La chute de Palmyre, enthousiasmes et embarras ...

Succès évident de Damas et de ses alliés russes, la reconquête de la cité historique de Palmyre est accueillie avec fraîcheur au sein de la coalition dirigée par les États-Unis. Elle change un peu la donne.
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Palmyre
Vue de Palmyre le 27 mars 2016, transmise par l'agence gouvernementale syrienne Sana
(via AP)
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Victoire décisive ou succès médiatique sans portée militaire ? A la hauteur du symbole qu’elle constitue et de l'émotion qui avait marqué sa conquête et sa destruction partielle par Daesch, la reprise du site et de la ville historique de Palmyre par l'armée de Bachar el Assad avec l'appui russe – et dans une moindre mesures iranien – suscite des salutations bien différentes, sinon opposées.

Un air de victoire

Le maître de Damas, logiquement, y voit un « exploit important » validant ses choix militaires et diplomatiques : « Il s’agit d’une nouvelle preuve de l’efficacité de la stratégie de l’armée syrienne et de ses alliés dans la guerre contre le terrorisme, en comparaison avec le manque de sérieux de la coalition menée par les Etats-Unis ».

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Combattants syriens à la veille de l'assaut de Palmyre, selon le site russe Sputnik.

En écho, Vladimir Poutine a félicité avec insistance Bachar el Assad de sa victoire à laquelle il a bien contribué. Dans sa mouvance, le site russe Sputnik se risque même à d’audacieuses comparaisons. « L'écrasement de Daech à Palmyre me rappelle celle des nazis pendant la bataille de Stalingrad. La récupération de Palmyre est semblable au retour de l'eau dans le pays », déclare un juriste syrien cité dans sa version francophone.

Partie prenante du combat à travers ses conseillers militaires mais aussi la quasi-armée chiite libanaise qu’elle contrôle, le Hezbollah, Téhéran qualifie d'  « admirable » la victoire de Palmyre. « La Syrie avance fermement dans la lutte contre le terrorisme qui n'aura définitivement plus sa place dans la région », a déclaré l'un de ses portes-paroles.

Embarras

L’enthousiasme syro-russo-iranien tranche avec la feinte indifférence de la coalition occidentale, dont le mutisme masque mal un certain embarras. Bonne nouvelle objective de la guerre contre l’État islamique - saluée par le secrétaire général des Nations unies Ban Ki Moon -, le succès de Palmyre ridiculise quelque peu ceux – a priori plus puissants et mieux armés - dont les innombrables bombardements aériens n’ont guère apporté d’avancées spectaculaires depuis le sauvetage de la ville kurde de Kobane, il y a plus d’un an.

Depuis ses débuts, politiques et médias occidentaux ont régulièrement présenté l’intervention russe comme au mieux brouillonne, au pire dirigée essentiellement contre la résistance non islamiste à Bachar el Assad. L’épisode Palmyre ne balaye pas l’accusation mais il souligne la cohérence d’une intervention appuyant l’offensive d’une armée au sol pourvue de moyens lourds. Moscou et son obstination pro-Damas suscitent moins d’ironie. En Grande-Bretagne, le quotidien The Independant s'indigne du silence de Cameron et d'Obama : «  Voici l'armée syrienne, appuyée, bien sûr par les Russes de Vladimir Poutines, jetant les clowns de l’État Islamique hors de la ville et nous ne sommes pas capables de leur dire simplement « bien joué ».

Si le département d'Etat américain a fini par qualifier lundi soir de « bonne chose » la défaite de l'EI, Paris, deux jours après la chute de Palmyre, n'avait pour sa part toujours pas réagi, comme si le lieu, hier capitale emblématique de la folie barbare, était devenu brusquement sans importance et sa bataille (400 combattants de Daesch tués en vingt jours selon les sources des Droits de l’homme syriens, un revers sans précédent) une broutille.

Certains militaires sont un peu plus diserts. Ancien chef de mission militaire auprès de l'ONU, le général Dominique Trinquand, exprime sur la radio France Info le sentiment largement partagé mais politiquement encore indicible : « Je pense que tout le monde a réalisé, après les atermoiements initiaux, que la stratégie russe en Syrie était la bonne stratégie, qu'après avoir critiqué en permanence le gouvernement de Bachar al-Assad - qui reste critiquable - c'est le seul interlocuteur qui tient la route autour des tables de négociations ». Ce que le député des Français de l’étranger Thierry Mariani (du parti de droite Les Républicains), en voyage en Syrie dont il a pu rencontrer le dictateur, formule autrement : « M. Al-Assad, dit-il, n’est pas pas un président idéal et sans reproche mais il est en train de gagner la guerre ».

Des ambitions nouvelles

Vite dit, sans doute. En terme strictement militaire, la cité antique n’est pas en soi une prise stratégique et ouvre surtout sur … le désert. Mais cela ne veut pas dire sur rien, d’autant que le succès peu donner cette fois à Damas et ses alliés une dynamique et un avantage psychologique nouveaux.

Une source militaire syrienne a indiqué à l'AFP que les opérations militaires avaient commencé à al-Qaryatayn, au sud-ouest de Palmyre sur la route de Damas. « C'est le prochain objectif de l'armée, qui a également les yeux rivés sur Sokhné », a-t-elle ajouté.Si le régime s'emparait de Sokhné (au nord-est de Palmyre), il serait aux portes de la province pétrolière de Deir Ezzor (est), contrôlée en grande partie par le groupe ultraradical qui y trouve une partie de ses ressources. Et s'il parvenait à contrôler la localité d'al-Koum, au nord de Palmyre, il serait à la lisière de la province septentrionale de Raqa, dont le chef-lieu éponyme est la capitale de facto de l'EI en Syrie.

Pour le commandement militaire, Palmyre sera « la base à partir de laquelle s'étendront les opérations contre le groupe terroriste notamment à Deir Ezzor et Raqa », le but étant de « mettre fin à l'existence » de l'EI en Syrie.

On en est loin, et beaucoup de « si » restent à franchir. Mais de tels propos, inaudibles il y a quelques mois, ont cessé de faire rire.