens se moquent un peu de lui. Il n'est pas du tout le fer de lance de la critique souvent dépeint par les médias occidentaux. Reste que la Chine a un vrai problème avec ses artistes : pour les Chinois, l'art de qualité doit être d'avant-garde, donc critique. Il doit donc remettre en cause certaines choses, notamment dans le domaine politique. Les dirigeants voudraient à la fois des artistes qui tapent du poing sur la table et reçoivent des prix internationaux, tout en restant "mainstream", sans faire trop de vague - une avant-garde sans sexe ni critique. Ingénieurs, pour la plupart, les dirigeants actuels sont eux-mêmes de purs produits de la révolution culturelle, qui, dans les années 1960, ont été envoyés de force dans des coins terribles du pays. Ils font des efforts pour parler anglais, mais n'est pas Jack Lang qui veut, et ils ont encore du mal à comprendre comment fonctionne le milieu artistique. La peur que les choses échappent à leur contrôle est encore très présente. D'où le jeu compliqué entre pouvoir et artistes, même s'il y a des passerelles et si, finalement, tous ces gens se côtoient. Comment se porte le marché de l'art en Chine ? Dans les années 1980, encore, les artistes vivaient dans des conditions terribles. Aujourd'hui, ils ont la vie beaucoup plus facile. Le marché est dynamique, largement financé par les entreprises privées. Il attire les galeristes étrangers à l'affût de la perle rare qui leur fera gagner des millions de dollars. C'est
l'art pop chinois, vaguement critique de la Chine socialiste, qui se vend le mieux. Il y a aussi une tendance aux installations éphémères, aux performances, avec des vidéos. Tout cela reste pourtant très correct, sans clandestinité ni militantisme. Les artistes maudits, ça ne marche pas. Les projets internationaux foisonnent, financés par de grandes entreprises. Il existe un milieu de l'art d'avant-garde, élitiste et doté de gros moyens financiers. Un projet est actuellement en cours avec Daniel Defert, légataire universel de Michel Foucault, entièrement financé par les Chinois.